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Au Secours, tout va bien

Par Mathieu Rollinger, à Paris
Au Secours, tout va bien

Le football a toujours consacré des gagnants et destitué des perdants. Mais dans la seconde catégorie, certains morflent plus que d'autres. C'est le cas de Youssouf Cissé, Ivoirien arrivé en France avec la conviction de devenir pro. Planté à la gare du Nord par un obscur agent, il dort aujourd'hui dans des cages d'escalier en attendant que son destin puisse se remettre en marche. Et c'est aujourd'hui grâce au Secours populaire et son équipe de foot qu'il arrive à garder la tête hors de l'eau.

Pour Youssouf, on ne transige pas avec certains horaires. Surtout quand il s’agit de foot. Quand l’horloge du gymnase Ostermeyer pointe déjà 17h33, il rassemble ses coéquipiers et interpelle son coach pour commencer la séance. « Monsieur, faut qu’on y aille là ! » Chaque minute compte. Khaled interrompt sa discussion, dézippe légèrement sa veste de training et agrippe son sifflet. Sous ses airs de Gad Elmaleh, ce trentenaire algérien est aussi étudiant en STAPS, venu en France pour valider une équivalence de son diplôme d’entraîneur et de formateur déjà reconnu par la CAF. Dans le cadre de son cursus, il retrouve deux fois par semaine cette équipe qu’on appelle le « Racing Pop » . Une formation créée en 2013 et gérée par les équipes du Secours populaire français installées dans le 18e arrondissement de Paris. Le but de l’opération est simple. « Nous apportons à travers la pratique du football un suivi social » , résume Antonin, en charge de l’animation du projet mettant l’accent sur l’intérêt de s’appuyer sur le football pour prendre en charge ces hommes, laissés sur la touche par la société.

Les yeux clairs de Khaled balayent alors une assistance qui lui est encore inconnue. Le prof vient de débuter, et commence donc à faire l’appel. « Amara ? » , présent. Sierra-Léonais de 22 ans, il assure la traduction pour les anglophones. Vêtu d’un maillot de Manchester United, il est de ces usagers qui s’investissent énormément avec le Secours populaire, à qui il doit beaucoup : c’est un bénévole qui l’a recueilli à 16 ans, et c’est en partie grâce à ce soutien qu’il s’apprête à obtenir son diplôme de pâtisserie, et souhaite exercer son métier en Sierra Leone. « Issa ? » , absent, mais avec une excuse : l’emblématique capitaine avait un entretien d’embauche en ce mardi. « Bright ? » , présent tout comme les autres Nigérians, pour la plupart réfugiés politiques, payant les conséquences de la guerre du Biafra. « Et Youssouf ? » , présent, comme toujours depuis le mois d’avril dernier. Tout est en place ? Jouez messieurs. Si la partie est hachée, entre les grigris de certains et la condition physique relative d’autres, Youssouf et l’ensemble de ses coéquipiers jettent toute leur énergie dans la bataille. À 23 ans, cet Ivoirien aux épaules larges et à la crête soignée a déjà trop perdu de temps. Il n’est alors pas étonnant de le voir se lancer comme un dératé aux quatre coins de ce terrain glissant.

Un rêve dans le baluchon

Pourtant, quelques heures auparavant, c’est lui qui courait après la montre pour arriver à temps jusque dans les locaux du Secours populaire français. Un léger retard dû à un incident sur la ligne 4 du métro, mais aussi àl’immensité de la gare du Nord où il a effectué sa correspondance. Un carrefour hautement symbolique pour lui : c’est dans ce dédale de couloirs qu’il s’est perdu un soir d’automne 2018 et dont il n’est plus vraiment sorti depuis. Youssouf se présente volontiers comme « un footballeur professionnel » . Malheureusement, en France, on le cataloguerait plus comme un immigré clandestin sans domicile fixe, qui dort actuellement dans des cages d’escalier de Saint-Ouen grâce à ses négociations avec les concierges et les éboueurs. Et cela fait plusieurs mois que cela dure, le garçon n’ayant la moindre source de revenus, se refusant à mendier. De toute façon, il n’a ni les papiers nécessaires pour bosser légalement, ni l’intention de s’éparpiller avec un job au black. « Je ne veux pas travailler, parce que ça voudrait dire que je ne pourrais pas m’entraîner, martèle-t-il, assurant avoir une hygiène de vie modèle. Si je devais bosser du lundi au dimanche, je n’aurais pas le temps de contacter des clubs, ni de faire le nécessaire pour entretenir mon corps. Et ça serait comme faire une croix sur mon rêve. » Le rêve en question : « Jouer pour le PSG. » Ni plus, et (dans l’idéal) ni moins.

Cette ambition semble être une des rares choses qu’il possède. Plutôt que de devoir compter sur le Secours populaire pour se constituer une garde-robe et bénéficier de repas chauds, c’est une tout autre réalité que Youssouf espérait trouver en France. « Un monsieur devait me faire signer ici en France, explique-t-il en tapant du poing sur la table. Il m’avait donné rendez-vous à Gare du Nord. Je suis arrivé à 19h ou 20h et je ne l’ai pas vu. » Seul, sans famille proche en France, il est tout simplement planté dans un décor qu’il découvre simultanément, sans aucune information. « Je me suis dit que pendant mon voyage, l’agent et mon représentant n’avaient pas pu s’arranger, que l’accord était tombé à l’eau » , suppose-t-il sans avoir encore le fin mot de l’histoire. Toujours est-il qu’il est à ce moment abandonné.

Je ne veux pas me lancer des fleurs, mais je joue un peu comme Robinho. J’aime aussi Neymar et Mbappé. Je travaille pour avoir la technique du premier et la vitesse du second. Et Ibrahimović pour le physique.

« Dieu merci, j’ai vu un monsieur passer. D’abord, il ne m’a pas écouté, il était pressé. Il continuait de marcher et je l’ai suivi du RER B, jusqu’à la ligne H. J’insiste et je lui dis« Je suis ivoirien et je suis perdu ! »Par chance, lui aussi était ivoirien, et de la même ethnie que moi. Nous, les Ivoiriens, normalement, on s’entraide. Et là, il m’a amené jusque chez lui. » Pendant trois mois, Youssouf pourra reprendre des forces chez ce logeur tombé du ciel. Celui-ci l’aide à se relever, l’oriente, le dirige vers Coach Campos à Saint-Denis et son académie de Saint-Denis où de nombreux joueurs sans club trouvent refuge. Youssouf pousse ensuite les portes de quelques clubs de la région parisienne. Mais les démarches administratives rebutent la plupart des présidents de le prendre en charge. Et au bout de trois mois, l’hiver passé, son parrain ivoirien l’invite à quitter son appartement, « parce qu’en France, ça ne se passe pas comme ça » , rapporte Youssouf, et lui indique la direction du Secours populaire. Ici, « l’accueil était magnifique » , remercie-t-il. « Quand je suis arrivé, tout a changé en moi. On m’a donné à manger, de quoi me laver, de quoi m’habiller. » Et de quoi ne pas perdre le contact avec le ballon.

Un roman africain

Un tel naufrage pourrait être imputé à de l’inconscience, de la naïveté, de la candeur. Comme si ces illusions l’avaient irrémédiablement attiré vers les profondeurs. Son parcours est celui de centaines de jeunes Africains venus s’échouer en Europe, persuadés qu’ils ont les qualités pour s’imposer dans l’élite du football. « Mon idole, c’est Robinho, clame-t-il d’ailleurs. Je ne veux pas me lancer des fleurs, mais je joue un peu comme lui. J’aime aussi Neymar et Mbappé. Je travaille pour avoir la technique du premier et la vitesse du second. Et Ibrahimović pour le physique. » Mais que faire quand le foot a toujours été l’élément central de son existence et que tout le monde au pays ne cesse de louer ce don relevant du divin. Sadio Mané n’a pas fait autre chose, avec une réussite diamétralement opposée. Youssouf, lui, est né à Abidjan, seul garçon au milieu de ses trois sœurs. « Mon père aimait le foot. Il était le premier supporter de l’ASEC Mimosas, raconte-t-il les yeux brillants. D’habitude, on mangeait à 19 heures. Le vieux me disait :« Tant que le match n’est pas fini, on ne mange pas. »On pouvait avoir la dalle, pleurer, il insistait :« Je m’en fous, le foot d’abord. »S’il n’est plus de ce monde aujourd’hui, il m’a toujours soutenu pour que je devienne un grand joueur. » Et Youssouf ne tient pas à décevoir son paternel.

À l’âge de 9 ans, il intègre l’Académie Jean-Marc Guillou. Il y trouve le cadre parfait pour s’épanouir balle au pied, et suivre les cours en parallèle. Là-bas, il se lie d’amitié au gré des stages avec des garçons comme Yves Bissouma, aujourd’hui à Brighton et originaire lui aussi du quartier de Yopougon, et Youssouf Koné, le latéral de l’OL. Originellement, l’Académie JMG travaillait en partenariat avec l’ASEC. Mais un désaccord entre le formateur français et la direction du club a modifié les statuts au milieu des années 2000. Et toute une génération a dû retomber sur ses pattes. Pour Youssouf Cissé, que tout le monde appelle alors « Estongo » pour évoquer son redoutable extérieur du pied, ce sera le Majestic SC. L’histoire aurait pu en rester là, obligeant Youssouf à filer des coups de main à ses potes garagistes comme il a pu le faire par moments. Mais un certain Ousmane Sylla le repère à l’âge de 19 ans, avec quatre de ses collègues. Sylla est recruteur pour le club nigérian Oyah Sports et il passe un deal avec les Ivoiriens : ceux-là doivent permettre au club d’accéder à la Pro 1, et pourront ensuite passer des essais en Europe. « J’étais le meilleur buteur là-bas. J’y suis resté trois ans. Monsieur Sylla nous disait :« Je compte sur vous les Ivoiriens parce que les Nigérians ne sont pas assez techniques. » » L’accession en poche, la promesse est tenue. Direction la Finlande, où le recruteur dispose de partenariats avec plusieurs clubs.

L’espoir au bout du tunnel du Parc

Après un crochet en Côte d’Ivoire pour embrasser sa mère et réunir un peu d’argent pour payer son billet d’avion, Youssouf met le cap vers le Nord et le grand froid. « J’ai atterri à l’AC Kaajani, alors que personne ne nous avait vu jouer avant. On était payés, logés et on s’entraînait dans des bonnes conditions » , assure-t-il. Sauf que lui et ses compagnons ne joueront aucun match. « Ils parlaient finnois entre eux, on ne comprenait rien. On échangeait un peu en anglais, mais bon. À l’entraînement, j’entendais qu’ils prononçaient des fois mon nom. Je savais qu’on parlait de moi, mais sans savoir pourquoi. Le coach m’aimait bien, mais ne m’a jamais donné de réponse. » Impossible alors de rester dans ce qui ressemble à une prison de glace. Un retour au Nigeria est envisagé, mais Youssouf ne veut pas rester sur un tel échec. « Moi je parle français, j’ai appelé ma daronne pour qu’elle m’envoie un peu d’argent et je suis venu en France. » Là-bas, un agent devait le réceptionner… Mais depuis la Gare du Nord, dépourvu de réseau téléphonique, ni l’intermédiaire, ni Yves Bissouma, ni Youssouf Koné ne pourront aider « Estongo » .

Les éclaircies reviendront bien plus tard, grâce au Secours populaire. Avec le Racing Pop, s’il fait équipe avec « des joueurs dont le foot n’est pas le métier » , il laisse de côté toute amertume pour tirer tout le monde vers le haut.

Quand j’ai commencé à jouer avec le Secours populaire, je me suis senti important.

À l’ego, mais aussi la volonté féroce de rendre la confiance qu’on lui donne enfin. « Quand j’ai commencé à jouer ici, je me suis senti important. Et ça a aussi changé l’équipe, sourit-il. Ils m’ont testé dans un match face à l’équipe des avocats du barreau de Paris. On a gagné 5 à 0, j’ai mis les 3 premiers buts. » Alexandre, préparateur physique désigné de l’atelier, ne peut que confirmer le talent de son ami. « Il faut environ dix minutes pour savoir ce que vaut un joueur. Pour Cissé, ça a pris beaucoup moins de temps » , assure ce massif Camerounais. Youssouf croque dans toutes les opportunités qu’on lui donne, s’éclate à la pointe de l’attaque avec son homonyme Ousmane Cissé, va voir des matchs au stade avec l’association. Le 12 mai dernier, il a même pu exaucer une infime partie de son rêve : jouer au Parc des Princes.

Grâce à la Fondation PSG, le Racing a pu disputer un match amical contre le club de Chennevières-les-Louvres. « Je n’y croyais pas, s’extasie-t-il. On était dans les vestiaires du PSG, on a joué sur la pelouse et tout ! » En attendant le match retour face au CLLFC le 13 octobre à l’occasion du Vrai Foot Day, Youssouf devra repasser quelques nuits sous les escaliers. Son club de cœur, le PSG, joue ce mardi soir contre Galatasaray. « Il y a une cafétéria à côté de là où je dors. Si tu n’as pas d’argent pour acheter un café, tu peux regarder le match depuis l’extérieur. C’est là-bas que ça se passe » … pour le moment et en attendant mieux. Car même derrière la vitrine d’une brasserie, il ne cessera jamais d’y croire. Youssouf est encore loin d’être à bout de souffle.

Le « Do It Yourself » ou DIY est une tendance qui signifie « faites-le vous-même » . Le club de Chennevières-les-Louvres FC (Val d’Oise) le met en pratique depuis quelques années déjà en automédiatisant la vie du club. Comment ? Via P2J, premier podcast indépendant dédié au foot. Alors pour le Vrai Foot Day et parce qu’ils savent qu’ils ne seront jamais mieux servis que par eux-mêmes, les gars du CLL FC ont mis sur pied un match contre le Racing Pop’, club du Secours populaire, avec conférence de presse, diffusion du match avec commentaires sur les internets et, bien sûr, réalisation d’un podcast spécial. L’adversaire n’a pas été choisi par hasard. Le 12 mai dernier, l’équipe du Secours Populaire de Paris, équipe composée de personnes en situation de précarité et d’exclusion, invitait en effet le Chennevières-lès-Louvres FC à un match de gala au Parc des Princes. Il s’agit donc ici du match retour, dont les profits de la buvette seront reversés au Secours populaire.

Adresse:Stade Municipal Rue Emile Boisseau95380 Chennevieres Les Louvres

Dans cet article :
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Par Mathieu Rollinger, à Paris

Tous propos recueillis par MR. Photos de MR et Nicolas Simon.

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