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Avec Packing, le foot enfin un sport de stats ?
Le football serait un sport de statistiques qui s’ignore. Possession de balle, tirs, passes réussies, toutes les données qui vous sont offertes à longueur de retransmission ne seraient pas les plus pertinentes pour comprendre ce qui se passe sur le pré. Deux joueurs allemands ont lancé leur propre système de collecte de datas pour y remédier. Présentation de Packing.
Imaginons un match entre une équipe jaune et une équipe rouge. À l’issue de la rencontre, l’équipe jaune afficherait 18 tirs, aurait eu 47% de possession de balle, et fait 449 passes. L’équipe rouge, elle, aurait tiré 14 fois au but, eu le ballon 53% du temps, et fait 516 passes. Plutôt équilibré, hein ? En fait non, les stats des équipes jaune et rouge sont celles du Brésil et d’Allemagne en demi-finales de la Coupe du monde 2014. Résultat : 7-1 pour les Allemands.
Du baseball au football
Les statistiques affichées sur nos écrans tout au long d’un match ne seraient pas suffisantes pour comprendre ce qu’il se passe réellement sur le terrain. C’est avec cette idée que deux joueurs allemands, Stefan Reinartz (29 ans), aujourd’hui retraité, et Jens Hegeler (30 ans) fondent en 2015 leur start-up Impect, et son système de collecte de données Packing. Les deux joueurs, au Bayer Leverkusen à l’époque, ont un déclic après avoir vu Le Stratège. Un film racontant l’histoire de Billy Beane, un coach de la Major League Baseball qui recrute ses joueurs en s’appuyant sur des statistiques ignorées par les autres entraîneurs. Et devenu depuis une référence en MLB. « En foot, les statistiques se focalisent d’abord sur les joueurs offensifs, avec les buts, et les passes décisives. Or le foot est un sport à points rares. Lors d’un match où il y a trois buts, on ne retiendra que les stats de deux ou trois joueurs. C’est cet espace qu’on a voulu combler » , explique Jens Hegeler qui évolue aujourd’hui à Bristol City en Championship.
Packing, mode d’emploi
Le système d’analyse de Packing est assez simple. Chaque action effectuée par un joueur sur le terrain est prise en compte, et est récompensée à chaque fois que le joueur élimine (bypass) un adversaire. Que ce soit par une passe, un dribble, un centre ou une interception. Par exemple, si un meneur de jeu transmet un ballon vers le but à son attaquant, et que sa passe élimine trois joueurs, le meneur de jeu se verra crédité de trois points. Un point pour chaque joueur éliminé. Une autre stat encore plus significative quant à la domination d’une équipe se focalise sur les « défenseurs éliminés » . Puisque, logiquement, une action qui élimine un défenseur a plus de chance de se conclure par un but. La saison dernière, Lionel Messi a éliminé 18 défenseurs par match en moyenne, premier de la catégorie. Et avec ses passes qui cassent des lignes, Toni Kroos est le joueur qui a éliminé le plus d’adversaires, 79 par match en moyenne.
Ces dernières années, le système d’analyse statistique novateur qui avait retenu l’attention, porté par une communauté de blogueurs anglo-saxons, sont les Expected Goals ou xG. Différent de Packing, cet outil mesure la capacité d’une équipe à se créer des occasions par l’analyse de la qualité des tirs tentés. Mais ne prend pas en compte les actions dangereuses ne se terminant pas par un tir, l’une de ses limites. Packing donne en fait une idée plus précise des rapports de force sur le terrain. Exemple : la saison dernière en Bundesliga, 52% des équipes qui avaient le plus le ballon remportaient le match. Comme 53% de celles qui gagnaient le plus de duels. On monte à 56% pour celles qui ont le plus couru. Enfin 61% de celles qui ont le plus frappé au but. Avec les outils de Packing, les tendances sont plus nettes. 65% des équipes qui ont éliminé le plus d’adversaires prenaient les trois points, idem pour 88% de celles qui avaient éliminé le plus de défenseurs.
L’outil permet aussi d’analyser les principes de jeu d’une équipe. Avant la septième journée de Ligue 1, le PSG domine logiquement les deux classements des « adversaires éliminés » et des « défenseurs éliminés » . Quand le FC Nantes pourtant dans les profondeurs de la L1 est respectivement troisième et sixième de ces classements, car guidé par les idées de jeu de possession de Miguel Cardoso. Des données qui annonçaient aussi la force de Lyon (2e et 5e), et le jeu plus direct du LOSC (6e et 3e). En ce sens, Packing peut devenir une arme pour un entraîneur qui veut prévoir.
Bientôt Packing-land ?
Outre-Rhin, les coachs geek-intellos tels Domenico Tedesco à Schalke ou Julian Nagelsmann à Hoffenheim s’en sont déjà emparés. Une dizaine d’autres clubs allemands aussi. En France, Thomas Tuchel, qui l’a ramené dans ses valises avec lui au PSG, est le seul à l’utiliser. La petite boîte veut continuer son expansion, l’Huddersfield de David Wagner est le premier club de PL à l’adopter. La MLS au pays des stats l’attend. La start-up emploie aujourd’hui 65 opérateurs pour collecter ses données. Développer les statistiques individuelles pour améliorer le scouting des clubs pourrait attirer encore plus de clients, c’est la prochaine étape.
Avant que Packing ne vienne envahir nos écrans ? Il devrait encore se passer du temps. D’apparence complexe, ses stats peuvent effrayer les diffuseurs. Pour l’Euro 2016, la chaîne publique allemande ARD avait franchi le pas : Mehmet Scholl, l’ancien joueur du Bayern, s’était enthousiasmé. « Packing explique le football ! » , avait-il lâché à l’antenne. Non, Packing n’explique pas le football, on n’a toujours pas trouvé l’outil qui pourrait réaliser une telle prouesse, et heureusement. Néanmoins, sa grille d’analyse est pertinente. Il peut être l’antisèche d’un match loupé, l’indication d’un style au-delà des résultats, ou peut mettre en lumière les acteurs oubliés des stats traditionnelles. Pour sûr, avec leur initiative novatrice, Stefan Reinartz et Jens Hegeler ont déjà fait bouger quelques lignes.
Par Romuald Gadegbeku
Propos de JH recueillis par RG