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- Interview Stéphane Moulin
« Aujourd’hui, les Angevins sont fiers d’être angevins »
Légèrement rentrés dans le rang depuis le début de l'année 2016, les Angevins de Stéphane Moulin n'en demeurent pas moins surprenants. Rencontre avec le druide du SCO.
Tu es né à Paris, mais tu es un Angevin de cœur ?Je suis né à Paris dans le 18e, mais je suis angevin de cœur. Enfance, petite adolescence, premier contrat pro, premier match pro… c’était ici à Angers. J’ai fait un petit circuit ailleurs avant de revenir. J’ai quitté Paris pour Angers quand j’avais 7 ans. Mes parents sont venus pour leur travail, je suis resté là. Mon père était informaticien, ma mère secrétaire. J’évoluais dans un milieu modeste. Ils ont choisi de venir ici, car ils en avaient marre de la vie parisienne et cherchaient une ville de province qui leur plaise.
Qui t’a transmis le virus du foot ?Mon père. C’était un joueur de niveau modeste, mais j’allais toujours avec lui, je passais du temps sur les terrains. Très tôt, j’ai été en contact avec le ballon, j’ai même été ramasseur de balles dès mes 7 ans avec les gamins du SCO. J’ai notamment eu l’occasion de rendre le ballon à Michel Platini en 1978. Angers, c’était le club que je supportais, car j’y étais licencié. J’allais voir les matchs avec mes parents. Quand on aime le football et qu’on vit à Angers, on est forcément proches du SCO, l’identification se fait très vite. On n’est pas forcément supporter parce que dans tous les petits clubs d’une ville où il y a un grand club, il peut y avoir des « contres » . Mais dans l’ensemble, on aime le foot à Angers, on suit le SCO.
Quand tu étais gosse, tes modèles, ton équipe, c’était qui et quoi ? Je t’ai entendu parler de Saint-Étienne 1976…Cela m’a marqué, car à l’époque, il y avait un engouement énorme en France. Après, je n’avais pas forcément de joueurs références sur ces années-là, j’étais trop jeune, mais après, bien sûr, mes références, c’étaient Giresse, Platini, toute cette époque-là, des joueurs qui m’ont fasciné. J’étais très focalisé France, et surtout équipe de France : le quart contre le Brésil en Coupe du monde 1986, celle de 1982… Ce sont des moments où on aurait dû gagner la Coupe du monde. On était proches des meilleurs, voire au-dessus, avec un milieu de terrain qui jouait comme le Brésil. Mais bon, l’échec est une étape qui permet d’avancer vers le succès, c’était peut-être nécessaire. Ce n’est pas une obligation, mais si tu es intelligent et sais apprendre de tes erreurs, la défaite peut être une étape avant de gagner.
Tu as fait une honnête carrière de joueur entre Angers, Châteauroux et Châtellerault…(Il coupe) Ouais, une petite carrière, j’ai fait 200 matchs en Ligue 2, mais j’ai arrêté tôt, à 28 ans. J’ai pris en charge l’équipe de Châtellerault qui était en CFA à l’époque et je ne voulais pas m’y lancer à moitié. J’ai fait une carrière de joueur moyen, j’aurais pu faire mieux, mais j’ai fait de mauvais choix dans ma carrière. J’ai commencé à jouer en Ligue 2 ici à 17 ans. Un an après, j’étais très sollicité par des clubs de Ligue 1 comme Nantes et Bordeaux, mais je voulais rester à Angers où je jouais en pro. Cela a sûrement nui à ma progression. Sur le moment, c’était bien, car je jouais, mais en équipe de France de jeunes, j’étais avec la génération William Prunier, Alain Roche, Jérôme Gnako. J’aurais pu au moins tenter ma chance. Mais je n’ai pas de regrets, si j’ai fait ce choix-là à l’époque… Mais cela correspond à mon caractère : je ne suis pas carriériste, je vais là où je me sens bien, pas forcément là où je peux briller. On a ce que l’on mérite.
Comment est arrivée la bascule vers le métier d’entraîneur ?J’ai souvent été capitaine dans les équipes avec lesquelles j’ai joué. J’ai toujours eu en moi ce côté un peu rassembleur, j’aime bien fédérer, j’aime bien organiser. Très tôt, j’ai passé mon BE1 – à 18 ans -, très tôt j’ai été responsable d’une équipe. À Chatellerault, je me suis occupé des juniors, puis de l’équipe trois senior, puis de l’équipe deux tout en étant joueur. J’ai une relation avec le jeu et les joueurs qui me fascine. Très tôt, j’ai voulu mettre en application les idées que je pouvais avoir sur le jeu et le foot. Très vite, j’ai eu la chance de pouvoir mettre tout cela en application. Cela me plaisait. On appelle cela une vocation, mais je n’ai jamais imaginé ou pensé à être là où je suis aujourd’hui. Je ne pensais même pas en faire mon métier. J’ai dépassé le conte de fées aujourd’hui, mais je vis cela comme une très belle histoire. Le foot fait partie de ma vie aujourd’hui, sûrement plus qu’avant, mais la passion, elle, a toujours été là.
Mais comment se passe le passage du rôle de joueur à celui d’entraîneur ?À Châtellerault, le club ne va pas très bien, on descend de National en CFA. Le club ne souhaite pas poursuivre avec l’entraîneur d’alors, le président me dit : « Allez, je te fais confiance, est-ce que tu veux reprendre l’équipe en CFA ? » J’ai réfléchi, car je ne prends jamais de décisions à la hâte. J’ai dit : « Ok j’y vais, mais j’arrête de jouer. » Je m’occupais déjà des autres étant joueur, donc cela n’a pas été un changement trop violent, car j’ai toujours aimé ce côté échange, relationnel. Cela compte beaucoup dans ma vie, c’est essentiel. La vraie bascule, c’est d’être responsable d’un groupe et de devoir faire marcher tout le monde dans le même sens. Mais mon éducation fait que j’avais déjà cette ouverture sur les autres. J’ai changé de métier, mais pas de personnalité.
La vocation d’entraîneur dont tu parles, c’est aussi une autre manière d’aimer le football…Je me suis toujours intéressé à ce que faisait le coach, j’ai gardé des exercices qui me plaisaient… Mais pas dans l’idée que cela me servirait, c’est juste que cela me plaisait. Ce n’était pas programmé, c’est arrivé naturellement.
Le premier jour s’est passé comment ?Tout simplement, j’ai réuni le groupe de joueurs que j’avais sélectionnés. Il faut poser les premières pierres, les premiers échanges sont importants. Les joueurs se font très vite une idée de leur coach, c’est comme lorsque l’on visite une maison. Un entraîneur ne peut pas manquer son entrée en matière. On ne peut pas partir de suite dans le projet de jeu, mais on établit de premières règles, et ensuite seulement, on va plus loin pour expliquer ce que l’on veut. Le plus important, c’est que les joueurs adhèrent, si ce n’est pas le cas, tôt ou tard, cela ne marchera pas. L’idéal, c’est de les faire participer à la mise en place du projet et qu’ils finissent pas s’approprier le projet.
Ton fils Kévin a 21 ans et se voit déjà devenir entraîneur, il gère les U14 du SCO d’Angers…Il a chopé le virus, très tôt il venait avec moi en déplacement, il était dans le vestiaire. Très tôt, il a vu des choses rares pour quelqu’un de son âge. Quand il s’est mis à jouer, il avait besoin d’analyser, et il le faisait bien. Alors il a commencé à sa demande à s’occuper des petits, aujourd’hui ce sont les U14. Il a déjà le truc, je le sens. Il commence beaucoup plus tôt que moi. Il aime jouer, mais il prend plus de plaisir à entraîner. Sa passion est à deux facettes, il a plaisir à transmettre et organiser.
Après huit ans à Châtellerault dans ce rôle d’entraîneur, tu es revenu à Angers avec un rôle moins exposé. Comment cela s’est fait ?Ce n’était pas prévu, je suis revenu à Angers parce que mes enfants étaient sur place, je voulais les voir plus souvent. J’avais arrêté ma carrière d’entraîneur après une montée en National. Avec le SCO, ce sont des rencontres. J’ai fait une année sans football, il me manquait quelque chose, ma femme ne me reconnaissait pas. Je suis là, et le club a failli descendre en CFA, mais s’est maintenu. Il a été racheté par Willy Bernard qui installe Olivier Pickeu comme directeur sportif. Ils choisissent Jean-Louis Garcia comme entraîneur. Et puis, je ne sais pas par quel biais, Olivier Pickeu m’appelle : « Est-ce qu’on peut se voir ? Le poste de l’équipe réserve va se libérer. » On s’est rencontrés, il y a eu le feeling. Donc très rapidement, j’ai accepté et trouvé une situation catastrophique en équipe réserve. On reprend l’entraînement, on est cinq. Le club était parti en lambeaux, ils s’étaient concentrés quasi exclusivement sur le groupe en National, car l’objectif était de remonter. Il y avait eu une vague de départs. J’ai repris l’entraînement en juillet 2005 avec 5 joueurs…
Comment on fait dans cette situation, on passe une annonce dans Pôle Emploi ?C’était complètement amateur. Je me souviens d’un joueur, David Vespuce, qui était là l’année d’avant, mais qui avait été écarté par l’entraîneur pour ne même plus jouer avec la réserve, mais avec l’équipe trois en DSR. Il a appris que l’entraînement avait repris avec un staff différent. Je l’ai vu arriver les mains dans les poches. Il s’est présenté : « Voilà, j’ai été écarté l’an passé, je ne suis plus au club, mais comme tout a changé, est-ce que vous m’accepteriez à l’entraînement ? J’ai mon sac dans le coffre de la voiture. » Je lui ai répondu : « Bah oui, puisque je n’ai pas de joueurs, viens. » On repartait de zéro. Un joueur, puis deux, puis trois, on a réussi à constituer une équipe avec les mecs qui ne jouaient pas en National. Puis on a fait monter des jeunes. Je m’entraînais dans trois lieux différents par semaine, j’avais tout dans ma voiture. Le club n’avait pas les infrastructures ni d’unité de lieu. La réserve, on s’en foutait, tout se faisait à l’arrache. Cela a duré deux ans. Il y a eu une très nette amélioration quand on a eu un même terrain d’entraînement pour toute la semaine, mais je devais partager le terrain avec les U19 nationaux. On est partis de loin, jusqu’à finalement s’entraîner à côté des pros comme une vraie réserve professionnelle. Cela m’a plu, car j’adore construire.
C’est pour cela que tu deviens l’entraîneur de l’équipe première en 2011… Tu as construit les fondations, donc tu es le successeur logique…Logique et football, ce ne sont pas deux mots qui fonctionnent toujours ensemble. Je n’avais jamais imaginé devenir entraîneur d’une équipe pro, j’étais bien où j’étais. Après, je ne vais pas pleurer, je suis bien où je suis aujourd’hui aussi. Mais ce qui me plaît le plus aujourd’hui, ce n’est pas forcément que le club soit en Ligue 1, mais plutôt de voir ce que l’on a construit, ce qu’il représente. Au départ, on ne montait pas, mais cela ne veut pas dire que l’on ne travaillait pas bien. On avait le 13e budget de Ligue 2, là on est le 19e budget en Ligue 1. On est toujours obligés de se surinvestir, c’est très dur. Même quand on ne montait pas, on surinvestissait. Mais ce n’est pas suffisant parce que les gens voulaient que l’on soit en Ligue 1, le reste, ils s’en moquent. Les moyens, comment, avec qui, ce n’est pas leur problème. C’est comme un match, en tant que technicien, je ne peux pas m’arrêter au résultat, le contenu est essentiel. Mais ce que je vois, c’est que les Angevins sont fiers d’être angevins aujourd’hui.
La réussite actuelle d’Angers tient essentiellement à ce gros travail de fond entamé en 2005 ?Tout à fait, je donne un exemple qui n’a rien à voir avec le terrain : notre centre d’entraînement. La plupart des clubs attendent de monter pour se construire un vrai centre d’entraînement, nous on n’a pas attendu. Quand on monte, on est prêts… Je préfère avoir un stade un peu moins bien, mais des fondations solides. Le club a mis les priorités dans le bon ordre. On peut penser que l’on a eu de la chance, mais nous, on a fait tout ce qu’il fallait pour ne pas dépendre de la chance. On en a sûrement eu, mais la chance, cela ne suffit pas.
Propos recueillis par Nicolas Jucha
Retrouvez le reste de l'interview de Stéphane Moulin dans le numéro 20 de So Foot Club, actuellement en kiosque.