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Au Népal, décombres et du temps perdu

Par Théo Denmat et Kévin Charnay
4 minutes
Au Népal, décombres et du temps perdu

Si le Népal est 184e au dernier classement FIFA, c'est à cause d'un sacré temps perdu. Dix ans de désamour public à la suite d'un accident qui coûta la vie à 93 personnes lors d'une finale de Coupe en 1988. La faute à une foutue tempête de grêle.

Au Népal, une croyance populaire veut que l’on reste chez soi le samedi. Et pour cause, c’est un jour maudit. Là où, en Europe, les enfants partent jouer dans les parcs et ne sortent les gilets que pour délimiter les poteaux de cages fictives, au pays des sherpas, on se terre. Le samedi est en effet placé sous le signe de la planète Saturne, qui, dans la mythologie hindou, possède de puissants pouvoirs maléfiques. Pourtant, ce samedi 12 mars 1988, le stade Dasarath Rangasala est rempli. « J’avais dit à ma famille de ne pas sortir le samedi. Les anciens comprennent cela et ils ne sortent pas » , avait prévenu Maya Laxmi Vaidya entre deux mèches de ses cheveux blancs. Son petit fils de 12 ans est mort, ce jour-là, apprendra-t-elle des pompiers dans les couloirs de l’hôpital de Bir, après la catastrophe. 93 morts. 100 blessés. Le quatrième désastre le plus meurtrier dans un stade de football, juste derrière Hillsborough et ses 96 victimes. Et un stade autour duquel le Népal a construit son histoire.

Goulot d’étranglement

La journée s’annonçait pourtant belle. Au réveil cependant, une trentaine d’hommes ouvrent leurs volets avec plus de pression que les autres. Il s’agit des joueurs des deux équipes qui s’affrontent le soir même en finale du Tribhuvan Challenge Shield Cup : les Népalais de l’Entreprise de cigarettes Janakpur et l’Armée de Libération du Bangladesh. Le soleil domine jusqu’au déjeuner, mais en milieu d’après-midi, le temps se couvre. Des nuages qui couvaient de l’autre côté de l’Himalaya traversent les cimes pour venir souffler les neiges éternelles népalaises, alors que les tempêtes, rares en cette période de l’année, se font puissantes lorsqu’elles explosent. Dans la vallée de Katmandou, des arbres ploient sous l’effet des vents qui soufflent à 80km/h et chutent sur les lignes téléphoniques, coupant le réseau local. Le coup d’envoi est donné à l’heure, le stade est plein à craquer, les 30 000 spectateurs scrutent le ciel avec inquiétude : quelque chose va péter, et ce n’est pas que l’orage.

De par sa structure, le stade Dasarath n’offre que trop peu de protections matérielles : la seule partie couverte de cette terrasse ouverte est la tribune ouest. Alors, lorsque l’orage explose, c’est la panique. Encore pire, le public prend rapidement conscience que ce sont… des grêlons qui tombent. Des énormes grêlons. La quasi-totalité des supporters situés dans la partie ouverte se ruent vers la tribune ouest, celle qui possède un toit. Les forces de police présentent sur place repoussent la vague : il y a trop de monde, la tribune peut craquer. Ce que ne savent pas les futures victimes en entamant leur demi-tour, c’est que sept des huit portes de l’enceinte sont closes, fermées par la police afin d’empêcher quelconques supporters clandestins d’assister à la finale. Seule échappatoire : la porte Sud. Des témoins décriront plus tard aux pompiers ces scènes d’hystérie collective aux abords de l’unique sortie, ces cris étouffés, ces courses dans le tas, ces morceaux de glace lâchés par Saturne.

« Le football népalais a été fait de peur pendant dix ans »

Sombrement, inexorablement, la masse s’englue. 93 personnes se font écraser par la foule, parmi lesquelles deux officiers de police. Lorsque les premiers journalistes arrivent sur place, plusieurs minutes après que le gros des survivants soit passé, le sol est jonché de chaussures et de sandales. Les joueurs sont saufs, mais le peuple est choqué. Bikram Thapa, rédacteur en chef de goalnepal.com et historien du football népalais, n’avait que cinq ans au moment du drame. Aujourd’hui, il analyse : « Le football était en plein boom à l’époque, même les matchs de la ligue locale pouvaient attirer 25 000 fans. Après la tragédie, il a été totalement délaissé pendant dix ans. » Le football népalais tente de se reconstruire dans la foulée, et le gouvernement autocratique accorde 450 dollars aux familles des victimes, 90 dollars pour les blessés.

La vraie reconstruction, matérielle et psychologique, viendra un peu plus tard : « Le peuple népalais n’a recommencé à apprécier le football qu’à partir des Jeux d’Asie du Sud en 1999. Avant, plus personne ne voulait aller au stade, ils avaient peur. Cela a permis aux sponsors de revenir également, et c’est aujourd’hui le sport le plus populaire au Népal. » Désormais 184e au classement FIFA, le pays affronte ce soir son frère ennemi préféré, l’Inde, pour la cinquième fois en un an et demi. Un « Clasico » qui se joue cette fois dans le complexe sportif de Shree Shiv Chhatrapati, au cœur des terres hindoues. Or, en cette saison, le temps aoûtien de Bombay correspond à un climat chaud et humide. Par chance, le match est organisé un lundi…

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Par Théo Denmat et Kévin Charnay

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