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Autriche/Hongrie : When we were kings
Divisées par le traité de Saint-Germain-en-Laye (1919) entérinant la fin de l'empire des Habsbourg, brouillées du régime autoritaire hongrois de Miklos Horthy (1920-1944) au dégel de la guerre froide, Budapest et Vienne se sont souvent fritées sur le terrain diplomatique. Côté pelouses, le combat des sélections entamé en 1902 a révolutionné le sport-roi entre coachs-bâtisseurs (Meisl, Sebes), coupes continentales (Mitropa) et canonniers-stars (Sindelar, Puskás). Celui de ce mardi soir perpétue l'héritage, malgré un niveau loin de l'âge d'or.
Né sur les îles britanniques, le ballon rond prend le bateau durant la seconde moitié du XIXe siècle pour aller conquérir l’Europe continentale. Très vite, il séduit les foules, notamment du côté de l’Autriche-Hongrie. « Les premiers clubs ont été créés par des Anglais, ou encore par des locaux qui se sont rendus en Grande-Bretagne » , resitue Georg Spitaler, politologue à l’université de Vienne. « Le sport a plu parce qu’il tranchait radicalement avec ce que l’on proposait à l’époque en matière de développement corporel. Avant, c’était leTurnen, la gymnastique, qui prédominait. Un sport typiquement allemand, qui renvoyait une image plus nationaliste. Le football, lui, rompait avec cette tradition et renvoyait une image de modernité et d’ascension sociale. » Que ce soit au sein de l’Archiduché d’Autriche ou du Royaume de Hongrie, ce nouveau sport passionne tellement les foules dans les grandes villes que dès 1902, une sélection viennoise affronte une homologue de Budapest. Le score est sans appel : 5-0 pour les Autrichiens.
« L’École danubienne »
Les années suivantes, les deux équipes se jureront fidélité et s’affronteront à 24 reprises (Autriche-Hongrie est d’ailleurs à ce jour la confrontation internationale la plus jouée, derrière Argentine-Uruguay, ndlr), jusqu’à ce que la Première Guerre mondiale vienne bousculer le lien. « C’est d’ailleurs durant la guerre que le football devient un phénomène de masse » , explique Spitaler, « avec les soldats qui y jouent sur les différents fronts. » Après le conflit, Autriche et Hongrie font chambre à part en tant qu’entités politiques, mais se retrouvent avec joie sur les pelouses. Notamment quand il s’agit de lancer les bases du football moderne. C’est ce qu’on appellera l’ « école danubienne » . À partir des années 20, les grands clubs des deux pays (Austria, Rapid, Ferencváros, Újpest, Vasas, Honvéd, MTK…) donnent l’impulsion au reste de l’Europe centrale : ainsi naîtra la Coupe Mitropa (1927-1992), tandis que la Coupe internationale européenne (1927-1960) abritera les confrontations entre sélections. L’ultime édition de cet Euro d’antan (1954-60) avait été renommée « Coupe du Dr. Gerö » , en mémoire d’un ex-boss de la fédé autrichienne disparu en 1954. La symbiose autour du cuir calmait les différends politiques. L’idée d’un Mondial inaugural en Uruguay a été férocement appuyée par le vice-président hongrois de la FIFA, Mór Fischer, lors d’un congrès budapestois (1929). L’Austria et compagnie se jaugeaient dans un Tournoi de Pâques de 1935 au boom du disco en parallèle de la Mitropa.
Ces ancêtres des Coupes d’Europe et de l’Euro ont été en grande partie pensées par l’homme le plus important du football autrichien : Hugo Meisl. L’ancien joueur, devenu fonctionnaire dans les années 30, pensait à l’international, avait une vision et ne se contentait pas de sa pièce de puzzle autrichienne. C’est d’ailleurs comme ça qu’il a conçu la fabuleuse équipe qui sera surnommée la Wunderteam. « Tactiquement, la Wunderteam était inspirée de la pyramide écossaise » , analyse Spitaler. « Son jeu, la Scheiberlschule, était fait de passes courtes. Et pour cela, il fallait des joueurs techniques, comme par exemple Mathias Sindelar. » Du 16 mai 1931 au 12 février 1933, l’équipe autrichienne joue une quinzaine de matchs, donne la leçon à l’Europe entière (12 victoires, 2 nuls), et ne s’incline qu’une seule fois : face à l’Angleterre à Wembley, 4-3. Matthias Sindelar plante 12 buts, tandis que son coéquipier Anton Schall trouve le chemin des filets à 19 reprises.
Passation de pouvoirs
La Hongrie n’est pas en reste, elle qui doit son salut à un certain Jimmy Hogan. Le canonnier retraité de Burnley et de Bolton remet d’aplomb le MTK Budapest abîmé par 14-18 et écrase l’élite locale de 1917 à 1925. D’ailleurs, quand la Hongrie de Gusztáv Sebes humilia les Three Lions 6-3 à Wembley (25 novembre 1953), le patron des Magiques Magyars invoqua direct son mentor : « Nous avons joué comme Jimmy Hogan nous l’a appris. » Si Hogan n’a jamais décroché le Graal international, ses préceptes ont enfanté une brochette de légendes issues de l’Empire détricoté par la Grande Guerre. Henrich Müller l’Autrichien a côtoyé Sebes au MTK et gagné deux championnats (1937-38). Josef Bican l’Austro-Tchécoslovaque secondait Sindelar en sélection et reste le meilleur finisseur de l’histoire du foot avec 805 pions. Enfin, Béla Guttmann du MTK a accompagné l’émergence du ballon rond aux USA pendant la Grande Dépression, importé le 4-2-4 au Brésil et déniché Eusébio lorsqu’il coachait le Benfica (1959-62). Guttmann avait d’ailleurs fait partie de la fameuse équipe du Hakoah Vienne, premier club non britannique à aller taper une équipe anglaise : 5-0 contre West Ham à Upton Park, le 4 septembre 1923.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Autriche pique du nez alors que la Hongrie décolle. On assiste alors à une espèce de passation de pouvoirs. « L’Autriche a influencé la Hongrie par extension » , explique Gábor Thury, spécialiste de la rivalité et plume expérimentée du quotidien sportif Nemzeti Sport. « Le 2-3-5 classique de la Wunderteam comportait un demi-centre à vocation défensive comme Josef Smistik ou Leopold Hoffmann(coéquipiers de Matthias Sindelar au Mondial 1934, ndlr). L’Équipe d’or, quant à elle, évoluait en 3-2-5 avec le récupérateur Zakariás exilé du rond central et quasiment au niveau du dernier rideau. Par la suite, Nándor Hidegkuti s’est éloigné du front avant pour devenir un genre de second attaquant et c’est ainsi que le schéma a basculé en 4-2-4. » Les Anglais en feront l’expérience en 1953, le reste du monde en 1954, à l’exception de l’Allemagne. Un Mondial suisse duquel on oublie trop souvent la troisième place de l’Autriche. « Cette équipe de 54 jouait toujours avec cinq attaquants, alors qu’il y en avait qui jouaient en WM » , rembobine Spitaler. « Néanmoins, il y avait de nouvelles influences, notamment du Brésil. Cela faisait suite à une tournée du Rapid Vienne, en 1949, à l’occasion du cinquantenaire du club. Le Rapid s’était fait dérouler et avait décidé de changer pas mal de choses, notamment l’introduction d’un libéro, un poste qu’a occupé le grand Ernst Happel. Cette équipe de Walter Nausch n’était plus la Wunderteam, mais on sentait l’esprit de Meisl à travers la tactique de l’un de ses disciples. »
Buts à la pelle, leaders talentueux
« En fait, la Wunderteam et l’Équipe d’or sont assez similaires » , analyse l’historien du sport György Szöllősi. « Elles ont toutes deux consacré un somptueux mélange entre l’engagement à la britannique et lejoga bonitoà la latine, auxquels s’ajoutait une organisation défensive efficace. Bref, unbest-ofde ce qu’on peut proposer dans le football. Des buts à la pelle et des leaders talentueux assumant leurs convictions. Sindelar refusait de jouer sous les couleurs du Reich après l’Anschluss(même s’il a profité de l’aryanisation, ndlr)et Puskás a décidé d’émigrer en Espagne dont il a pris la nationalité, car le régime communiste le détestait à cause de sa fuite imprévue. » Puskás, Czibor et Kocsis prirent effectivement la poudre d’escampette en transitant par Vienne. Comme de nombreux anti-soviétiques fuyant les chars de Moscou venus mater la Budapest insurgée d’octobre-novembre 1956. La capitale autrichienne s’était alors dévouée pour accueillir les joueurs du Honvéd, ainsi que le QG des Noir et Rouge après de multiples amicaux hors de Hongrie, plus une tournée au Brésil (1957) en blanc, sans écusson, et sans son trio de finalistes déçus de 1954 éparpillé entre le Real, la Roma et le Barça. Vienne était également l’escale favorite de la Hongrie A et du boxeur triple médaillé d’or László Papp.
Ce soir, le sélectionneur allemand des Magyars, Bernd Storck, optera vraisemblablement pour son 4-2-3-1 habituel lui ayant permis d’accrocher la Croatie de Modrić 1-1 le 26 mars à la Groupama Aréna de Budapest. Même topo côté Rot-Weiss-Roten avec une aile gauche Fuchs-Alaba-Arnautović costaude et prometteuse. Pour l’heure, la Hongrie mène la danse avec 66 victoires en 136 confrontations contre 40 succès autrichiens. La dernière valse, c’était en août 2006. Les Magyars avaient imposé leur rythme 2-0 à Graz : bicyclette de Gera et minon aux 18 mètres d’András Horváth. Ce serait plutôt dommage de clore ce bal sur un 31e nul.
Par Ali Farhat et Joël Le Pavous