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  • Itw Michel Dussuyer (Partie 2)

« Avec Ebola, on nous prenait pour des pestiférés dans les aéroports étrangers »

Propos recueillis par Christophe Gleizes et Barthélémy Gaillard, à Abidjan
10 minutes
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Avec Ebola, on nous prenait pour des pestiférés dans les aéroports étrangers<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Nommé sélectionneur de la Côte d'Ivoire en août dernier, le Français Michel Dussuyer est pour la première fois de sa carrière sous le feu des projecteurs. Entre deux cigarettes sur la terrasse de l'hôtel du Golf d'Abidjan, le successeur d'Hervé Renard a pris le temps de discuter de son expérience au Bénin, de son retour en Guinée, du virus Ebola et des ministres des Sports en Afrique.

Malgré cet échec à Cannes, vous avez bien rebondi en prenant dans la foulée la tête du Bénin… Ça faisait quelques mois que j’avais des contacts avec eux. Mais ça ne se faisait pas parce qu’il y avait, comme très souvent en Afrique, des divergences de points de vue entre le président de la Fédération et le ministre des Sports. Du coup, ils ont commencé les éliminatoires de la CAN avec un entraîneur local, mais ils ont pris 3-0. Derrière, tout s’est accéléré ! Je suis arrivé encore une fois dans l’urgence.

Vous avez eu des bons résultats aussi là-bas, comparativement à la qualité de votre effectif… Le Bénin, c’était une équipe à petit potentiel. Il y avait Stéphane Sessègnon et Mickael Poté en têtes d’affiche. Mais on a quand même réalisé de belles choses. Lors des éliminatoires de la CAN, on a éliminé l’Angola, et on a même battu le Ghana à Cotonou en marquant dans les arrêts de jeu. Cela fait partie des très bons souvenirs. Mais les meilleurs souvenirs pour moi sont avant tout liés aux après-matchs, à l’ambiance, aux gens sur le bord de la route et à l’hôtel.

Vous avez l’air de quelqu’un d’assez réservé, mais vous êtes un homme de troisième mi-temps en fait ?(Rires) Pas du tout, mais alors pas du tout. Je parlais plus des sourires et des regards que vous donnent les supporters. Quand vous avez la sensation d’avoir rendu les gens heureux, même un moment, moi ça me touche. Quand l’équipe de France a de mauvais résultats, il y a de la déception, mais on passe vite à autre chose. En Afrique, il y a moins de substituts pour le plaisir. Il y a une émotion qui est encore plus forte, dans la victoire comme dans la défaite. La passion, elle est là, et le contexte fait que les gens sont encore plus attachés à l’équipe nationale. Le foot se vit plus intensément.

Quand vous êtes à Conakry par exemple, vous ne pouvez plus circuler à partir de 5 heures du soir parce que les rues sont bloquées par les matchs !

Qu’est-ce qui fait que les gens sont encore plus dingues de foot ici qu’ailleurs ?Ce qui est frappant quand on voyage en Afrique, c’est de voir les gamins jouer partout, dans les rues ou sur les plages, entre deux touffes d’herbe ou des pierres. Tout le monde pratique ici, il n’y a pas la Playstation comme en Europe. Du coup, il faut faire attention à eux quand vous êtes en voiture ! Quand vous êtes à Conakry par exemple, vous ne pouvez plus circuler à partir de 5 heures du soir parce que les rues sont bloquées par les matchs ! (rires) Outre cette passion, je pense que les Africains ont des prédispositions naturelles pour le football. À leurs qualités athlétiques, il faut ajouter ce sens du rythme qu’ils ont de façon innée. Il faut bien voir : il n’y a pas un Africain qui danse mal ! Toute cette coordination, cette maîtrise, cette science du tempo entre plus tard en relation directe avec la qualité technique et gestuelle d’un joueur. C’est un capital incroyable.

C’est aussi quelque chose qui rend les footballeurs africains particulièrement attractifs sur le marché… Plus que jamais, les jeunes joueurs s’exportent, par tous les moyens. Tous rêvent d’Europe, mais beaucoup se font arnaquer par des agents véreux qui leur promettent monts et merveilles, avant de les abandonner… Il y a beaucoup de choses à dire sur le sujet. Il y a un attrait si fort de l’Europe, qui représente l’argent, la reconnaissance, les contrats, la Ligue des champions, que c’est facile de jouer de leur crédulité. Les jeunes se reconnaissent dans la réussite de leurs compatriotes qui atteignent le très haut niveau. Et il y a des aspects sociaux aussi : la famille pousse le joueur à partir, car elle mise sur lui, elle veut bénéficier plus tard des revenus qu’il pourra tirer de son talent. Tout cela pousse les joueurs à partir à l’aventure sans s’entourer des garanties nécessaires. Notamment auprès d’intermédiaires qui n’ont d’agents que le nom. Après, c’est comme partout, c’est pas que le foot. Il y a des gens qui vivent sur le dos de la naïveté humaine depuis toujours. Les passeurs qui embarquent les migrants sur des navires de fortune et qui s’en foutent, ils sont pas mal aussi…

Pour en revenir aux terrains, votre histoire s’est mal terminée avec le Bénin. Après son élimination au premier tour de la CAN 2010, l’équipe a été accusée par la Fédération de ne pas être assez patriote, avant d’être dissoute… Oui, c’était un problème de primes à l’origine, comme ça arrive tout le temps en Afrique. Les fédérations ne veulent pas s’occuper du problème en amont. Du coup, on découvre le problème lors des rassemblements, et plus le temps passe, plus la pression monte et plus les camps s’opposent. Concrètement, les joueurs ont revendiqué leurs primes de match, mais cela n’a pas plu à Sébastien Ajavon (un homme politique béninois actuellement candidat à la présidentielle, ndlr) qui a décrété du jour au lendemain que les joueurs n’étaient pas patriotes. L’équipe a été dissoute dans sa totalité, du jour au lendemain. Vous essayez de construire quelque chose pendant des années, et soudain, quelqu’un débarque pour taper dans le château de sable et tout détruire. C’est très choquant. L’équipe a eu beaucoup de mal à se relever de cette décision. Au début, les joueurs ont été suspendus, et remplacés par des joueurs locaux. Mais leur niveau était si bas, que la fédération a du faire de nouveau appel aux expatriés, six mois après. Seulement, ils n’étaient pas plus patriotes que six mois plus tôt ! (rires) Je garde un goût amer de cette fin. Avec le Bénin, on n’avait pas de grosses ambitions, mais au moins, on avait une vraie progression. On a pris le premier point de l’histoire du pays en phase finale de CAN. On était sur une bonne dynamique, on avançait. C’est dommage.

À Conakry, on devait respecter des mesures d’hygiène et faire passer des discours auprès de la population, car une partie des gens refusaient de croire qu’Ebola existait. Il y a même eu des gens d’une équipe sanitaire qui venaient diffuser l’information dans les villages qui ont été tués… C’est dire.

Le seul point positif de cette éviction, c’est que cela vous a permis de retourner par la suite en Guinée, où vous êtes très apprécié. Vous êtes restés cette fois plus de cinq ans à la tête du Sily…Oui, j’avais laissé un bon souvenir de mon premier passage, donc les choses se sont faites simplement. J’ai prolongé deux fois, j’ai eu une belle longévité, même s’il y avait des désaccords comme toujours entre la Fédération et le ministère. Mais bon, même si j’ai connu deux présidents et trois ministres, je leur ai survécu (rires). C’est assez rare pour être souligné.

Vous avez aussi survécu à l’épidémie d’Ebola… Moi, personnellement, je n’ai pas été trop effrayé, puisque j’étais basé dans la capitale et que le foyer d’Ebola était près de la frontière, à plus de 700 kilomètres. À Conakry, il y avait des mesures d’hygiène à respecter et des discours à faire passer auprès de la population, car une partie des gens refusaient de croire qu’Ebola existait. Il y a même eu des gens d’une équipe sanitaire qui venaient diffuser l’information dans les villages qui ont été tués… C’est dire. Après, beaucoup de choses ont été déformées. C’est le prisme des médias, vous le savez aussi bien que moi. Tant que ça n’avait pas touché l’Europe, ça restait confidentiel, on en parlait un petit peu, mais avec condescendance. Quand il y a eu un premier cas en Espagne, là c’est devenu le buzz ! L’information a pris de l’ampleur dans des proportions anxiogènes qui dépassent la réalité même.

Dans quelle mesure votre travail a-t-il été touché ?On nous a empêchés de disputer les matchs à Conakry, on devait jouer à Casablanca sur terrain neutre. Cela passe encore. Mais le pire, c’était le climat de défiance des clubs européens qui demandaient aux joueurs de ne pas se rendre en sélection. Il ne faut quand même pas abuser ! Les joueurs sont en Europe, ils prennent un billet d’avion pour jouer au Maroc et repartent dans leur club. Donc où est le risque ? C’est le vrai problème que l’épidémie a posé : par association d’idées, tous les Guinéens ont commencé à être traités comme des pestiférés. Moi, j’avais pas envie de choper Ebola, les joueurs de l’effectif non plus. On prenait des mesures au quotidien pour se surveiller les uns les autres. Mais ce que les gens oublient, c’est qu’en plus, Ebola n’est transmissible qu’à partir du moment où la maladie s’est déclenchée, ça ne marche pas en période d’incubation. C’était encore plus « facile » à gérer, on prenait la température de tout le monde matin et soir, s’il y avait de la fièvre, on écartait la personne. Mais visiblement, ça ne suffisait pas. Quand on allait à l’étranger, on nous mettait de côté à l’aéroport, on nous habillait d’une combinaison de pied en cap. Des pestiférés, quoi…

Le plus important pour moi, ce n’est pas seulement de gagner des titres, c’est aussi de bien vivre. Et il se trouve que je suis très heureux en Côte d’Ivoire pour l’instant. Le retour en Europe, ce n’est pas pour tout de suite.

Sur un plan plus sportif, l’expérience guinéenne s’est terminée en eau de boudin avec ce quart de finale du championnat d’Afrique perdu 3-0 contre le Ghana, sans la manière…Ce match fait partie de ceux que je déteste le plus, ces défaites où on ne fait rien. C’est un gros regret. Même si on perd, j’aime que mes équipes montrent quelque chose, mais là, c’était le trou noir. On se complique la tâche d’entrée avec des erreurs individuelles flagrantes. Cela ne pardonne pas face à une équipe comme le Ghana… Après, même si ça n’excuse pas tout, il faut aussi dire qu’on n’a pas pu préparer le choc comme on le voulait. On a eu du retard la veille avec l’avion, on a attendu toute la journée dans le hall, on a pu s’installer seulement à 21 heures à l’hôtel. Le Ghana, eux, ils étaient mieux reposés.

Les problèmes d’organisation sont récurrents sur le continent…Oui, dans les pays où je suis passé, j’ai eu des problèmes de tout poil (rires). Cela peut être des problèmes de transport, local, international, de réservation d’hôtel. Mais bon, au moins, ça pousse à s’adapter. L’adaptation, en Afrique, c’est le maître mot. En Côte d’Ivoire, c’est différent, l’organisation est d’un autre niveau. Mais j’ai quand même gardé mes vieux réflexes, je suis toujours derrière les gens à demander : « Ça a été fait ça ? Et ça, ça a été fait ? » Les gens ici pensent que je n’ai pas confiance, mais c’est plus fort que moi !

C’est un réflexe de vieux briscard. Après plus de dix ans passés en Afrique, est-ce que vous avez quelque part l’impression d’avoir ouvert la voie aux entraîneurs français qui sont nombreux aujourd’hui sur le continent ?Je ne pense pas avoir une grande influence sur le phénomène, je crois surtout que c’est une conséquence de la saturation du marché du travail en France. Il y a une quarantaine de clubs pros, une soixantaine avec les équipes de National, la demande est stable, et l’offre s’étend. Beaucoup d’entraîneurs sur le marché font le choix de l’Afrique pour trouver du travail. C’est plus facile que dans d’autres pays, en raison de nos liens culturels et historiques.

Vous ne vous sentez pas un peu précurseur quelque part ? Je ne sais pas si je suis précurseur. En tout cas, je fais mon bonhomme de chemin. Le plus important pour moi, ce n’est pas seulement de gagner des titres, c’est aussi de bien vivre. Et il se trouve que je suis très heureux en Côte d’Ivoire pour l’instant. Le retour en Europe, ce n’est pas pour tout de suite.

Dans ce cas, que peut-on vous souhaiter pour le futur ?Je dirai d’atteindre mes objectifs, qui sont nombreux, entre la défense du titre de la CAN et la qualification à la Coupe du monde. J’ai très envie de rejouer la Coupe du monde. Et peut-être aussi pouvez-vous me souhaiter de longues années en Afrique encore. Mais ça, seul l’avenir nous le dira !

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Propos recueillis par Christophe Gleizes et Barthélémy Gaillard, à Abidjan

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