- Disparition de Diego Maradona
Aurelio De Laurentiis : « Maradona a été l’emblème de la résurrection de Naples »
Aurelio De Laurentiis est président du Napoli depuis 2004. Il a redonné le sourire à une ville qui avait perdu sa joie de vivre footballistique après le départ de Diego Maradona. Quelque part, les destins des deux hommes sont liés. Alors, le président napolitain a tenu à rendre hommage à celui qui sera, pour toujours, le meilleur joueur de l'histoire du club partenopeo.
Bonsoir président. Diego qui s’en va, ce sont tous les Napolitains qui pleurent ce soir. Oui, c’est vraiment une triste nouvelle. Une triste, triste nouvelle. J’ai vraiment ressenti une grande douleur quand je l’ai appris en cette fin d’après-midi, et je pense que tous les Napolitains, ce soir, pensent à Diego.
Comment explique-t-on cette histoire d’amour entre Maradona et la ville de Naples ?Il faut replacer le contexte. Naples, dans les années 1970, avait vécu coup sur coup l’épidémie de choléra et le tremblement de terre, qui avaient mis à terre toute la région. Il y avait une dépression morale et économique de la ville, la population était déprimée. Maradona est arrivé quelques années après, et il est tout de suite devenu l’emblème de la résurrection de Naples et des Napolitains. Et lui a ressenti tout de suite la chaleur du peuple de Naples, ça a été un coup de foudre au premier regard. Maradona à Naples, c’était comme San Gennaro, les gens se sont mis à l’idolâtrer, ce n’étaient plus seulement des supporters, c’étaient des fidèles. Encore aujourd’hui, Maradona ici, c’est… Maradona. C’est l’histoire. Il a fait gagner le Napoli, il a rendu fier les Napolitains, il appartient aujourd’hui à l’histoire de Naples.
Quand et comment l’avez-vous rencontré ?Je le connais depuis plus de 30 ans. Notre première rencontre remonte à 1988. À l’époque, je n’avais encore rien à voir avec le monde du football, j’étais uniquement dans le cinéma. Et j’ai eu cette idée de tourner un film sur les supporters de foot. Les supporters de la Juventus, du Milan, de la Roma, mais aussi du Napoli. Et le metteur en scène avait décidé que, pour Naples, le plus important, c’était d’immortaliser la relation entre les tifosi et Maradona. On est donc entré en contact avec lui, avec ses agents, c’était un vrai bordel. (Rires.) Bref, on a mis en place deux équipes de tournage : une première entre Milan et Turin, et une seconde uniquement à Naples. Celle-ci avait un seul but : réussir à attraper Maradona. Et un jour, ça y est, Diego est arrivé, et l’équipe est parvenue à le filmer. Petit à petit, on a ainsi gagné sa confiance et on a passé quelques jours formidables avec lui.
C’est l’époque où il était au top de sa carrière. Humainement, comment était-il ?C’était un homme incroyable, très généreux. Je me souviens que sur le tournage, entre chaque scène, il jonglait avec son ballon. Il voulait tout le temps jouer, il ne le lâchait jamais. On était obligé de lui dire : « Diego, le soleil est en train de se coucher, on n’a plus beaucoup de temps pour tourner ! » Mais il s’en foutait, il voulait jouer. Je garde précieusement ces souvenirs.
Il est toujours resté très attaché à Naples et au Napoli.Oui, il était extrêmement attaché à Naples. Il y a deux ans, il avait fait une soirée magnifique au San Carlo, qui est un peu le temple de l’opéra à Naples. Je l’ai vu heureux. Il aimait Naples, de tout son cœur, je sais qu’il avait beaucoup souffert de ne pas pouvoir y revenir pendant tant d’années. Quant au Napoli, il n’était jamais loin. Il est souvent venu nous voir ces dernières années, lorsque le Napoli jouait en Espagne, en France contre le PSG, en Allemagne contre le Bayern… Lorsqu’il y avait des matchs importants, il était toujours là.
Il n’a jamais voulu s’impliquer plus que ça ? Avec un vrai rôle ?Je pense qu’il aurait aimé. Il m’a dit plusieurs fois : « Aurelio, qu’est-ce que je peux faire pour le Napoli ? » Je lui ai répondu qu’il pouvait peut-être être ambassadeur du club dans le monde entier. Ah, ça, ça lui plaisait bien. L’idée lui plaisait en tout cas. Mais après, vous savez, il avait toujours beaucoup de choses à faire, il était très pris. Et au fond, sa profonde affection me suffisait.
L’avez-vous vu ces derniers mois ? On le disait déprimé, voire dépressif.Malheureusement, la dernière année, à cause du confinement, tout était bloqué, et donc on ne s’est plus revus. Pourtant, moi, je le voyais tous les jours.
Comment ça ? Est-ce que vous connaissez la formidable série The Last Dance, sur Michael Jordan et les Chicago Bulls ?
Bien sûr, je l’ai terminée en trois jours…Eh bien, cela fait une année que nous sommes en train de travailler pour faire la même chose dans le monde du football, avec Maradona. C’est une série télévisée de douze heures, que je produis, et qui revient sur cette époque 1984-1992. Du coup, lors des douze derniers mois, j’ai regardé pratiquement tous les jours des images d’époque de Diego, je m’en suis vraiment imprégné. J’ai vu toutes les versions de lui : le sportif, l’homme, sa vie privée, ses apparitions publiques, etc. Cela m’a permis de le redécouvrir à nouveau.
Reverra-t-on un jour quelqu’un comme Maradona ?Je vais vous dire quelque chose. Nous avons eu deux joueurs incroyables dans l’histoire du foot ; Pelé et Maradona. Mais Maradona… C’était unique, irremplaçable. Parce que c’était un génie, et c’était quelqu’un qui était contre les règles. Il était le jour et la nuit, le blanc et le noir. C’est ce qui fait éternellement sa légende.
On parle déjà de renommer le stade San Paolo à son nom. Oui, je pense que cela devrait être envisagé. Il faut garder le nom de San Paolo, car c’est important, mais il faut aussi que le nom de Maradona soit consacré. On pourrait par exemple imaginer que le stade s’appelle désormais San Paolo Maradona. Cela ferait sens.
Propos recueillis par Éric Maggiori