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« Avec Fletcher, on se regardait et on était morts de rire »

Propos recueillis par Charles Alf Lafon
9 minutes
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Outre Granville, la belle histoire de cette Coupe de France, c'est Trélissac. L'autre TFC a fait tomber Clermont et Lille, avant de céder face à l'OM. Rencontre avec Eymeric Rucart, héroïque portier du match face aux Lillois.

Avec Lille et Marseille, votre parcours commence contre Clermont, pensionnaire de Ligue 2, en 64es de finale. On était contents. Enfin, on était quand même un peu dégoûtés parce qu’on a envie d’aller le plus loin possible en Coupe de France. On l’a abordé sereinement parce qu’on n’avait rien à perdre. On était chez nous, avec le public derrière, 1500 personnes. Après, on marque sur penalty à la 5e. En même temps, ils étaient pas super dangereux offensivement, et nous, on sort un gros match. Clairement, on domine. Si on doit gagner 3-0, c’est pareil.

Vous changez de tactique pour ce genre de rencontres ? La tactique reste la même, on joue en 4-1-4-1 comme en championnat. C’est la motivation individuelle qui change, parce qu’on a la chance de jouer contre des équipes professionnelles, ça nous met un peu en valeur et ça permet de comparer l’écart de niveau. Quand chaque joueur joue à 200%, on voit la différence sur le terrain.

Vaut mieux perdre contre une Ligue 1 que contre Saint-Malo.

Après Les Murets, une DH, battue 2-0, vous retrouvez Lille en 16es. Pour moi, c’était clairement un bon tirage : j’espérais au moins jouer contre une Ligue 1. En plus, c’est à Périgueux (le stade du TFC est trop petit, ndlr), tout le monde est content. C’était aussi l’occasion de revivre ce que j’avais vécu en 2010, lorsqu’on avait reçu l’OM. Parce que de toute façon, nous, club de Trélissac, la Coupe de France, on ne l’aurait pas gagnée. Vaut mieux perdre contre une Ligue 1 que contre Saint-Malo. Là, au pire, tu perds, ils ont été meilleurs, toi t’as tout donné, merci au revoir. Sauf que là, on gagne.

Le moment décisif, c’est le penalty raté par Benzia ?Clairement. On vient d’égaliser à la 57e par Nico Cavaniol, et ils ont un penalty à 63e, dans ces eaux-là. C’est pas de bol pour nous. Heureusement, j’ai réussi à l’arrêter. On se dit : « Merde, on est encore en vie. C’est un petit miracle qui s’est produit, pourquoi pas en faire un deuxième ? » Alors on ne lâche rien, et on tient jusqu’à la séance de penalty.

Et là, tu te retrouves encore face à Benzia.En fait, je vois qu’il change sa course d’élan et je me dis qu’il va changer de côté. Il a voulu tellement s’appliquer et taper plus fort qu’il la met à côté. Le deuxième que j’arrête, c’est face à Ronny Lopes. Je sais qu’il a tendance à aller tout doucement vers le ballon, à attendre le dernier moment que le gardien choisisse une direction. Du coup je me suis dit, c’est pas moi qui bougerai. Vu qu’il est arrivé lancé, j’ai pensé que c’était sûr qu’il allait ouvrir son pied, qu’il allait vouloir assurer. Généralement, les gauchers, quand ils font ça, ils ont tendance à ouvrir, alors je suis parti là-dessus. Ça a payé.

Je ne suis pas agoraphobe, mais je ne suis pas non plus fan de la foule.

Tu avais étudié leur manière de tirer ? Personnellement, pas du tout. Le coach m’avait dit qu’ils avaient tendance à tirer à ma droite. Mais c’était avant le match, au cas où. Avant la séance, il ne m’a rien dit. Les joueurs sont restés de leur côté, et nous, on est restés entre gardiens, tous les quatre avec l’entraîneur des gardiens. On s’est mis dans notre bulle de gardien, et après, c’était parti. Dans une séance de penaltys, le rôle du gardien, c’est d’arrêter. On a un boulot à faire, et c’est tout. J’arrête juste celui qu’il faut. Il faut aussi saluer les frappeurs qui ont fait leur part du job.

Comment as-tu vécu l’envahissement de la pelouse ? Les gens avaient l’air dingue. C’est assez surprenant. Je ne suis pas agoraphobe, mais pas non plus fan de la foule. Quand tu vois ça, tu te demandes : « Mais qu’est-ce qu’il se passe ? » En plus, je n’étais pas avec le groupe qui est parti à l’opposé. Il y a juste Steven Papin qui est venu me voir. Et là, des gens sont arrivés de partout, je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Des gens qui te félicitent, qui te sautent dessus, qui te disent : « c’est bien, c’est bien » . Moi, sur le coup, j’avais un peu peur.

T’es devenu une vedette à Périgueux ?Tu n’imagines pas à quel point ! Tout le monde voulait mon contact, que ce soit la presse papier, la radio, les télés… Énormément de gens sur les réseaux sociaux aussi m’ont félicité. Ça nous a mis sous les feux des projecteurs. On a eu Eurosport, Téléfoot… J’ai essayé de gérer ça le mieux possible, de répondre au maximum de gens, pour bien faire les choses. Il y a eu aussi l’agitation au lycée, où je suis surveillant, surtout à l’internat. Au moment du repas, quand on était tous ensemble, ils ont tous scandé mon nom et tapé les couverts contre les plateaux, c’était marrant. Et puis il y avait le regard des demi-pensionnaires, qui se disaient : « Mais merde, c’est lui ! » , ça faisait un peu bizarre. Ou alors ils te disent « bravo, bravo » . Bon, tu sais pas trop qui c’est, mais merci quand même (rires).

C’est la différence entre le monde pro et le monde amateur, ils n’ont pas besoin de dix mille occasions, c’est ficelle.

À peine le temps de se remettre de cette célébrité que c’est déjà le tirage au sort. Je travaillais, alors j’y ai assisté en FaceTime avec Jérome Joly (le 3e gardien) sur son téléphone. Il y avait le tirage en direct au complexe cinéma de Périgueux, sur grand écran et tout, et lui, il me filmait l’écran. Sauf qu’avec le réseau et la lumière, je voyais pas grand-chose, il y avait du bruit, donc j’entendais pas non plus. Et à un moment, je vois Trélissac, et je dis « C’est nous ! c’est nous ! » Et il dit « oui, oui c’est nous ! » Et après, je vois pas qui on tire, j’entends crier, alors je crie : « Mais c’est qui, c’est qui ? » et il crie : « C’est Marseille ! » Je me dis : « Allez c’est bon… » Encore eux ! On est contents de tirer l’OM, mais on est vite frustrés par la décision de la Fédération de déplacer le match à Chaban-Delmas. Nous, on voulait une fête comme on avait pu avoir contre Lille, où on avait 7 500 supporters, une ambiance de folie. Là, on s’imaginait déjà avec 13 000 personnes, ça aurait été en ébullition. Bon, ils nous ont envoyés à Chaban. On allait quand même jouer dans un stade mythique, où les plus grands ont joué, mais quand on pense à tous ceux qui n’ont pas pu faire le déplacement, c’est dommage. C’était en semaine, tôt, à Bordeaux, ça faisait beaucoup. On a quand même eu une super ambiance.

Marseille, ça rappelle évidemment les souvenirs de 2010, où l’OM de Ben Arfa, Cheyrou et compagnie s’était imposé sans peine à Périgueux.À l’époque, la moyenne d’âge de l’équipe était de 22 ans, c’était la première fois pour la plupart qu’on jouait contre une L1, devant 10 000 personnes. Sur ce match-là, on les a regardés jouer. Alors que là, on est tous plus expérimentés, avec des joueurs qui ont connu ce genre de choses.

D’ailleurs, vous avez réussi à faire jeu à peu près égal.On a plutôt bien joué. On a réussi à leur faire mal dans la profondeur, à percer leurs lignes, à faire des exploits individuels. Parfois, ils avaient le ballon sans être particulièrement dangereux, alors que nous, on réussissait à ressortir proprement malgré le pressing. On n’a pas à rougir. Avec Fletcher, on s’est regardés deux-trois fois et on était morts de rire. On prend deux buts sur deux petits détails. Alessandrini, il part, il a un contre favorable, il se retrouve au milieu de trois joueurs, il ne doit pas passer, et puis voilà, pleine lucarne. Il me met un sacré but. Le deuxième, on essaye de jouer trop proprement, c’est contré et voilà. C’est la différence entre le monde pro et le monde amateur, ils n’ont pas besoin de dix mille occasions, c’est ficelle. On a perdu, c’est le jeu. On n’a pas su mettre ce petit but pour les faire douter, c’est dommage, on a eu des occasions. Steven est tombé sur un énorme Mandanda. On ne s’en rend pas trop compte à la télé, mais le mec est une machine. Il fait 1,90m, il doit faire 90 kg, c’est un monstre physiquement, et il va très très vite au sol. C’est un gardien de classe internationale. Il a fait la différence.

Cette année, j’ai récupéré le maillot de Sunzu à Lille, maillot et gants d’Elana, et maillot, gants et brassard de Mandanda. Ils sont sur cintre. Je ne les porte jamais, ils sont lavés, propres, intacts, ils ne bougent plus.

Comment tu te sens à la fin du match ?On a vécu un truc énorme. Un 8e de finale, ça n’arrive pas tous les ans dans une carrière. Dans la foulée, on a demandé à Mandanda si on pouvait entrer dans leur vestiaire. On a pu récupérer des souvenirs, comme Lille et Clermont l’avaient aussi fait d’ailleurs. Cette année, j’ai récupéré le maillot de Marc-Aurèle Caillard, le gardien de Clermont, celui de Sunzu à Lille, maillot et gants de Steve Elana, et maillot, gants et brassard de Mandanda. Ils ont rejoint ceux que j’avais récupérés en 2010, et puis les autres, sur cintre. Je ne les porte jamais, ils sont lavés, propres, intacts, ils ne bougent plus. Juste celui de Sunzu parfois pour aller à la salle de musculation.

Comment tu te reconcentres sur la CFA après un tel parcours ? C’était beau, c’était sympa, mais l’objectif reste la montée en National. Bon, ça ne change pas trop mon statut à moi, je joue toujours en réserve. Je préfère jouer en DH que numéro 2 en CFA, même si c’est moins valorisant, moins de médias, moins gratifiant. Tout ce que je veux, c’est jouer au foot, faire des bons matchs. Je ne me prends pas la tête. On verra bien ce que demain nous réserve.

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