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Aurélien Simon : « À chaque fois que j’entraîne un footballeur dans une piscine, il m’en parle pendant 15 jours »
Anciennement éducateur dans les cités, où il faisait du sport un moyen de prévention de la délinquance, Aurélien Simon, 36 ans, a ensuite travaillé comme préparateur physique dans le basket avant de se faire une légitimité auprès des footballeurs. Avec sa structure Pro Evolution Coaching, il bosse désormais à l’année avec Andy Delort et Zinedine Ferhat, et s’est occupé notamment de Denis Bouanga et Ismaël Bennacer pendant le confinement. Le préparateur individuel détaille son métier.
Ismaël Bennacer, Andy Delort, Denis Bouanga, Zinedine Ferhat et Sakina Karchaoui ont tous le point commun d’avoir déjà posté sur leurs réseaux sociaux des contenus de séances de préparation physique avec toi. Qu’est-ce que tu leur apportes en tant que préparateur individuel ?Je propose ce que l’on appelle des protocoles hybrides à disciplines associées. Oui, il y a un peu de musculation, mais pas pour prendre de la masse, ça n’a aucun intérêt. Chaque préparation est adaptée et ciblée. Quand je reçois Bennacer, c’est déjà une Formule 1. Et à Milanello (le centre d’entraînement de l’AC Milan, N.D.L.R.), ils ont des techniciens à la pointe de chaque domaine : haltérophilie, musculation adaptative, course… Donc je n’ai pas la prétention de dire que je vais le préparer. En revanche, j’ai la prétention de dire que je suis un technicien de la performance et que sur une Formule 1, c’est de ça dont on a besoin : aller chercher des réglages de performance. Quand je lui fais gagner 3 ou 4% de force mécanique sur un mouvement, c’est énorme pour lui. Delort, par exemple, il avait les épaules trop vers l’avant, on a travaillé pour redresser le bonhomme. Le résultat, c’est qu’il est plus droit. Dans le jeu dos au défenseur, il a énormément gagné.
En général, ce sont les joueurs qui te contactent directement ?Delort, c’est lui qui m’a appelé. Bennacer, c’est via un agent, et c’est un de mes amis qui a fait la connexion. Ferhat, c’est son agent. Bouanga, c’est lui, directement, pendant le confinement. Il m’a sorti le plus beau compliment de ma carrière. « Bonjour Aurélien, je voudrais travailler avec toi et, avant que tu me dises non, je veux que tu saches que j’ai pris un préparateur pour me préparer avec toi. » C’était Sylvain Thomas de « Né pour Combattre », à Lyon, un préparateur monstrueux ! On s’est entraîné pour la finale de la Coupe de France, en faisant pratiquement 15 sessions en six jours d’intervention étalés sur trois semaines. Je me suis arrêté trois semaines avant la finale. Je savais qu’il fallait un cycle cellulaire complet pour que tout se mette en place et que Denis fasse le transfert de compétences avec son club. Et il a fait un bon match !
Tu gardes en tête un moment marquant de cette préparation ?Avec Bouanga, on boxe, on travaille sur des esquives avec des disques. À un moment, je le frappe plein fer dans le nez, je lui ouvre le nez, ça pisse le sang. « Qu’est-ce qu’on fait Denis, on arrête ? » je lui demande. Il me répond : « T’es un malade ! Stoppe le saignement, on reprend. » C’est un guerrier ! Mais les autres aussi. Ferhat, quand il prend une barre, il me dit : « Andy, il met combien ? » Je lui dis 18. « Ah ouais ? Moi, je fais 20. » Et, après, Delort veut faire mieux : « Il a fait 20 ? Ah, bah moi, je fais 22 »…
Durant ces séances, des fois, tu leur fais faire des exercices improbables : par exemple, frapper un pneu ou des sessions dans l’eau…À chaque fois que je prépare un footballeur dans une piscine, pour le jeu de tête et l’explosivité, le mec m’en parle pendant 15 jours ! On a aussi fait du travail les yeux bandés pour la vision du jeu. Peut-être dix minutes sur une séance d’une heure trente, mais ils m’ont dit : « Sur le terrain, je me rends compte qu’il y a du changement. »
Tu es quel genre de coach durant ces moments d’effort maximum ?J’apprends au fur à mesure à savoir à quel moment il faut baisser le ton, hausser le ton… Je leur crie beaucoup de dessus, mais ce n’est jamais de la malveillance. Andy, quand il tape au marteau, je commence à lui crier dessus : « Allez, vas-y frérot ! Frappe ta race ! » Je parle comme ça parce que c’est leur langage. Bennacer, c’est différent. Il n’aime pas les gros mots, alors je n’en dis pas. Avec Bennacer, j’ai travaillé pendant onze semaines durant le confinement.
Est-ce que tu étais en contact avec son club, l’AC Milan, pendant cette période ?Je leur ai envoyé l’analyse mécanique, avec en plus un bilan nutrition, un bilan physiologique et un bilan sur la gestion de l’eau. Milan a tout traduit et validé mon travail. Roberto Ferrari (analyste vidéo du club milanais, N.D.L.R.) m’a appelé : « On te laisse carte blanche. On te demande juste qu’il puisse faire les entraînements en visio tous les jours. » Ils m’ont invité à venir voir les structures du club quand ce sera possible. Quand Maldini dit à Bennacer de continuer à bosser avec moi, ça me fait super plaisir. Après, je sais qu’il faut faire attention. Souvent, ils flattent l’orgueil des joueurs, et nous, on peut le prendre comme un compliment… Je sais où est ma place : elle est dans l’ombre.
À lire : l’enquête « Salut les Musclés » dans le numéro 180 de SO FOOT actuellement en kiosques, où il est notamment question des rapports – et des non-rapports – entre clubs et préparateurs individuels.
Propos recueillis par Florian Lefèvre