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Aux origines du « Kop » britannique
Décrit par Philippe Broussard comme l’endroit réunissant « les fidèles d’entre les fidèles », la tribune du kop des enceintes britanniques se porte garante des traditions d’un football dépassé par le business. Un endroit où il fait bon chanter debout malgré les sièges obligatoires et les séquelles laissées par une décennie de thatcherisme. Mais d’où vient cette appellation de « kop », au juste ? Plongée dans le passé, entre guerre des Boers et hommages nationaux.
À l’aube du XXe siècle, le Royaume-Uni demeure l’empire omnipotent, dont la capitale, Londres, rayonne des Indes orientales jusqu’en Argentine, en passant par l’Afrique australe. Ce dernier ensemble de territoires – qui s’étend de la forêt équatorienne à l’Afrique du Sud -, suscite justement de nombreux maux de tête pour Sa Majesté. Entre la guerre des mahdistes au Soudan ou encore le perpétuel conflit avec les forces françaises présentes sur le continent, bon nombre de colonies souhaitent se débarrasser du joug anglais. Mais l’un des conflits les plus importants de ce début de siècle reste la Seconde Guerre des Boers, une délicate opposition entre les deux Républiques boers (les Boers étant les premiers colons, qui venaient d’Allemagne et des Pays-Bas, à s’être installés en Afrique du Sud à partir du XVIIe) et l’Empire britannique. Une lutte indépendantiste qui mobilise peu ou prou 500 000 soldats de la reine Victoria, puis d’Edouard VII. Une force de frappe considérable qui n’empêche pas les Anglais de batailler trois ans durant, avant de soumettre finalement leurs ennemis le 31 mai 1902. En ayant tout de même concédé une débâcle si mémorable qu’elle inspira les fans de football pendant des générations.
La colline a des milliers d’yeux, dont ceux de Winston Churchill
23 janvier 1900. Colline de Spioenkop, à l’est du territoire sud-africain. 20 000 militaires unis derrière la bannière de l’Union Jack font face à quelque 8 000 hommes, qui se battent pour que la ville de Ladysmith ne tombe pas aux mains des Britanniques. S’ensuivent deux jours de combats acharnés, où, tour à tour, British et Boers contrôlent le sommet de la colline. Deux jours entre les boyaux, les attaques à la baïonnette, les fragments d’obus et l’odeur de cadavres en décomposition. Deux jours en enfer. Rapidement, les forces du Royaume-Uni tombent en rade de munitions et de réserves d’eau, dégradant le moral déjà bas des troupes toujours en vie dans les tranchées. À tel point que le lieutenant-colonel Thorneycroft n’a d’autre alternative que de sonner la retraite britannique. Au petit matin du jour 2, les généraux boers découvrent la colline abandonnée par leurs rivaux. Victoire. Et quelle victoire ! En sous-effectif, les Boers repoussent l’offensive, tuant ou capturant des centaines de soldats britanniques, et laissent un millier de blessés gésir au pied de la colline.
Cette défaite fit trembler et traumatisa une génération entière outre-Manche, notamment lorsque les premiers rapports furent rendus publics. « Des corps gisent ici et là. La plupart des blessures sont horribles. Les éclats et fragments des obus les ont broyés et mutilés. Les tranchées peu profondes sont remplies de morts et de blessés » , écrit Winston Churchill, alors reporter en Afrique du Sud et qui prit part aux combats. Au même moment, la Football League est en pleine expansion. Sunderland vient de remporter la First Division qui compte 18 équipes, où plus de 11 200 supporters suivent en moyenne chaque rencontre au stade. Le rapport social des Anglais au sport étant ce qu’il est, nombreux sont les fans à vouloir rendre hommage aux compatriotes tués à Spioenkop. Ainsi, dans la conception collective, beaucoup de tribunes derrière les buts deviennent au fur et à mesure des « kops » , un lieu où se réunissent les plus modestes des fanatiques.
« Le kop est une grande société, unie et fidèle »
Ce surnom vient simplement de la disposition architecturale et humaine. Escarpée, abrupte, souvent noire de monde et peuplée d’irréductibles partisans prêts à donner sang et âme pour leurs couleurs… Les analogies entre le kop et cette colline sud-africaine semblent toutes trouvées. D’ailleurs, le premier, ou plutôt la première à en faire part dans un document officiel est une journaliste londonienne s’étant rendue au Manor Ground, premier stade de l’histoire d’Arsenal. Suivront des dizaines et des dizaines de kops à travers le Royaume-Uni (Leeds, Derby County, Liverpool, Leicester, Sheffield…) et même – bien plus tard, cependant – dans le reste de l’Europe (Kop of Boulogne au Parc des Princes), une fois que le terme de « kop » sera assez démocratisé. Aujourd’hui, cela fait tout bonnement référence aux gradins les plus chauds d’une enceinte (Südtribüne à Dortmund, la Curva Nord chez les Laziale, le Virage Nord de Gerland…) où se concentrent les plus fervents supporters.
Toutefois, si Arsenal a officiellement hérité de la première occurrence en 1904, le kop le plus connu et respecté de tous se situe davantage au nord-ouest de la perfide Albion, à Liverpool. Une fois l’exercice 1905-1906 fini, la direction du club décide de détruire Walton Breck Road pour la remplacer par une nouvelle tribune avec de meilleures capacités, afin de répondre à l’augmentation de spectateurs. Son nom ? Le Spion Kop, naturellement, qui, selon la légende, pouvait accueillir jusqu’à 37 000 Scousers déchaînés avant l’installation obligatoire de sièges en 1990. Et qui donna, ensuite, le surnom de « Kopites » à tous ses habitués. Mais c’est encore Bill Shankly, manager mythique des Reds pendant 15 ans, qui le dépeint le mieux. « Le Spion Kop à Liverpool est une institution. Si vous faites partie du kop, vous vous sentirez comme membre d’une grande société, où vous aurez des milliers d’amis tout autour de vous. Et ils sont tous unis et fidèles. » À l’instar de soldats britanniques coincés au pied d’une colline sud-africaine.
Par Eddy Serres