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Aux Champs arrosées

Par Adrien Hémard et Alexis Souhard, sur les Champs-Élysées
6 minutes
Aux Champs arrosées

Du coup de sifflet final à la rapide parade en bus des Bleus, les Champs-Élysées ont connu deux jours de folie, parfois d’excès. Retour sur quarante-huit heures que la plus belle avenue du monde n’oubliera pas de sitôt.

Mardi 17 juillet, neuf heures. Les traits sont tirés, les paupières encore un peu lourdes, même si le désordre a vite été balayé. Un vent de joyeuse gueule de bois plane encore sur les Champs-Élysées, après trois jours de parenthèse liés au défilé du 14 juillet, mais surtout à la victoire des Bleus en finale de Coupe du monde. Les bus à impériale ne transportent plus des champions du monde, et le monde lui-même, incarné par les touristes et les coups de klaxon, n’a plus rien de festif. L’avenue porte quelques stigmates des débordements qui ont émaillé la nuit de dimanche à lundi : vitres brisées, plaques de cartons fixées sur une porte du McDonald’s, toits de kiosques à journaux affaissés… « C’était un week-end à part, on a préféré fermer par prudence » , avoue le gérant d’une boutique de souvenirs. Le Fouquet’s remercie les Bleus avec un immense drapeau, tandis que les chaînes TV s’agglutinent devant le Nike Store. Juste à côté, au Pizza Pino, on est heureux de voir cette parenthèse se refermer : « On a dû fermer pour éviter les incidents de dimanche soir, donc pour nous, c’est un moins bon week-end. Forcément, on a eu un peu de casse, mais ça a été. La vie reprend. » Après deux jours de liesse.

Un point de passage quasi obligé

Tout commence dimanche 15 juillet, aux alentours de 18h55. Championne du monde, la France exulte, chante, s’embrasse. Les nombreux bars bondés de Paris se vident, en quelques minutes : « Tout a explosé au coup de sifflet final, raconte Valentin, 25 ans. Le premier réflexe, ça a été de venir sur les Champs-Élysées, comme un devoir. Je devais le faire pour le raconter à mes enfants » , poursuit-il. Très vite, l’avenue est submergée, majoritairement par la génération des années 1990, qui tient enfin son étoile. « On a choisi notre bar en fonction du prix de la bière, et surtout dans un rayon de dix minutes autour des Champs » , témoigne Antoine, Rennais de 20 ans. Des vagues bleues déferlent vers les Champs. Certains empruntent les rues parallèles pour gagner du temps. Un temps qui s’arrête, dont on savoure précieusement chaque seconde. « On a marché sans arrêt pendant une bonne heure, entre les chants, les drapeaux et les fumigènes : c’était irréel » , poursuit Antoine. Le reste de Paris sort des bouches de métro.

Les mecs saouls entassés sur un kiosque avec un drapeau péniblement hissés, ça fait un peu Radeau de la Méduse.

Après un léger contrôle de sécurité, le cortège sans fin foule le pavé et entame sa procession vers l’Arc de Triomphe. Le moindre mobilier urbain devient un promontoire pour haranguer la foule : « Les mecs saouls entassés sur un kiosque avec un drapeau péniblement hissés, ça fait un peu Radeau de la Méduse » , confie Floriane, 25 ans, confortée par Valentin : « ça défie les lois de la physique. » Les drapeaux volent au son des Marseillaises qui s’enchaînent, au milieu des fumigènes qui rendent l’atmosphère irrespirable par moments. Sur les trottoirs, les commerçants ont baissé rideau et barricadé les vitrines. À mesure que l’on s’approche de l’Arc de Triomphe, l’ambiance se tend. « Un gars s’est amusé à balancer un ordi portable sur la foule. Le clavier s’est écrasé sur la tête d’une femme. Les gens tentaient de se frayer un chemin de force, les mots durs à l’encontre du moindre gars qui te perturbe. Je peux le dire, je me suis chié dessus » , abonde Antoine. Malgré les débordements et les cassages de fin de soirée, ce dimanche 15 juillet, les Champs-Élysées étaient bien le centre de la fête : « On se sentait obligés d’y aller parce qu’on était à Paris : on savait qu’on n’y passerait pas toute la soirée et qu’on assisterait à des scènes de débordements. Mais il fallait y aller pour pouvoir dire « on y était » » , résume Floriane.

Fumigènes, lacrymogènes et clavier d’ordinateur

Le lendemain, alors que l’avenue se remet d’une nuit agitée, avant une journée tout aussi chargée avec la parade des Bleus en fin d’après-midi, les incidents font parler. Antoine, revenu sur les lieux à 23 heures, raconte : « L’ambiance avait changé. Aux deux bouts de l’avenue, il y avait des camions qui s’étaient positionnés. Il y a eu un mouvement de foule dans notre direction. On a vu les pompes à incendie arroser les gens. J’ai senti que la lacrymogène commençait à me piquer le nez et la gorge. On a fait demi-tour… Ces gars étaient là pour casser du flic. On était entourés de poubelles en feu et de gens totalement dégoûtés. » Des supporters du PSG ont même dû venir « défendre » la boutique du club, en proie aux casseurs. Regrettable, mais pas suffisant pour gâcher la nouvelle fête qui s’annonce lundi.

J’ai senti que la lacrymogène commençait à me piquer le nez et la gorge. On a fait demi-tour…

Fermés à la circulation depuis le matin, les Champs-Élysées accueillent plusieurs centaines de milliers de supporters. Les terrasses et balcons débordent de monde, y compris celles des entreprises. Beaucoup de commerces ont relevé le rideau. Les caméras de TV en investissent plusieurs et font monter l’ambiance pour combler le retard des Bleus. Déshydratée, la foule se jette sur les quelques bars ouverts, vite débordés. L’après-midi avance, la foule s’épaissit. À tel point que le réseau sature : plus aucun moyen de savoir où en sont les Bleus, hormis la TV branchée sur BFM dans les bars. Les rumeurs se propagent, entre deux clappings. « Je n’ai pas pu venir dimanche soir, je devais être là aujourd’hui » , confie Stéphane. D’autres sont venus de bien plus loin, comme Victor et ses amis, arrivés de Reims en début d’après-midi : « Même si j’avais dû travailler, j’aurais demandé à poser un jour. Il fallait venir. Le but, c’est de montrer aux joueurs qu’on est fiers d’eux. Et on se dit qu’on ne reverra peut-être jamais ça. »

Des heures d’attente pour quelques secondes hors du temps

Sur place, les deux heures de retard de l’équipe de France ne font que monter l’ambiance. « On a explosé le stock de bière et d’eau » , confie un vendeur ambulant. Chloé, 21 ans, ne regarde pas un match de foot dans l’année, mais tenait à être présente : « Je suis venue pour le symbole. Je suis née en 1997, je n’ai donc pas vraiment vécu 1998, alors être présente pour voir la coupe et les joueurs, c’est un moment fort. » Finalement, après de longues heures d’attente sous une chaleur écrasante, parfois diminuée par les tuyaux des policiers, le bus à impériale tricolore s’avance sur les Champs vingt-quatre heures après le coup de sifflet final. Le véhicule descend l’avenue en dix petites minutes, escorté par la patrouille de France. Le temps de déclencher une incroyable hystérie collective, mais aussi une déception générale : « Le bus est passé hyper vite. Ça a duré quoi, dix secondes ? Tout le monde poussait, les gens montaient sur les épaules, il y avait plein de fumigènes. Tout le monde a sorti son téléphone, même les joueurs. Ça a un peu gâché la fête » , regrette alors Victor, avant que Chloé ne conclut : « Le bus est passé un peu trop vite et j’étais trop petite pour bien voir, mais, au moins, j’ai l’impression que cette deuxième étoile est désormais une réalité. »

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Par Adrien Hémard et Alexis Souhard, sur les Champs-Élysées

Tous propos recueillis par AH

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