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Au fait, pourquoi parle-t-on de grinta à tout bout de champ ?

Par Gaétan Mathieu
Au fait, pourquoi parle-t-on de grinta à tout bout de champ ?

Plus besoin de tableau noir pour expliquer un échec. Les entraîneurs n’ont qu’à évoquer « le manque de grinta » pour voir commentateurs et supporters se rallier à leur cause. Mais que pensent les joueurs de cette analyse simpliste ?

Un petit tour sur un moteur de recherche suffit à constater que la grinta est devenu le coupable idéal pour expliquer un mauvais résultat. On retrouve même ce mot au milieu d’une dizaine d’argumentaires chaque week-end dans les comptes-rendus de la presse régionale des matchs amateurs. À croire que les footballeurs du dimanche en France ne mouillent pas plus le maillot que les pros. Chez les supporters, la grinta – plutôt que la technique par exemple – a pris une importance grandissante à mesure que les salaires des joueurs ont augmenté. Un footballeur peut bien avoir deux pieds gauches, on lui sera reconnaissant s’il a la grinta, bref s’il justifie sa fiche de paie à six chiffres en mouillant le maillot. Mais cette place prise par la grinta dans l’analyse des matchs est-elle vraiment justifiée ?

La grinta, c’est la détermination à aller chercher le ballon chez l’adversaire, à défendre en avançant, et une certaine envie d’être protagoniste

Fabrice Abriel

La grinta dans le football est un concept assez flou. On l’accole volontiers aux Sud-Américains, alors que le mot, lui, est italien et signifie avoir du mordant, de la niaque. Certains l’associent à la détermination dans les duels, d’autres aux courses à haute intensité, et d’autres encore au dépassement de soi. Fabrice Abriel, loué au cours de sa carrière pour sa grinta, la voit « comme la détermination à aller chercher le ballon chez l’adversaire, à défendre en avançant, et une certaine envie d’être protagoniste ». L’interprétation différente du mot crée selon lui souvent une incompréhension entre joueurs, coachs et supporters. « La grinta, ce n’est pas forcément tout donner d’un point de vue athlétique, pose l’ancien milieu du PSG, de l’OM et de Lorient. Est-ce qu’un joueur doit courir jusqu’à avoir des crampes pour qu’on dise qu’il a grinta ? Et puis s’il a des crampes, on va dire : “Regarde, il a une mauvaise hygiène de vie.” » Même constat pour un autre joueur qui a incarné la grinta en L1 pendant des années, parfois trop selon ses critiques : Julian Palmieri : « Ça peut paraître paradoxal, mais ça ne veut pas dire courir dans tous les sens, ni même être méchant. » Pour l’actuel joueur du FC Lupinu, cet absolutisme de la grinta vu comme une débauche d’énergie constante empêche les supporters d’apprécier les qualités différentes des joueurs. « Chacun a son style. Il faut accepter que les joueurs soient décisifs à leur manière : en marquant des buts, en gagnant des duels, etc. »

Nouvelle arme des entraîneurs sans solution

Plus étonnant, de plus en plus de coachs se mettent à critiquer le manque de grinta de leurs joueurs en conférence d’après-match. Et en parlent souvent comme de quelque chose de totalement indépendant d’eux et sur laquelle ils n’auraient aucune influence. Jocelyn Gourvennec est notamment un adepte de l’excuse, dès 2016 avec Bordeaux, en 2019 avec Guingamp, et encore plus récemment lors de son passage à Lille, accusant le manque de grinta d’être à l’origine d’une série de buts encaissés dans les dernières minutes. Des critiques que les joueurs ne goûtent que très peu, affirme Ricardo Faty. « Quand je jouais à Nantes en 2009, l’année où on descend, on a vraiment tout donné. On savait la situation délicate, on travaillait dur à l’entraînement, on se dépensait sur le terrain, on n’a jamais manqué d’envie. Alors quand le coach (Élie Baup, NDLR) dit en conférence de presse qu’on n’a pas assez de grinta, c’est un peu désolant, c’est facile et c’est pour se dédouaner. Et ça nous atteint psychologiquement, explique l’ancien Romain. À un moment, il faut simplement analyser les faiblesses tactiques. La grinta, ce n’est pas la priorité et ça vient naturellement si l’équipe joue bien. Courir plus, mais dans le vide, ça finit par vous faire perdre confiance. » Pour Fabrice Abriel, aujourd’hui coach de l’équipe de Fleury (D1 féminine), reprocher à son groupe son manque de grinta n’est pas un levier efficace : « Ça passe une fois de temps en temps quand vous êtes menés 2-0 à la mi-temps, mais pas plus, rectifie-t-il. Le plus souvent, l’origine du problème est tactique. Parfois, vous hésitez à sortir sur le porteur du ballon parce que vous ne savez pas si vous êtes couverts et vous savez que l’entraîneur va vous engueuler si vous montez. Et dès qu’il y a une hésitation tactique, vous manquez de spontanéité, donc vous n’arrivez plus à intercepter et à déséquilibrer l’adversaire. Récupérer un ballon, ce n’est pas que de la grinta, c’est quelque chose de collectif avec un bon cadrage et une bonne couverture. Ce sont les automatismes tactiques qui créent la spontanéité et permettent l’expression de la grinta. »

Pepe (Portugal)
Pepe, la grinta comme un mode de vie.

Une fois les choses cadrées, une question : la grinta, ça s’apprend ? « Savoir se faire violence, ça se travaille, affirme Ricardo Faty. Je différencie ça de la motivation qui doit être naturelle. La grinta, c’est l’extériorisation sur le terrain de la motivation. Ça passe par faire des toros, des petits jeux avec des gages, des tournois à 7 vs 7 à l’entraînement pour développer un aspect compétiteur. » Même avis chez Fabrice Abriel, pour qui l’aspect individuel de la grinta ne doit pas être négligé. « C’est s’entraîner à haute intensité, avoir un engagement physique total dans les séquences athlétiques, dans la musculation. Il faut avoir un état d’esprit de performance. Avoir confiance en son physique, ça se travaille, et c’est ce qui permet en match d’anticiper, de bien positionner son pied sur les duels, de rester concentré. C’est vrai que certains joueurs doivent aller chercher un peu plus cette grinta, quand d’autres ont ça naturellement en eux, de par leur vie ou leur éducation. » À l’image de Julian Palmieri, lui qui affirme avoir puisé dans le contexte bastiais – autant dans la souffrance liée au drame de Furiani que dans le glorieux passé européen du club – pour extérioriser sa grinta. « Elle ressortait en moi au moment où j’étais dans le tunnel, là où commençait la confrontation directe avec l’adversaire. » Et tant pis si cette fameuse grinta coûte au bout du compte quelques cartons.

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