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- Interview 40 ans de Cédric Barbosa
« Avant, si on n’écoutait pas, on prenait cher ! »
Cédric Barbosa fête aujourd'hui ses 40 ans. Depuis Évian et la Ligue 2, le doyen du foot pro passe en revue l'ancienneté, les mentalités, l'étranger et même un Troyes-Sedan. La quarantaine rugissante.
Bon anniversaire ! 40 ans, ce n’est pas rien. Quelque chose de prévu ?C’est gentil ! Rien de prévu de particulier, non. Je sais pas si le club va faire quelque chose, mais moi, j’ai rien prévu. C’est vrai que c’est pas habituel dans le monde du football, surtout français. Mais je ne me prends pas la tête avec ça, je ne me considère pas comme un joueur de cet âge-là. Je le vis bien, pour l’instant.
Avec les années, atteindre la barre des 40 ans sur le terrain peut devenir une motivation ?Oui, toutes les motivations sont bonnes à utiliser pour vous aider a être performant. Donc oui, ça peut être une motivation. En revanche, un objectif ou un record, non, je ne cours pas après ça. Mais une motivation, c’est certain.
Vous pensez être un symbole ?Être un symbole, ce n’est pas le plus important. Ce qui est important, c’est si je contribue à ce que les mentalités changent un petit peu dans ce sens-là. Ça serait top, j’aurais laissé au moins ça au football français (rires). Si les gens, les présidents, les clubs peuvent évoluer un petit peu sur ce côté-là, ça serait bien pour mes jeunes coéquipiers, tout simplement.
Vous avez pu être victime de votre âge ?Mon club l’a forcément utilisé dans les négociations. J’ai un an de plus à chaque fois, donc quand on discute pour les contrats… Ça fait cinq ans (sur les sept au club, ndlr), chaque année depuis qu’on est en Ligue 1. On voit année par année. Ça peut se comprendre aussi, ça permet au club d’avoir une sécurité, moi ça me donne une motivation supplémentaire pour être performant. C’est un tout, c’est pas toujours facile à vivre quand on est joueur, mais voilà, c’est comme ça.
Vos bonnes performances n’ont jamais pu faire évoluer la situation ?J’ai toujours eu des bonnes stats depuis que je suis ici. À l’époque, on m’avait fait une proposition à mon sens indécente, j’avais même pensé à une blague sur le coup. Après, c’est rentré dans l’ordre, mais sur le coup, ça fait mal. Vous marquez huit buts, huit passes, on vous propose un contrat quasi à 40% de ce que vous aviez… Après, ça s’est arrangé. J’ai dû faire un petit effort. Malheureusement, mais c’est la loi du métier.
Comment expliquez-vous cette seconde jeunesse à partir de votre arrivée à Évian, à 33 ans ?En fait, ce sont mes stats qui ont gonflé. Auparavant, je faisais quand même des belles saisons dans les clubs où je suis passé, mais je jouais parfois plus bas, j’étais davantage à l’avant-dernière passe qu’à la dernière passe… Mais mes saisons étaient quand même bonnes. Depuis que je suis arrivé ici, j’ai une confiance en moi, une maturité. Mais ce n’est pas seulement ma mécanique à moi, c’est aussi ce que m’apportent mes coéquipiers. Bien se sentir dans l’équipe, dans le club, c’est un tout, pas que personnel.
Vous n’avez jamais joué à l’étranger, c’est un regret ?C’est pas un regret, mais c’est vrai qu’une petite aventure à l’étranger ne m’aurait pas dérangé. J’ai jamais trop été approché par des clubs, c’est comme ça, ma carrière est ainsi faite. Ça reste quelque chose qui m’aura manqué parce qu’apprendre une culture, un mode de fonctionnement différent dans le milieu du foot, c’est toujours enrichissant. Bon, je suis très content et très satisfait de ce que j’ai fait en France, c’est déjà pas mal. Après, avec des si, on peut refaire le monde.
Les mentalités par rapport à l’âge sont différentes à l’étranger ?On peut s’apercevoir qu’arrivé à la trentaine, en France, on est un peu regardé avec des yeux bizarres. Dans des championnats comme l’Angleterre ou l’Italie, il y a des joueurs qui ont 30, 34, 35 ans, ça ne pose pas de problème. Ils jouent aussi dans des très gros clubs, je pense à Maldini, Costacurta, dans des gros clubs quoi ! Terry… y en a plein ! Ça pose pas de problème à partir du moment où le joueur est performant. Ils ont des mentalités sûrement différentes, je pense qu’ils se disent que l’expérience et le vécu d’un joueur à très haut niveau peuvent être très intéressants pour les jeunes, pour les encadrer. Ils voient les choses complètement différemment, c’est tout. En France, on a la chance d’avoir de très bons jeunes donc, à valeur égale ou à salaire un peu moindre, on préfère mettre un jeune, ça coûte moins cher et on se dit qu’on peut avoir une plus-value à la sortie. C’est un mode de fonctionnement. Aussi, le fait d’avoir des budgets bien plus importants dans ces championnats fait qu’ils se posent moins de questions. Le risque est moins important. À la base, le jeune joueur coûte moins cher, avec l’espoir de pouvoir gagner de l’argent dessus s’il devient quelque chose. En France, les budgets sont restreints, tous les clubs doivent faire attention, c’est à cause de ça aussi, faut chercher à comprendre. La question se pose peut-être différemment. Si le joueur est performant, on garde les deux, alors qu’en France, on ne peut pas se le permettre. Faut chercher des raisons à tout cela, il doit y en avoir. Faut demander aux présidents !
En France, la situation n’évolue pas ?J’ai l’impression qu’on en revient un petit peu, je vois qu’il y a pas mal de joueurs d’expérience qui ont dépassé la trentaine et qui sont encore dans des clubs. Je pense à Hilton, qui est un des meilleurs joueurs de Montpellier cette année, à 38 ans. Des joueurs comme ça sont importants, et c’est dommage de s’en passer. Mais c’est mon avis, après…
Vous avez un rôle à part du fait de votre ancienneté ?Mon premier rôle, c’est d’être bon sur le terrain et de montrer l’exemple, avant tout. Ça reste le premier rôle, parce que si vous voulez prendre la parole dans un vestiaire et que vous êtes médiocre, on va dire : « Bon, il a du vécu, c’est un ancien, il est bien gentil, mais sur le terrain, il est pas trop performant, on n’a pas envie d’écouter, ou on va écouter et ça va rentrer d’un côté ou de l’autre. » Déjà que les mentalités modernes sont particulières… Donc j’essaie, tant bien que mal, à la fois à l’entraînement et en match, de donner l’exemple, par mon comportement et mes performances. Après, on a un rôle d’encadrement des plus jeunes, de guide. La situation dans laquelle on est cette année par exemple, je l’ai déjà vécue X et X fois, donc ça permet peut-être de leur donner des ressorts pour qu’ils soient libérés quand ils vont jouer le match du samedi, pour ne pas se mettre une pression parce que les points sont très importants chaque samedi pour nous (vendredi, ndlr).
C’est quelque chose qui vous est expressément demandé par le club ?Effectivement, le président m’utilise un petit peu pour avoir un rôle comme ça, c’est logique. Chez certains, c’est naturel, d’autres moins. C’est important de rendre un peu aux jeunes ce que j’ai pu apprendre de mes anciens coéquipiers. J’ai eu la chance de connaître de très grands joueurs, donc l’idée, c’est d’essayer de donner les conseils que eux m’ont prodigué par le passé. Sans prétention, sans se la raconter, en étant sincère et en essayant d’être juste et honnête avec eux, tout simplement.
Vous parlez de mentalités modernes particulières ?Aujourd’hui c’est tellement difficile avec l’entourage, au niveau familial, agent ou amis. Ils ont l’opportunité de jouer très tôt, de gagner un peu d’argent rapidement. Le fait de dire à un joueur qu’il a été bon alors qu’il a été très moyen, c’est pas lui rendre service. Donc c’est un rôle qu’on doit avoir. On a l’impression qu’ils écoutent, mais est-ce que ce qui rentre d’un côté ne ressort pas de l’autre ? Est-ce qu’ils ont envie d’entendre la bonne critique ou la critique qui leur fait plaisir ? Moi, j’ai toujours écouté. Mais à l’époque, si on n’écoutait pas, on prenait cher ! (rires) Les mentalités étaient différentes, dans les vestiaires, c’était complètement différent. Mais il faut vivre avec son temps, il faut évoluer. J’apprends à vivre avec eux, ils apprennent à vivre avec moi, c’est ce qui fait la cohésion et le charme du sport collectif.
La gestion à l’intérieur du groupe est plus laxiste aujourd’hui ?Je ne dis pas que c’est laxiste, je dis juste qu’aujourd’hui, l’argent… À un moment donné, on va peut-être moins chercher au fond de soi-même les choses, on pense qu’elles arrivent toutes seules. On se met un doigt dans l’œil, parce que ce n’est pas comme ça. À force de persévérer, de travailler, on arrive à pouvoir devenir quelque chose. On en a vu combien, des joueurs qui avaient énormément de qualité, mais parce qu’ils étaient un peu fêtards, parce qu’ils pensaient plus à la bagnole qu’à vraiment se mettre à fond dans leur métier, qui sont restés des joueurs normaux, alors qu’ils avaient des qualités exceptionnelles ? C’est arrivé dans tous les temps. Mais peut-être encore plus aujourd’hui parce qu’on leur vend du rêve très tôt. Ils commencent à joueur au foot et ils ont des salaires à 10 000 €. C’est pas la réalité des choses, ça peut faire tourner des têtes. Et ça peut aussi ne durer que deux ans.
Vous avez commencé en pro en 1994. Y a-t-il eu un moment charnière dans l’évolution du football depuis vos débuts ?C’est sûr que la Coupe du monde 98 a donné un essor important au football français. Mais on n’est pas encore au niveau d’autres championnats, on voit bien qu’on a du mal à remplir les stades, on voit bien que les politiques ne nous aident pas forcément au niveau fiscal, on voit bien que ce n’est pas simple, le football français. La preuve, tous les bons joueurs prennent la poudre d’escampette dès qu’ils peuvent, parce que les clubs étrangers ont des moyens. On a eu une certaine évolution, mais aujourd’hui, ce n’est pas suffisant. Est-ce que l’Euro va nous donner un nouvel élan ? Ça serait génial. Mais faut que ça ne soit pas que dans le milieu du foot, c’est un problème qu’il faut régler bien au-delà du foot.
Et vous, de quoi est fait votre avenir ?Très sincèrement, il y a plusieurs hypothèses, c’est pas encore défini. Je suis dans une situation où il faut que je me pose les bonnes questions, je sais que la reconversion est très importante. On a commencé à discuter depuis un petit moment avec mon président. Maintenant, je vais voir aussi ce que souhaite faire l’entraîneur. Mais en ce moment, on a des échéances importantes, parce qu’on joue des matchs au couteau tous les week-ends, donc on n’a pas trop le temps de se concentrer sur ça. Mais moi, je sais où je veux aller, je sais ce que je veux faire, si ce n’est pas cette année, ce sera l’année prochaine. C’est à voir en fonction de ce que tout le monde souhaitera, je ne suis pas le seul décideur, évidemment.
S’il fallait retenir un but de Cédric Barbosa, vous choisiriez lequel ?Je n’ai jamais marqué de fantastique but. Je dirais mon coup franc l’année dernière contre Lyon, ou mon but contre Dijon cette année. J’avais marqué aussi un très joli but avec Troyes contre Sedan dans le derby des Ardennes. Bon, ce sont des jolis buts, mais pas non plus des buts exceptionnels comme peuvent en marquer certains grands joueurs ! (rires)
Propos recueillis par Eric Carpentier