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Au revoir, Gerland

Par Gabriel Cnudde
Au revoir, Gerland

Comme les Gones et les Fenottes de mon âge, j'ai découvert le football avec le grand Lyon des années 2000. Celui de Sonny Anderson, de Juninho et de tant d'autres. Celui de Gerland, surtout. Ce samedi soir, j'irai y crier pour la dernière fois, 16 ans après y être allé pour la première fois.

Mon très cher Gerland,

Alors ça y est, cette fois, je crois qu’il faut se dire au revoir. C’est marrant, je n’avais pas imaginé que ce serait si douloureux. Je veux dire, on y était quand même bien préparés : le dernier derby, le dernier match de Ligue des champions… Mais cette fois-ci, c’est terminé. Et j’ai beau essayer de prendre du recul, me dire que ce n’est que du football, j’ai quand même du mal à imaginer que plus jamais après ce soir je ne viendrai m’asseoir sur tes sièges inconfortables. En même temps, tu m’en as fait vivre des choses !

Je me souviens comme si c’était hier de mon tout premier match chez toi. C’était le 29 mai 1999, j’avais 7 ans, et Lyon affrontait Strasbourg. Mais pour moi, ça aurait pu être une finale de Coupe du monde que je n’aurais pas été plus heureux. Toute ma famille était là, et laisse-moi te dire que c’était déjà un exploit en soi, puisque presque toute ma famille déteste le sport que tu héberges. J’ai monté les escaliers du bloc C de la tribune Jean-Bouin en courant, et, marche après marche, la pelouse se découvrait sous mes yeux. Et arrivé en haut, BAM ! Heurté de plein fouet par l’immensité d’un stade de football. Cette pelouse parfaite, ces immenses spots qui l’éclairent, ces tribunes qui se garnissent peu à peu… Un sentiment de plénitude à peine explicable, mais compris par tous ceux qui entrent dans un stade pour la première comme pour la millième fois. Et puis le match a commencé. Et puis Alain Caveglia a marqué. Pour être franc, je ne me souviens pas du but. Mais je me souviens de ce qui a suivi. De tous ces cris de joie, du virage qui descend féliciter son buteur, de la voix du speaker qui résonnait dans tes enceintes. Et de mon frère et de mon cousin qui me secouent dans tous les sens en hurlant. Et là, alors que j’étais ballotté de siège en siège, j’ai compris que le football allait prendre une certaine place dans ma vie.

Je me suis mis à enregistrer tous les matchs de ce que j’ai commencé à appeler « mon équipe » sur VHS. Sauf quand j’avais l’autorisation d’aller les voir à la télé chez mon grand-père, de rares exceptions qui faisaient de moi le gamin le plus heureux du monde. Lui, il t’avait connu à l’époque des grands virages et il m’en parlait comme d’une vieille légende. Il me parlait de Fleury Di Nallo, de Serge Chiesa et de l’Ours Blanc pendant des heures, puis quand le match commençait, il se taisait d’un coup. Ce n’était pas le supporter le plus communicatif, mais pourtant, je me souviens très bien de l’avoir vu crier devant un match. C’était le 22 octobre 2002, devant Lyon-Inter. Le but de Sonny l’a fait se lever. Maintenant, on peut se le dire, c’est le plus beau but que tu as fait naître en ton sein. Je me souviens très bien de Sonny se frappant le torse, du speaker hurler : « Sonny dou Braziiiiiiiiiiil…. ANDERSON ! »

Je me souviens aussi de ce soir de mai 2002, quand ma mère m’avait jugé trop jeune pour accompagner mon frère voir Lyon-Lens. J’avais dû écouter la radio m’expliquer comme tu étais beau, plein de vie, prêt à faire la fête. Et puis, j’avais entendu le brouhaha assourdissant devenir un cri de joie. « C’est fini ! C’est fini ! Pour la première fois de son histoire, l’Olympique lyonnais est champion de France, chez lui à Gerland ! » Peut-être que mes souvenirs de gosse grossissent le trait, mais je jure qu’à ce moment-là, j’ai cru entendre les cris qui venait de chez toi et ceux qui venaient de la place Bellecour monter à l’unisson dans la nuit. Je n’y croyais pas. Mon frère non plus. Il est rentré tard dans la nuit, lui avait l’âge de faire la fête. Mais il m’a ramené un morceau de toi. Un bout de pelouse qui n’a malheureusement pas passé l’épreuve du temps, mais qui était là, à la maison.

Et puis il y a eu ce 26 juin 2003. J’étais enfin assez vieux pour accompagner mon frère te voir. Encore en latérale, mais en Jean-Jaurès cette fois. Bloc G. Je crois que je n’avais pas vraiment saisi le principe de la Coupe des confédérations, mais je m’en fichais, moi, j’avais onze ans, et j’étais juste content de venir au stade. Je rigolais, je tapais dans mes mains, bref, je m’amusais, quoi ! Puis j’ai vu Marc-Vivien Foé tomber. Sur le coup, je n’ai pas compris. Je regardais des matchs tous les week-ends et des joueurs qui sortaient sur civière, y en avait plein. Puis je suis rentré à la maison, et ma mère m’a dit d’allumer la télé. Ce match-là, je m’en serais bien passé.

J’ai grandi, et j’ai commencé à avoir le droit d’aller te voir seul. Enfin seul, sans adultes, quoi. Avec les copains, j’ai commencé à découvrir le virage nord. Les chants, les insultes aussi. Et ça n’a fait que renforcer mon admiration pour toi, et pour cette équipe. Le 14 octobre 2006, j’avais passé la journée à jouer à la plaine des jeux avec les copains. C’était marrant de jouer si près de toi en s’imaginant qu’un jour, on ferait trembler tes filets. À la fin de notre match, j’ai couru me doucher à la maison et je suis vite retourné devant le centre social, à Debourg. Ce soir, Sylvain nous emmenait voir le derby. Mon premier derby ! Dans tes tribunes, je tremblais. D’excitation, mais de peur aussi un peu. J’avais un peu peur de voir cette emprise que le football avait sur moi. Et puis on a gagné. À la 88e minute, grâce à Juninho. JU-NI-NHO, LALALALALALALA ! Laisse-moi te dire qu’après ça, je n’étais plus tout à fait le même homme.

Alors voilà Gerland, je n’ai pas envie de te dire au revoir, mais je n’ai pas le choix. Tu as toujours été un monument à part dans le paysage lyonnais. Depuis mon bahut, Saint-Just, je voyais tes arches se dessiner au loin dans le paysage. L’hiver, quand Lyon jouait le vendredi et que j’étais de sortie, je voyais tes gros projecteurs dans la nuit. Tu vois, tu as toujours été quelque part dans mon champ de vision. Tu vas me manquer. Ça va me manquer de ne plus rejoindre les copains au Ninkasi avant les matchs, de ne plus dévaler tes petites pentes en gazon à la fin des matchs pour espérer avoir un métro, ça va me manquer de ne plus pester contre le monde pour finalement rentrer à pied. Voilà, tout ça va me manquer. J’espère qu’on sera bien reçus dans le nouveau stade. J’espère qu’il sera à ta hauteur. Ce n’est pas parce qu’il ne faut pas refuser le changement qu’on ne peut pas regretter le passé. Enfin, je crois. Quoi qu’il en soit, sache que je te suis reconnaissant à vie de m’avoir hébergé pendant 16 ans et de m’avoir fait découvrir ce sport qui m’habite aujourd’hui.

Ce soir, je me casserai les cordes vocales s’il le faut, mais tu m’entendras crier une dernière fois chez toi.

Merci.

Dans cet article :
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Par Gabriel Cnudde

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