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Avec ses oreillettes, Nagelsmann veut tuer le foot
Après la Coupe du monde tous les deux ans défendue par Arsène Wenger, c’est au tour de Julian Nagelsmann de s’inviter au bal des idées de merde pour le ballon rond du futur. La contribution de l’entraîneur du Bayern Munich ? Équiper les joueurs d’une oreillette. Oui, oui : comme dans le vélo. Nein, danke.
Red Bull donne des ailes, mais apparemment cela donne aussi de drôles d’idées. Après la dernière sortie de Julian Nagelsmann, désormais sur le banc du Bayern Munich après deux saisons au RB Leipzig, on peut au moins se poser la question. Et pour cause : dans des propos rapportés par TZ, l’entraîneur génial de 34 ans a soumis sa dernière chimère. Spoiler, ce n’est pas la meilleure. Le projet ? Équiper les joueurs – ou au moins un d’entre eux – d’une oreillette afin de pouvoir communiquer plus facilement avec le staff technique comme au football américain, où le quarterback et un joueur défensif possèdent une oreillette dans le casque. « Le football reste encore traditionnel. Le foot américain est incroyablement avancé d’un point de vue technologique en matière de communication avec les joueurs. Le quarterback peut écouter son entraîneur sur le terrain, développait le coach bavarois. C’est quelque chose dont on a absolument besoin. Idéalement avec un micro afin que le joueur puisse aussi parler avec les entraîneurs. »
On n’est pas fait pour s’entendre
C’est en discutant avec Andy Reid, entraîneur des Kansas City Chiefs (vainqueur du Super Bowl 2020 après 21 ans sans rien gagner) que Julian Nagelsmann a eu cette révélation. « Un stade est extrêmement bruyant, il n’y a pas de temps mort, seulement la mi-temps pour parler de tactique avec les joueurs », regrette Nagelsmann, repensant certainement au calme de la Red Bull Arena. Et le Bavarois de conclure : « Il faut dire qu’on le veut ! On veut équiper nos maillots pour que les joueurs et les entraîneurs puissent communiquer. » Parle pour toi, Juju. Tout le monde n’est pas de cet avis et, d’ailleurs, le règlement de la FIFA interdit (pour le moment) cette pratique. Déjà, difficile d’imaginer comment un footballeur pourrait porter un tel dispositif sans être gêné, ne portant pas de casque comme son cousin d’Amérique. Et puis comment déterminer quel joueur serait muni du micro ? Le capitaine ? Et s’il s’agit du gardien, doit-on ensuite le doter d’un mégaphone ? En dehors de ces considérations, le recours à l’oreillette dans le football tuerait surtout toute prise d’initiative spontanée des joueurs.
Kit main libre
L’argument principal de Nagelsmann, c’est en effet de pouvoir mettre plus de tactique, de pouvoir réagir plus vite à l’imprévu. Ce qui correspond finalement bien à notre société d’immédiateté. Le port de l’oreillette reviendrait donc à tuer l’instinct des joueurs, à les déshumaniser, autant par la robotisation qu’implique l’oreillette que par la privation de liberté d’entreprendre. Fini les joueurs qui prennent en main le sort d’un match en dépit des consignes du coach : de son banc, le technicien n’accepte plus de ne pas avoir le contrôle permanent des évènements. Irrespectueux envers les joueurs, cela le serait aussi envers les supporters. Déjà réduit à peau de chagrin par le foot business, le rôle des tribunes se limite aujourd’hui au bruit qu’elles engendrent et à leur capacité de déstabilisation. S’user les cordes vocales est autant une façon de pousser les siens que de perturber les adversaires, et c’est un droit du supporter qu’une paire d’AirPods ne peut entraver. Si micro il doit y avoir sur un terrain, qu’on commence par en mettre sur les maillots des arbitres pour qu’ils soient entendus par les téléspectateurs. Et puis toutes les innovations ne sont pas bonnes à prendre, non ? Par exemple, qui disait en novembre 2020 : « Si la VAR ne sert à rien, il faut l’arrêter » après une défaite contre le PSG à la suite d’un péno ? Bingo : Julian Nagelsmann.
Le peloton en perd les pédales
Pour étayer son propos, l’entraîneur bavarois invoque donc l’exemple du football américain. Qu’en-est il vraiment de cette pratique ? En vérité, elle n’a rien de nouveau, puisqu’elle remonte à 1956, mais est rapidement interdite par la Ligue, qui y voit une pratique de tricheurs. Ce n’est qu’en 1994 que la NFL, en quête perpétuelle d’excellence et de spectacle, autorise l’utilisation de l’oreillette dans le foot américain. Concrètement, cela concerne le quarterback et un défenseur de l’équipe qui peuvent recevoir des consignes, mais pas répondre en retour. Le tout grâce à un casque spécial. Mais l’exemple le plus connu reste évidemment le cyclisme, où l’utilisation des oreillettes s’est généralisée depuis 1994. Avec des résultats mitigés. Depuis, le débat revient régulièrement dans le peloton : faut-il continuer dans cette voie ou non ?
Un des avantages indéniables du petit bout de fil auditif, c’est la sécurité pour les coureurs sur des routes qu’ils ne connaissent pas. Un joueur de football a-t-il lui besoin de se voir indiquer la direction à prendre sur une pelouse ? On espère que non. Le point qui cristallise les critiques dans le monde du vélo, est que la généralisation du port de l’oreillette a donné naissance à des courses cadenassées, stéréotypées et donc moins spectaculaires. L’oreillette est un tue-l’amour qui place le pragmatisme au-dessus du romantisme, le résultat au-dessus de l’émotion, de l’intuition. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Stephen Roche, vainqueur du Tour 1987, qui disait il y a quelques années : « Je ne suis pas contre la technologie, mais il y a certaines choses qui n’ont pas leur place dans ce sport populaire. Depuis quelques saisons, on dirait que nos cyclistes sont des zombies, sans cervelle, qui donnent tout leur crédit à leurs directeurs sportifs présents à l’arrière. »
Autre sortie, même point de vue : « Il faut rendre la course aux coureurs. Redonnons le goût de l’initiative. Le coureur intelligent ne doit pas être desservi », pestait Marc Madiot dans les colonnes du Figaro. Une posture qu’on retrouve chez beaucoup d’acteurs du cyclisme, y compris chez le sélectionneur des Bleus, Thomas Vœckler, jamais le dernier à balancer son oreillette en pleine course pour se libérer de ce joug. Même notre cher champion du monde, Julian Alaphilippe, défend le droit à la spontanéité. Et ses résultats parlent pour lui. La vérité, c’est que l’oreillette apporte autant de sécurité aux coureurs que d’ennui aux spectateurs. Déjà de plus en plus prévisible, le football n’a pas besoin d’un nouvel outil pour devenir encore moins surprenant. Même Daniel Bilalian, directeur des sports de France Télévisions, le disait en 2009 : « J’ai constaté qu’à cause des oreillettes, on ne faisait plus la différence entre les coureurs intelligents, courageux, qui montrent du panache et les bravaches, les idiots. On dit que le dopage gâche le Tour, mais ce qui gâche surtout le vélo, c’est ça ! » Les oreillettes, pire que le dopage : voilà le danger qui guette si la prophétie de Nagelsmann se concrétise.
Par Adrien Hémard