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Au Nord, c’était le silence
Lens en Ligue 1, la cité artésienne aurait dû s’embraser, les pintes valser, les maillots Shopi tournoyer au-dessus des visages rougis. Au lieu de ça, l’interminable attente pour retrouver l’élite s’est soldée en plein confinement. Au moment de l’officialisation, Bollaert était sous la flotte et la ville d’un calme olympien. Mais quelques irréductibles rôdaient et l’on s’est dit que le Picon bière était proche.
Il est 17h sur le parking de Bollaert-Delelis en ce 30 avril. Sur les réseaux sociaux, ça se tort le pouce pour choper le tweet qui officialisera la montée en Ligue 1. Devant le temple sang et or, le seul grabuge du jour, c’est le chantier du skate park à deux pas d’une boutique du club au rideau fermé. Les consignes des gestes barrière du Covid-19 placardées à l’entrée calment l’euphorie visible sur Internet. Même la mythique remorque tractée par Gervais Martel et le druide Daniel Leclercq en 1998 tire la tronche sous des cordes d’eau. « Pour la fête faudra repasser, dresse froidement Christian, 58 balais, parti faire ses emplettes avec le crâne dégarni et un amour invétéré pour le Racing. Pas de rassemblement, tous chez soi, c’est bizarre comme sentiment. »
Le foot va bien, l’économie se redresse, CQFD
Au même moment, une Opel Astra grise, coussin de Lens sur la plage arrière, file à toute berzingue. Les Leaders, qui enregistraient une mine de tubes made in Lens dans les années 1990, résonnent derrière les vitres du break allemand : « C’est vrai que Lens est gai, c’est vrai que Lens est bon, on est champion de France ». La flamme se ravive, le cœur y est, mais cette saleté de pandémie laisse chacun cloîtré. « On fera la fête quand tout sera rouvert », présage Pascal, croisé boulevard Emile-Basly.
Sorti prendre l’air une heure, il a laissé sa caisse « là-haut, rue de l’Hospice, à côté de l’église », alors il a le temps de discuter et d’exhiber fièrement sa veste – un brin délavée – du Racing. « Je ne la lâche jamais et encore moins aujourd’hui où l’on retrouve la Ligue 1. C’est un soulagement énorme. Depuis l’arrivée de Joseph Oughourlian en 2016, on a renoué avec la stabilité, même si c’est frustrant pour Philippe Montanier (écarté fin février au profit de Franck Haise, N.D.L.R.). Toute la ville va mieux respirer. » Pendant qu’on s’égosille timidement aux fenêtres à coups de « on est en Ligue 1 », Christian est de concert : « Quand le foot va bien, les commerces tournent. On vient de Picardie, du Nord, de région parisienne pour voir Lens. Le stade va être plein. Le football est un moteur indispensable ici, c’est une culture, un état d’esprit. »
« La jeune génération aura de quoi faire de gros déplacements »
Entre deux rembobinages de la fête de la montée en 2014 sous l’ère Kombouaré – « c’était génial devant la mairie, Gervais était en fusion » – on laisse Christian pour s’aventurer près de la Loco, le siège des Red Tigers (RT), le principal groupe ultra artésien. Le QG planté devant la gare, « fermé jusqu’au 11 mai » d’après sa page Facebook, est pris en étau entre deux seaux de peinture et un échafaudage. Pour la tournée de bière blonde bien fraîche et une tranche de saucisson, il faudra repasser. Jonathan alias « Pessimiste », le principal capo de la Marek et figure des RT, convient « d’une montée bizarre parce qu’il y a ces 25 000 morts du virus en France et qu’en ce moment, on pense surtout à collecter et distribuer des denrées pour les hôpitaux ». Maître dans l’art de haranguer les foules, il n’a « pas trop suivi » les atermoiements des décideurs sur l’arrêt des championnats, mais juge « que dans cette période très compliquée, c’est quand même une bonne nouvelle. Psychologiquement, les gens iront mieux ». Et « pour la jeune génération de supporters qui n’a connu que la Ligue 2 ou presque, elle aura de quoi faire de gros déplacements ». Ludovic Nanzioli, capo du Kop Sang et Or (KSO), ne ratera « pour rien au monde le dep’ à Geoffroy-Guichard » et salive d’avoir enfin du répondant dans le parcage visiteur de Bollaert. « Là il y aura de la bagarre avec de vrais adversaires de chants, de tifos, de gestuelle. »
Satisfait « à 30% » de cette montée « parce qu’il n’y a pas eu l’adrénaline des derniers matchs de la saison où ça palpite très fort », Ludo craint aussi la reprise. La fête de la montée s’est cantonnée à des vidéos et des stories Instagram, alors à quoi ressemblera la reprise ? « Si c’est à huis clos, j’espère qu’on ne va pas nous mettre les grandes affiches à ce moment-là. Le plaisir du foot, c’est avec les supporters. Nous aurions fait la bringue pendant deux trois jours si nous étions montés dans des conditions normales. Au lieu de ça, on est en plein doute sur la manière dont on retrouvera les stades. » « On doit prendre notre mal en patience, épilogue Pessimiste. On n’ira pas à Bollaert avant au moins septembre. » Ce jour-là, les friteries Sensas couperont les patates par kilos entiers, les fricadelles rempliront les gosiers et les notes de Pierre Bachelet pourront résonner dans tout le bassin minier.
Par Florent Caffery, à Lens