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Aux « Gars de la Rive », les copains d’abord
Avant d'aimer le football professionnel, nous sommes tous, au fond, amoureux du foot du dimanche. Plongée dans l'un de ces clubs amateurs, les Gars de la Rive.
Le dimanche matin, ils bravent la gueule de bois et la chaleur de leur plumard pour aller se les cailler sur des terrains de foot défoncés dans des bleds paumés aux noms imprononçables. Eux, ce sont les gars du foot amateur. Un football qui n’est pas forcément au top de sa forme. Chute du nombre d’inscrits, baisse des subventions, violences, disparition (ou fusion) forcée de clubs, le tableau général n’est pas réjouissant.
Nous sommes à Locquirec, petite bourgade côtière du Nord-Finistère. En 2010, les dirigeants des Gars de la Rive (nom donné au club après la fusion entre les deux bourgs de Guimaëc et Locquirec) ont dû se faire une raison : malgré leurs efforts pour faire vivre ce club, il n’y a d’autres choix que de mettre la clé sous la porte. Et quand un club de foot disparaît, c’est le village tout entier qui y perd un peu de son âme. Mais c’est bien connu, les Bretons sont têtus. Alors quand on leur a dit que les Gars de la Rive n’existeraient plus jamais, une bande de potes en a décidé autrement. Quitte à faire un bras d’honneur à la fatalité.
Sept divisions d’écart
En 2012, sous l’impulsion de Florent, Pierre, Joseph et Syprien, les Gars de la Rive renaissent de leurs cendres. Quelques coups de fil aux collègues, un peu de bouche à oreille, et voilà que les GDLR sont de retour. L’idée ? Créer un groupe capable de faire bonne figure face aux adversaires de la région mais, surtout, de se faire plaisir, de se marrer. Et si certains ne donnaient pas cher de la vie de ce club sur la durée, force est de constater qu’ils se sont plantés. Et en beauté. En deux ans, les Gars de la Rive ont mis sur pied une équipe solide, soudée et même talentueuse.
Obligés de repartir du plus bas niveau du foot français, en 4e division de District, les Finistériens n’ont pas traîné à gravir les échelons. Résultat : deux montées consécutives en deux ans et un début de saison 2013-2014 ponctué par une qualification historique pour le 3e tour de Coupe de France. Avec au programme, une confrontation face à une équipe de Plouvorn (DH) évoluant 7 divisions au-dessus de la leur. Sept div’ d’écart, c’est comme si le PSG se déplaçait chez une équipe de DSE. Inutile de préciser que pour les Gars de la Rive, ce match de coupe n’a rien d’ordinaire. Et pour que ce jour reste gravé dans les mémoires, les gaziers n’ont pas fait les choses à moitié. Grillades, sono et apéro : la kermesse générale.
Pom-pom girls et mini-shorts des seventies
Ce match, les joueurs y pensent depuis des semaines. Au point de filer des insomnies au jeune coach de cette team. Joseph Corson (footballeur de talent passé notamment par Plabennec, en National) raconte : « Je deviens fou. Il m’arrive même de me lever la nuit pour noter dans mes carnets une idée qui m’est venue en dormant ! » Une page Facebook a même été créée pour permettre à chacun d’y aller de sa petite idée. Et question inventivité, les mecs ont atteint des sommets : Pom-pom girls, DJ, commentateurs, moustache de rigueur en hommage au Raymond Domenech de la belle époque, minishorts des seventies, rien n’est trop beau pour cette affiche historique. Quitte même à partir totalement en vrille. Florilège des propositions les plus folles : « Un feu d’artifice » , « l’armée de l’air » , « la patrouille de France » , « Les chevaliers du Fiel » , « une arrivée en bateau » , « le maire qui chanteEyes of Tigeravant le coup d’envoi » , « costards et casques sur les oreilles, mais avec une arrivée en tracteur » . Qui a dit que la jeunesse française manquait de créativité ?
Partie de Molky et buvette
Le rendez-vous est donné le dimanche à 11 heures du matin chez « Tilly » , le bistrot du coin, repère incontournable des Gars de la Rive. Un petit café, une clope, un coup d’œil à l’article paru dans Ouest-France, et voilà cette joyeuse troupe en route pour le stade municipal. Pendant ce temps-là, le président Florent Cabioch opère sa transformation : crête à l’iroquoise et short taille 8 ans. Histoire de souder encore un peu plus ce groupe de potes, une bouffe collective est organisée avant la rencontre. Pour digérer et éviter de se foutre une pression inutile sur les épaules, certains joueurs se lancent dans une partie de Molky improvisée. Solidarité oblige, ceux qui ont la chance de jouer en équipe première sont aussi là pour assister à la victoire (2-1) de leurs camarades de la B en levée de rideau.
Le public a répondu présent en ce dimanche ensoleillé. « C’est difficile de savoir combien de spectateurs sont là aujourd’hui, mais je pense qu’on a franchi la barre des 200, facile ! » , se félicite le trésorier-latéral gauche Syprien Féat. Pour rester dans l’esprit d’un club qui ne se la raconte pas, les dirigeants ont décidé de ne pas faire payer les entrées. « On peut faire confiance à notre public de soiffards pour faire tourner la buvette à plein régime » , explique Florent, le punk-président-défenseur-arbitre des Gars de la Rive. Sur ce point, il ne s’était pas trompé. Éliane et Hervé, les deux bénévoles attitrés au bistrot, vont en effet passer une bonne partie de l’après-midi à servir des demis. Si l’alcool est désormais interdit dans les stades de football pro, il n’est pas encore né, celui qui tentera d’en faire de même au niveau amateur.
Les Locquirécois la tête haute
Une demi-heure avant le coup d’envoi, coach Corson a réuni ses troupes dans le club-house pour le traditionnel discours d’avant-match. « Tout le monde s’attend à ce qu’on se prenne une branlée monstrueuse. L’heure est venue de leur prouver le contraire les gars ! » Il sera imité quelques minutes plus tard dans les vestiaires par le capitaine, Gildas Pleyber, pendant que les joueurs se mettent en tenue. Quinze heures, le moment est venu d’aller au charbon. Les joueurs arrivent sur la pelouse sous les applaudissements des supporters locquirécois, Un photographe de la Ligue de Bretagne a fait le déplacement pour immortaliser ce moment. Sur le terrain, les Gars de la Rive tiennent la dragée haute aux Plouvornéens même si, écart oblige, ceux-ci dominent tout de même la première période et sont récompensés par deux buts juste avant la pause. Cruel pour les petits poucets. Au retour des vestiaires, le match change de physionomie et les locaux parviennent à mettre le pied sur le ballon et se créent même quelques occasions intéressantes. Le troisième but de Plouvorn viendra mettre fin aux espoirs des Gars de la Rive, et ce, malgré les multiples parades de leur gardien de but Cyril Bouget, sorte de sosie d’Edwin van der Sar, le bide à bière en plus.
Mais puisqu’il aurait été cruel de ne pas sauver l’honneur, les Locquirécois décident alors de donner un dernier coup de collier pour tenter de marquer un but. Alexandre Moyou réduit l’écart (3-1) d’une magnifique reprise de volée sous la barre après un joli contrôle de balle. Le public et les joueurs peuvent alors laisser exploser leur joie. Ce n’est pas donné à tout le monde de mettre un but à une équipe qui vous met sept divisions dans la vue. Les joueurs peuvent sortir la tête haute, sous la haie d’honneur des adversaires plouvornéens et les vivats des fans du dimanche. Cela valait bien un petit cri de guerre collectif : « Amazo, Lo ! Amazo, Qui ! Amazo, LO-CQUI-REC ! » Cette belle journée se termine là où tout devrait toujours se terminer, à la buvette, avec un canon dans la main. Ce soir, les hommes de Corson iront se coucher (tard) avec le sentiment du devoir accompli et des images plein la tête. Des potes, de l’auto-dérision, du plaisir et de l’échange : Locquirec, là où le foot a encore les pieds sur terre.
Par Aymeric Le Gall