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Au FC Échirolles, le football continue
Des joueurs décédés, d'autres appelés au tribunal dans l'un des procès de l'année, le triste anniversaire des dix ans de la mort de la légende locale Di Tommaso... Le FC Échirolles a vécu une fin d'année particulière. Mais les joueurs, les dirigeants et les fans de cette équipe de la région grenobloise font face ensemble, et comptent bien en sortir renforcés.
À peine arrivé dans la buvette du FC Échirolles, un colosse chauve annonce fièrement la nouvelle : « Ils ont gagné 5-0 ! Ou 6-0, je sais plus. En même temps, j’avais un peu bu. » Peu importe le score exact, les U15 viennent de frapper un grand coup. Jusqu’alors silencieux et hypnotisés par la fin sans suspense de Manchester City-Southampton, les quatre ou cinq clients affalés au comptoir se remuent pour demander le nom des buteurs. Cette salle à cent mètres du stade, à la fois bar, salle des trophées et point de rencontre de tous les affiliés au club, on la devine similaire en tout point à ce qu’elle était vingt ans auparavant, mis à part l’écran plat dernier cri. Avec les mêmes tireuses à bière, les mêmes chaises, sans doute les mêmes habitués, bref, un théâtre folklorique pour une scène de vie banale dans ce petit club en banlieue Sud de Grenoble. Mais ces moments-là, le FC Échirolles les affectionne par les temps qui courent. Touchés en quelques mois par la mort violente de deux de leurs joueurs et par un contexte local difficile, les Échirollois ne veulent pas oublier qu’ils sont avant tout un club de football.
Home of David di Tommaso
« Un homme a été tué d’un ou plusieurs coups d’arme blanche ce jeudi vers 13 heures, avenue Grugliasco, à Échirolles. Les circonstances du drame restent inconnues. » Le 5 novembre dernier, les pages du Dauphiné Libéré annoncent un nouveau drame dans cette ville souvent abonnée aux faits divers. Cet homme, c’est Grégory, milieu de terrain des U19 du FC Échirolles, et son décès suit de quelques mois celui de Luc, gardien de but au club. Dans les deux cas, pas d’histoires de bandes ni de règlements de comptes, mais plutôt une terrible poisse. Luc a reçu une balle qui ne lui était pas destinée, et Grégory a été poignardé après une altercation en voiture. Et au comptoir de Rodrigue, le barman du club, « les gens en parlent, bien sûr, mais on essaie aussi de parler d’autre chose » , assure ce dernier. Autre chose, c’est d’abord le terrain. Et ce samedi, les Échirollois ne veulent penser qu’au match qui attend leur équipe 1 face à Montélimar, en Division d’honneur. Une sorte de revanche contre des Montiliens qui ont battu les Isérois deux semaines plus tôt en Coupe de France après une séance de tirs au but dantesque. Un match qui sera également l’occasion de rendre un hommage à David di Tommaso, né, formé et désormais enterré à Échirolles, décédé à un jour près il y a exactement dix ans. Un souvenir toujours vif, puisque comme le rappelle Sébastien Navas, l’un des dirigeants du FC Échirolles : « Son père est directeur sportif du club, et on est beaucoup à être des amis de sa famille. »
Des T-shirts et des visages
La température dépasse difficilement zéro degrés dans le Eugène-Thénard, et à 18 heures, la nuit est déjà tombée sur la banlieue Sud de Grenoble. La petite cinquantaine de personnes assise dans les tribunes se réchauffe comme elle peut. Un kebab chaud, une discussion entre amis, ou tout simplement le combo doudoune+bonnet+écharpe+planqué-tout-en-haut-des-gradins-pour-éviter-les-coups-de-vent, à chacun son astuce. À l’entrée du stade, presque tout le monde se connaît, et Abdallah, qui tient la billetterie, aperçoit un joueur de l’équipe 2 : « Tu joues demain ? » La réponse est laconique : « Nan, je pense que je vais pas venir. » « Pourquoi ? » , la réplique mettra un terme à la conversation : « Je préfère rester avec le petit frère de Greg. » Les joueurs pénètrent sur la pelouse quelques minutes plus tard et se mettent en ligne, vêtus d’un T-shirt sur lequel figure David di Tommaso. La voix du speaker se met alors à résonner dans l’arène : « Le FC Échirolles vit actuellement la phase la plus dramatique de son histoire, après les décès de Luc et de Grégory » , avant de poursuivre sur un hommage à Di Tommaso et d’envoyer la minute de silence. Des T-shirts, les joueurs du FC Échirolles en portaient déjà lors du 7e tour de Coupe de France du 14 novembre dernier, avec les visages de Luc et de Grégory. « Et on les portera à l’échauffement jusqu’à la fin de la saison » , assure Johan, gardien remplaçant, qui était du déplacement. Une tunique que même les Grenoblois du GF38 ont porté, comme le rappelle Sébastien Navas en souriant : « Ils ont des problèmes au Stade des Alpes, alors ils sont venus jouer un match ici, et on les a sensibilisés. »
Les discours des vestiaires
Après un avant-match solennel et un brin pesant, la partie démarre, et Échirolles ne met pas longtemps avant d’assurer sa revanche face à ses bourreaux en Coupe. Ouverture du score au quart d’heure de jeu, carton rouge pour le gardien de Montélimar 5 minutes plus tard, un « Il me nique mon 8e tour ! » hurlé à l’arbitre pour le remercier de le priver de Coupe de France, le numéro 6 dans les cages car pas de goal remplaçant, un petit frisson lorsque ce dernier se permet d’arrêter le penalty, et le FC Échirolles qui ramène les 3 points à la fin. Une bonne chose pour une équipe qui jouait la saison dernière en CFA 2 et qui souhaite remonter le plus vite possible. Les joueurs se sentent-ils plus soudés depuis les drames qui les ont touchés ? Johan assure que oui : « Lors du match contre Montélimar en Coupe de France, il y a des joueurs qui ont pris la parole dans le vestiaire. On s’est rendu compte qu’on était une vraie équipe. » Krizman, le gardien du FCE formé à l’OM, est de ceux qui ont prononcé quelques mots : « Mon rôle, c’est de parler aux joueurs. Donc je leur ai parlé dans les vestiaires, je pense que tout le monde m’écoute dans l’équipe. Échirolles, c’est une famille. » Une famille de 600 licenciés mobilisée comme jamais ces derniers temps, et qui a fortement participé à l’organisation de la grande marche blanche pour Grégory le 11 novembre dernier. « C’est le club qui assurait l’encadrement de la marche » , confie Seb’ Navas, « Au départ le chef de la police de la ville avait un peu peur, il y avait 8000 personnes. À la fin, il est venu prendre le café chez nous. Il nous a dit qu’on avait été nickel, on s’est rendu compte que le club avait une âme. »
Mes que un club
Mais comme dans beaucoup de clubs de villes confrontées à des problèmes sociaux, difficile de se concentrer uniquement sur le sportif, Sébastien en a bien conscience : « Notre rôle, il est à 60% social et à 40% sportif. C’est ce qui fait notre charme, mais aussi notre faiblesse. Pour progresser sportivement, il faudrait qu’on fasse du tri, qu’on refuse des joueurs. Mais on ne se voit pas de refuser des Échirollois. » Jean, un ancien du club solidement installé au comptoir de la buvette, délaisse son ballon de rosé quelques instants pour affirmer : « L’objectif, c’est que les gamins prennent du plaisir. On ne s’attend pas à ce qu’ils percent, on n’est pas dans l’illusion qu’ils vont faire quelque chose de particulier, ce n’est pas forcément dans le football qu’ils vont se réaliser. » Le club sert également de point de repère, et de lieu où parler et se confier lorsqu’un drame arrive. Comme il y a deux ans, après le lynchage de Kevin et Sofiane, deux jeunes de la ville massacrés par une bande rivale dans un fait divers devenu affaire nationale à l’époque. Sofiane avait joué chez les jeunes au FCE, et deux des accusés étaient eux aussi licenciés au club. Le procès, qui s’annonce hors norme, vient de s’ouvrir au palais de justice de Grenoble. « Notre numéro 4 était avec Kevin et Sofiane ce soir-là, il aurait pu y passer. Il a dû aller au tribunal pour témoigner pendant deux heures au procès » , lâche Sébastien sur un ton neutre. Il assure, comme une évidence, espérer la fin de cette série noire et pouvoir se concentrer sur le ballon rond. Comme tout le monde au FCE d’ailleurs, et la victoire du jour fait du bien. « Bien sûr qu’on veut gagner ! » s’emporte Jean. « Et après notre défaite aux penaltys contre Montélimar en Coupe, l’entraîneur m’a dit que ça l’emmerdait. Mais ensuite, il a ajouté : « Il y a des choses beaucoup plus importantes dans la vie. » » Difficile de lui donner tort…
Par Alexandre Doskov, à Échirolles