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« Avec les Rangers, le vert c’est seulement la couleur de la pelouse »
Il a vécu l'ascenseur émotionnel de Bâle, mais rêve de se qualifier à nouveau pour la Ligue Europa avec Saint-Étienne. Car Jérémy Clément aime la difficulté, et garde notamment un grand souvenir de la lutte pour le maintien sous les couleurs du PSG. Interview d'un mec qui a joué, un peu, avec Barry Ferguson et, beaucoup, avec Claude Makelele.
Trois victoires consécutives, la C1 à 4 points. Vous avancez à visage découvert en cette fin de saison ou c’est le discours traditionnel : « On joue chaque match l’un après l’autre » ? Honnêtement, c’est pas que je veux avoir le discours traditionnel, mais il y a trois matchs de cela, on était huitièmes, on ne peut pas, trois matchs après, dire que l’on vise la troisième place. C’est tellement serré entre la deuxième et la huitième places que tout peut se passer. Nous, on vise une place européenne. Il y a d’autres équipes mieux armées que nous pour ces places. Nous, l’objectif, c’est de refaire la Ligue Europa.
Quand on pense à votre parcours 2016, c’est l’image de Bâle qui nous revient en tête.(Il rigole) Ouais, il y a eu un ascenseur émotionnel contre Bâle. On n’a pas démérité dans les deux matchs, cela s’est joué sur des détails. Il y a peut-être un penalty limite pour eux à l’aller. Mais chaque année, on progresse. Là, on est sorti des poules, on a failli passer un tour de plus. Tout doucement, Saint-Étienne grandit et a fait un bon parcours européen.
Ce but à Bâle, vous vous en êtes voulu ? Le sentiment, c’est que vous deviez passer, vous aviez fait le plus difficile…On pense la même chose. Il y a une image marquante : quand Bâle marque, on est cinq ou six à s’écrouler par terre, car le choc est terrible. On espérait ce but, on pousse pour et on marque. Deux minutes après, on en reprend un. Donc c’est une soirée douloureuse que l’on a eu du mal à évacuer, car on n’est pas passé loin. Bâle a plus l’habitude de disputer l’Europe, cela aurait quand même été un bel exploit de passer.
Le coach dit quoi dans le vestiaire après un tel résultat ?Pas besoin de gueuler, parce que voilà, autant Saint-Étienne a parfois fait des matchs très moyens en championnat, autant on a toujours mis beaucoup d’intensité et d’envie en Ligue Europa. Il était déçu comme nous, il n’a pas parlé à chaud, car on était trop abattus. Cela n’aurait servi à rien de parler après le match.
Ok, vous progressez chaque année, un tour de plus chaque année. Donc victoire en Ligue Europa d’ici 5 ans ?(Rires) Je ne demande pas mieux, mais je ne pense pas que je serai encore à Saint-Étienne dans cinq ans. Ce serait une belle récompense pour ce club. Il ne faut pas oublier que Saint-Étienne, c’est le 7e ou 8e budget de France. Ce que l’on fait chaque saison, finir européen, c’est pas mal. Ce n’est pas évident d’être régulier. On voit chaque année des équipes se casser la figure comme Marseille cette année qui est pourtant censée finir devant nous. Il ne faut pas mésestimer les performances en championnat de Saint-Étienne. C’est vrai qu’on n’avance pas très vite, mais on affiche une belle régularité.
C’est quoi le plus beau souvenir qui reste de la Ligue Europa ?Le plus marquant, c’est l’élimination à Bâle, mais le plus sympa, c’était la qualification à Rosenborg. On a fait nul là-bas. Contre Bâle, c’est l’ascenseur émotionnel, de passer en 5 minutes ou plutôt 5 secondes de la qualification à l’élimination, c’est violent.
Les soirées de match européen, tu as senti la différence à Geoffroy-Guichard ?Oui, il y a un parfum particulier, les supporters sont nostalgiques des belles soirées qu’ils ont pu vivre. À Saint-Étienne, ces matchs, c’est vraiment spécial, la ville aime la Coupe d’Europe.
Tu as été formé à Lyon, aujourd’hui tu joues pour les Verts. À ton arrivée, on te l’a fait sentir ?Pas du tout, je n’ai jamais été titulaire en puissance à Lyon même si j’y ai été formé et j’ai joué des matchs. On ne m’a jamais fait ressentir cela, mais c’est peut-être aussi dû au fait que je sois passé par les Glasgow Rangers et le PSG, je n’ai pas fait le chemin direct. Ceux qui l’ont fait, cela a été plus compliqué pour eux.
Quand on a porté les deux maillots, les derbys on les dépassionne ?Cela reste le match que l’on joue pour toute la ville, pour le club et les supporters. Sur n’importe quel derby, tout joueur, même s’il n’est pas de la région, tente tout pour ce match. C’est une façon de jouer un match pour les autres, alors que d’habitude, les matchs de championnat, on les joue pour gagner des points, être bien classé. Un derby, c’est différent, tu le joues pour toute ta ville.
Tu as connu le Grand Lyon des années 2000, tu as notamment joué un match de Ligue des champions contre le Sparta Prague gagné 5-0 avec une équipe remaniée. Ce Grand Lyon, tu le situes où par rapport au PSG actuel ?Lyon ne dominait pas autant le championnat que Paris le fait aujourd’hui, et Lyon n’avait pas le même budget. C’était un beau budget pour la France, et leurs performances européennes étaient remarquables par rapport à ce budget. Paris surclasse tellement le championnat, qu’ils me paraissent supérieurs aux années lyonnaises. Paris a vraiment une équipe pour gagner la Ligue des champions un jour. L’OL des années 2000 n’était pas programmé pour aller au bout.
Entre Lyon et Paris, tu as connu une parenthèse aux Glasgow Rangers. Tu es parti simplement pour suivre Paul Le Guen ?C’est ça, j’étais jeune, une quarantaine de matchs en Ligue 1 seulement. J’aurais pu aller dans un autre club français, mais je suivais un entraîneur que je connaissais, j’allais dans un club mythique. J’avais envie de cette expérience. J’ai de très bons souvenirs des fans, de la ferveur. J’ai été marqué sur un match, où un joueur avait raté un penalty et tout le stade s’était levé pour l’applaudir et l’encourager. Ce sont des choses que l’on ne voit pas forcément en France. Et la qualité des terrains… Vraiment une expérience de vie, car là-bas, il pleut pas mal, mais c’est un beau pays avec des gens accueillant.
Tu n’avais pas le droit de porter du vert…Oui, comme à Lyon (rires). Avec les Rangers, le vert, c’est seulement la couleur de la pelouse.
Paul Le Guen s’était mis à dos Barry Ferguson. Pour lui, le plus gros souci, cela a été le choc des cultures ?Je pense que Paul avait été recruté pour amener une certaine rigueur que les clubs écossais n’avaient pas alors. Le choc des cultures a peut-être été trop important. Après, je sais qu’on était beaucoup de francophones, donc forcément dans un groupe, on a tendance à rester un peu entre nous, à être moins ouverts aux autres, à moins pratiquer l’anglais. C’était peut-être aussi notre faute, on n’a pas tout fait. Personnellement, je me sentais bien intégré, mais je parle d’un ensemble.
Tu entends quoi par manque de rigueur ?On arrive deux heures avant le match, il y a moins de contraintes. Mais personnellement, cela m’allait bien, ce côté « j’arrive deux heures avant le match, musique à fond dans le vestiaire, on oublie tout sur le terrain et on oublie le match une fois qu’il est terminé » . Paul Le Guen avait apporté une méthodologie un peu différente, mais il n’a pas non plus tout révolutionné, il n’y avait pas de mises au vert et il a laissé des libertés, les méthodes écossaises. Il avait instauré un déjeuner après les entraînements, des petites choses.
Barry Ferguson, c’était l’âme du club, il était comment dans la vie de tous les jours ?Il avait les Rangers dans le sang. Il y avait un mur avec les noms des gens ayant marqué l’histoire du club. Lui, il avait déjà son nom, alors qu’il jouait encore. Cela montrait bien son importance. C’est une figure du club, beaucoup de gens s’identifient à lui.
Tu quittes le club dès janvier…J’ai eu une discussion avec les dirigeants, ils étaient satisfaits et voulaient me conserver. Moi, j’étais venu pour l’entraîneur, et j’avais l’opportunité de rentrer en France à Paris. Pour un joueur, l’opportunité de jouer au PSG, ce n’est pas rien non plus, donc j’ai fait le choix de rentrer. Un choix de carrière et un choix de vie, car ma femme, même si elle a bien aimé l’Écosse, voulait se rapprocher de la France. C’était le PSG surtout, même si ce n’est pas le PSG de maintenant, on est toujours flatté quand ce club vient vous chercher.
Cela ressemble à quoi de jouer le maintien avec le PSG ?Ce n’est pas évident. Il faut se battre sur le terrain, tu ne peux pas te cacher, ce sont des matchs d’hommes avec beaucoup de pression. Vis-à-vis des médias et des supporters, cela met la pression. Mais j’ai aussi eu la chance de faire des finales avec Paris. Paradoxalement, on n’était pas bien en championnat et on avait fait deux finales. Il y a eu une saison où, à chaque tour, on tirait la plus petite équipe, c’était la chance du PSG…
À Paris, tu as évolué avec Claude Makelele, une légende vivante à ton poste…Forcément, tu apprends plein de choses. C’était une chance d’évoluer à ses côtés. Il était toujours de bon conseil, je l’observais. C’est quelqu’un de bien apprécié dans le vestiaire, compétiteur sur le terrain et bien marrant en dehors. Il ne ratait jamais un match, jamais blessé. Certaines personnes sont des monstres de la nature qui récupèrent plus vite, ne se blessent pas. Des joueurs et des physiques d’exception. Claude, il était carré sur le terrain, il l’est aussi en dehors. Même dans les affaires, dans les contrats qu’il a signés, je pense qu’il n’était pas facile en affaires.
Le plus grand joueur avec qui tu as évolué ?J’ai eu la chance d’évoluer avec beaucoup de grands joueurs. Pauleta à Paris, Juninho à Lyon… Marcelo Gallardo m’avait marqué, un superbe joueur. L’équipe type de Lyon, c’était fantastique aussi. Mais on s’en rend compte après, dans le moment présent on n’a pas le recul.
Cela te donne envie de devenir entraîneur ?Pour le moment non, je pense surtout à profiter de ma carrière, je suis plus proche de la fin que du début. Je ne sais pas si j’ai la fibre pour être entraîneur ou rester dans le football. Mais il faut que je me pose la question, que j’y réfléchisse…
Propos recueillis par Nicolas Jucha