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Aurier, banlieusard devenu prince de Paris
Après une année d’adaptation tumultueuse au Paris Saint-Germain, Serge Aurier a pris son envol. Solide, régulier et à la marge de progression certaine, l’international ivoirien fait l’unanimité. Surtout à Sevran, commune de Seine-Saint-Denis trop souvent dénigrée, où il a grandi, touché ses premiers ballons et est désormais l’une de ses plus belles réussites. Des débuts en banlieue parisienne où il a été question d’insouciance, de facilité et, déjà, de grosses fesses.
L’humidité de l’automne ne s’est pas encore invitée en cette journée de novembre. Les feuilles jonchent le sol, mais l’air qui souffle se veut doux à une période de l’année pourtant pas toujours aussi clémente. Seuls quelques nuages viennent contrarier l’horizon étonnamment bleu s’offrant aux passants. Aujourd’hui est un jour ordinaire pour Sevran, banlieue parisienne et commune de Seine-Saint-Denis (93). Comme à l’accoutumée, l’animation règne près du centre commercial Carrefour de la ville, siégeant juste en face du centre hospitalier Robert Ballanger. Pour atteindre le quartier de Savigny, l’un des secteurs connus de la Cité des Beaudottes, les rues se révèlent bien plus clairsemées. Les nombreux HLM et tours au charme décati ne cessent de se succéder. Arrivé à destination, un ensemble d’appartements aux briques rouges pré oui gnantes, situé à deux pas du nouveau cimetière d’Aulnay-sous-Bois, dépareille quelque peu.
C’est ici que Serge Aurier a grandi. Là qu’il a passé son enfance. Là que ses tout premiers souvenirs surgissent. Au sein d’une ville trop souvent décriée pour ses faits divers, sa délinquance et son chômage endémique plutôt que louée pour sa solidarité et ses trois cents associations œuvrant en faveur de la communauté. L’une des communes les plus pauvres de France, mais que n’a jamais renié celui qui est aujourd’hui une étoile parmi la constellation du Paris Saint-Germain. Bien au contraire. « Je suis fier d’avoir grandi ici. Quand on évoque Sevran, on ne parle que de violence. Mais il y a aussi des gens comme Teddy Tamgho ou le rappeur Kaaris qui réussissent et donnent une bonne image de la ville. Si cela peut aider les gens à se lancer dans des projets qui les font rêver et d’arrêter de faire n’importe quoi… Il faut montrer que ce n’est pas qu’une ville dangereuse. Et puis, habiter à Sevran n’est pas un crime ! prenait-il le temps d’insister en septembre 2014. Ça s’est apaisé. Avant, c’était plus dangereux, bien pire. Ça craignait. Il y a eu des débordements comme dans pas mal de quartiers en France. Quand je suis arrivé, j’allais à l’école et au foot, c’est tout. Je traînais avec des lascars, c’est difficile à éviter quand tu vis ici. Cela m’a permis de me forger un mental. Certaines choses que tu vois t’indiquent la voie à ne pas suivre. Mais Sevran n’apporte pas que des mauvaises choses. Je ne le ressens pas comme quelqu’un de l’extérieur. Ici, je me sens bien, je suis chez moi » . Et Sevran le lui a parfaitement rendu, l’érigeant désormais comme son plus beau porte-étendard.
Arrivée en France, tournois de quartier et essai tonitruant
Pourtant, l’histoire de Serge Aurier ne prend pas directement sa source en terre sevranaise. Le latéral droit est né en Côte d’Ivoire, à Ouragahio, et a vécu dans son pays natal jusqu’à neuf ans. Fils d’une ancienne gloire du football ivoirien, Léon Gbizié, il a grandi à ses côtés, à Danané, où celui-ci exerçait en tant qu’assistant administratif au tribunal de section après la séparation d’avec sa femme. En 2002, lorsque la guerre civile éclate, il rejoint la France à la demande de sa mère avec laquelle il entretient encore aujourd’hui une relation quasiment fusionnelle. À son arrivée en Île-de-France, le jeune Serge est adopté par Michel Aurier, époux de sa mère et chauffeur de bus municipal à Sevran. De cette courte période au pays des Éléphants, il garde un profond attachement envers la Côte d’Ivoire ainsi que pour une sœur aînée et, aussi, quelques parcelles de souvenirs. « Je n’ai pas énormément de souvenirs. Je me rappelle les odeurs, le bruit…, tentait-il de se rappeler en 2011. J’y suis retourné pour la première fois en décembre, j’ai revu des personnes qui m’avaient gardé petit. Ça m’a fait vraiment du bien. » Comme en Afrique, le gamin a la passion du ballon rond chevillée au corps. Un amour pour le cuir découvert par Afid Djaadaoui, responsable des activités sportives en milieu ouvert à la ville de Sevran et créateur du secteur « Prévention par le sport » . « Il habitait au quartier de Savigny qui est tout proche. Et pendant les vacances, il était là. Quand il y avait des tournois et des sorties, il venait assez souvent » , relate dans son bureau le frangin de l’ancien joueur professionnel Abdel-Ghani Djaadaoui, non sans se départir d’un sourire.
À l’occasion de ces tournois qui se tenaient les mercredis et samedis à la Cité des sports, Serge et son frère cadet Christopher – « à la patte gauche particulière » dixit Djaadaoui – lui tapent dans l’œil. Conscient de peut-être tenir quelque chose, Afid Djaadaoui transmet alors les deux noms à Djamel Femmami, dirigeant chez les U13 à Villepinte. À l’époque, le club de cette ville voisine de Sevran jouit d’un beau crédit pour la qualité de sa préformation et pour avoir notamment sorti Alou Diarra et Fabrice Pancrate. Sans avoir fréquenté les catégories précédentes (débutants, poussins et benjamins), Serge Aurier se retrouve, début août 2005, à effectuer un essai en U13. Il ne lui faudra que quelques minutes afin de séduire les spectateurs présents. « On avait une opposition très classique avec deux équipes de onze. Sur les deux premiers ballons, le gardien adverse dégage et il te sort une détente verticale… Un coup de boule qui renvoie le ballon quasiment dans les seize mètres. Le gardien dégage de nouveau et il refait la même chose, se remémore Djamel Femmami, cuir sur les épaules, autour d’un café près de la gare RER du Vert-Galant. On voulait ensuite voir ce qu’il avait dans les pieds. Le ballon arrive vers lui, il fait un amorti de la poitrine et met le ballon au sol. Grâce à ses grosses fesses, il arrivait toujours à bloquer les mecs en face qui se cassaient la gueule dessus. Après, il fait demi-tour et te fait une superbe ouverture du gauche dans les pieds du mec. Trois actions, seulement. Et on n’avait pas besoin d’en voir plus. Il nous a vraiment stupéfaits. »
Makelele et Essien en modèles, claquettes dans les buts et refus à Lens
Les promesses entrevues ce jour-là ne seront jamais suivies de déconvenues. Car en à peine une année passée sous la liquette jaune et bleu de Villepinte, le bougre survole les débats. Brille comme personne. Marche sur les autres. Mais pas au poste de latéral droit. « Serge portait le numéro dix, mais il jouait au poste de six, explique Djamel Femmami, qui emmenait et ramenait les frères Aurier à chaque entraînement. Il a terminé la saison meilleur buteur, plus de trente buts. Il récupérait le ballon en six et remontait jusqu’à la surface adverse. Il était très très largement au-dessus du lot. Je lui avais donné le surnom de Makelele et Essien, qui étaient à l’époque considérés comme les meilleurs six du monde. Je trouvais qu’il était comme eux. Petit, trapu et musclé de partout. Je lui disais souvent qu’il avait tout pour faire une carrière à la Makelele ou Essien. C’était la photocopie de ces joueur-là, physiquement et techniquement. » Avant de poursuivre plus en détails : « L’année où il est là, on débute le championnat largement devant. On gagne des matchs 6-1, 4-0, etc. On écrasait largement les adversaires. Lui, il mettait toujours au moins deux buts par match. On croyait qu’on était une équipe forte, mais ce n’est pas vrai. C’est parce qu’il était là qu’on était fort (rires). Ce qui m’impressionnait chez lui, c’étaient ses cuisses et ses mollets. Les mecs essayaient de lui prendre le ballon, mais tapaient toujours sur l’une de ses cuisses et basculaient. Pour te dire à quel point il était au-dessus du lot, sur les quatre derniers matchs de championnat, nos 15 DH étaient en très grosse difficulté et à deux doigts de descendre. Serge est monté avec eux et grâce à lui, il ont fait deux matchs nuls, une victoire et une défaite. Et leur place a été sauvée en DH. Mais je reste convaincu qu’il aurait même pu s’entraîner avec l’équipe première ! »
Rayane Boudjani, qui a parfois été son coéquipier à Villepinte, a également côtoyé au plus près le phénomène. Et quand il s’agit d’évoquer Aurier, ce sont toujours les mêmes mots qui reviennent : facilité et aisance. « Sur le terrain, on aurait dit un adulte qui joue avec des enfants, assure-t-il. Il maîtrisait tout. Il faisait des virgules, pied droit, pied gauche, crochets, contrôle de la poitrine, contrôle orienté. » Un talent précoce qui confinait presque à l’indécence, comme il l’évoque au détour d’une anecdote : « Lors d’un tournoi au fin fond du 77, c’était tellement facile les premiers matchs qu’il demande à aller au goal. Il y va et, le plus impressionnant, c’est qu’il te sort des claquettes. Même au poste de gardien, il était bon ! Mais, au bout d’un moment, il prend un but. Et comme les matchs duraient dix minutes à l’époque, il a enlevé son maillot et est donc allé au milieu de terrain. Il récupère le ballon côté gauche sur l’engagement, remonte tout le terrain, dribble trois joueurs, met une virgule à un gars dans la surface et centre en retrait pour un coéquipier qui marque. Puis il revient tranquillement en rigolant et prend les gants ainsi que le maillot du gardien. Il était vraiment insolent ! Ce jour-là, il a d’ailleurs fini meilleur joueur du tournoi. » À l’époque, Villepinte avait noué un partenariat avec le RC Lens qui venait régulièrement faire des détections afin de choisir les plus prometteurs. Repéré aux vacances de la Toussaint, Aurier est invité à se rendre dans le Nord pour un essai. Mais celui-ci se révèle infructueux. « Serge et son frère avaient été sélectionnés avec deux autres mecs. La semaine, ils vont à Lens et passe deux jours là-bas. Ils leur font faire des matchs avec les mecs qu’ils avaient là-bas. Au retour, Lens propose à tout le monde de revenir sauf à Serge » , se souvient Djamel Femmami, toujours dans l’incompréhension quant à ce choix. Ce ne sera finalement que partie remise. Malgré la cour assidue d’autres centres de formation (Rennes, Nantes et notamment Monaco qui ne le laisse notamment pas insensible), les Sang et Or ne répètent pas la même erreur : « Un jour, on rencontre le PSG qui était dans notre groupe. On gagne 4-1 et il met trois buts. Ce jour-là, le recruteur de Lens (Marc Westerloppe, ndlr) était là et il se demandait comment Lens avait pu passer à côté. »
L’héritier d’Amara Simba
La suite est désormais connue de tous. Au RC Lens, Serge Aurier assimile l’exigence du football professionnel. À Toulouse, il se révèle à l’Hexagone. Aujourd’hui, il connaît la folie des grandeurs au PSG. Un destin rêvé, un accomplissement personnel qui n’a jamais été une obsession pour le défenseur ivoirien. Car, longtemps, le football n’a représenté à ses yeux qu’un simple loisir. « Mes parents adoraient déjà le football, mais moi, au départ, je ne prenais pas ça au sérieux. Je jouais juste pour passer le temps, s’épanchait avec sincérité l’intéressé, en mars 2014. Je n’avais vraiment pas envie de quitter Villepinte parce que j’avais tous mes potes là-bas et qu’il n’y a pas mieux qu’être avec tous ses potes. Je me suis rendu compte bien plus tard que j’avais le potentiel pour évoluer à haut niveau. » Décrit par tous comme une personne souriante, joviale et sociable, le joueur de vingt-deux ans, bercé par une culture franco-africaine, l’était déjà durant son adolescence. « Je ne le voyais pas si souvent que ça. Une fois, on n’était que lui et moi dans le vestiaire. Je ne le connaissais pas personnellement, mais il est venu de lui-même taper la discute avec moi. Il m’a notamment fait pas mal de blagues, confie Rayane Boudjani, ravi du parcours de son ex-compère. C’est quelqu’un qui allait tout le temps vers les autres, rigolait, une vraie joie de vivre. On voyait que c’était un bon gars. C’était un peu la star du club. Pour te dire à quel point, il n’avait même pas besoin de payer sa licence. C’est le club qui lui payait. Et pourtant, ce n’est pas pour autant qu’il se prenait pour un autre. » Un jeune homme affichant, aussi, une rectitude morale assumée pour son âge, signe d’une certaine maturité de sa part. « Il y avait quelque chose qui le singularisait. Dans le foot, c’est toujours cruel. Un jeune peut se faire vanner par tout le monde et ça peut être compliqué si tu n’as pas de répartie dans ce milieu. Quand c’était toujours le même ou que ça dépassait certaines limites, il disait stop à un moment donné sans que personne ne lui demande. Parce qu’il y avait une chose qu’il ne supportait pas, c’était l’injustice » , ajoute Femmami, un brin amusé.
Malgré sa réussite, celui qui s’érige probablement comme le meilleur à son poste dans l’Hexagone reste fidèle à ses racines. À sa ville. À son quartier. Aux siens, dont il est encore très proche comme Afid Djaadaoui : « Il a notamment gardé en mémoire une sortie qu’on a fait à Berck-sur-Mer. À l’époque, je faisais découvrir la mer et le milieu marin à des jeunes de dix, douze ans qui n’avaient jamais vu ça de leur vie. On faisait des sorties dans le Nord sur des plages immenses. On partait le matin de bonne heure et on arrivait là-bas vers midi. Ceux qui n’avaient pas de repas, je leur payais de quoi manger. Et Serge, il a toujours gardé ce souvenir. Chaque fois qu’il me voit, il me dit : « Tu te souviens, Afid, quand tu nous faisais manger des gros sandwichs avec du coca, à Berck (rires). » C’est une image qui l’a vraiment marqué. » Puisqu’il a gardé des liens solides avec sa ville d’origine – à Lens, il revenait dès qu’il avait quelques jours de repos et assistait chaque hiver au tournoi en salle organisé par Sevran –, le banlieusard parisien a accepté de prêter son nom aux stages de football dans la commune. Depuis deux ans, il a ainsi remplacé l’ancien joueur professionnel Amara Simba qui parrainait ces stages lors des vacances scolaires pendant une décennie. En août dernier et l’été précédent, il a honoré l’événement de sa présence en faisant preuve d’une magnanimité sans précédent. À la plus grande joie des gamins sevranais. « La dernière fois, il est resté deux heures et demie au lieu d’une heure. Il a été d’une disponibilité incroyable, a pris des photos avec tout le monde. Il a acheté et ramené je ne sais combien de maillots, de ballons dédicacés et de sacs d’équipement » , souffle Djamel Femmami, présent ce jour-là. « C’est une fierté pour les jeunes ici. Quand il peut, il vient dire bonjour et reste abordable. Il faut qu’il continue comme ça et qu’il n’oublie pas d’où il vient » , conclut pour sa part Afid Djaadaoui, éminemment heureux de l’itinéraire tracé par le gamin de Savigny. Que lui ou les autres se rassurent, du Parc des Princes à Sevran, la route n’est pas très longue.
Par Romain Duchâteau, à Villepinte et à Sevran
Tous propos recueillis par RD, sauf ceux de Serge Aurier extraits du Parisien, RFI et L’avenir de l’Artois