- Coupe du monde 2014
Au fait, ils sont pour qui les Corses, pendant le Mondial ?
Mercredi, toutes les villes et villages du territoire français n'auront d'yeux que pour les appels de Benzema, les transversales de Yohan Cabaye et les cheveux d'Olivier Giroud. En cas de victoire, des cris enivrés et des coups de klaxon réveilleront tous les vieux du quartier. Partout, sauf en Corse. Si l'île de Napoléon, française depuis 1769, compte évidemment pas mal de supporters de l'équipe de France, le peuple y est plus partagé.
Fratelli d’Italia. Selon un sondage réalisé par nos soins sur 763 personnes, il apparaît que les Corses soutiennent avant tout l’Italie, l’oppresseur d’avant (22,63%). La France n’arrive que deuxième (15,19%) juste devant le choix « Autre » (un agrégat de nations soutenues à moins de 3%) et ses 12,8%. Plus intéressant, 12,4% des sondés ne supportent aucune équipe. Le Corse passionné de football préfère ainsi ne soutenir personne tant que la Corse elle-même n’est pas représentée. Suivent l’Argentine, aussi soutenue par Yannick Cahuzac, avec 10,81% pour son immigration italienne, ses stades bruyants et ses joueurs aux cheveux longs ; le Brésil (9,75%), simplement parce que c’est le Brésil et qu’on compte des supporters cariocas partout dans le monde ; l’Angleterre (6,96%), pour son fighting spirit, les tacles dans la boue, la culture et l’histoire commune. Rappelons que de 1794 à 1796, l’île était alors connue comme Royaume anglo-corse. Derrière, l’Espagne et l’Allemagne ne pointent qu’à 5,1% et 4,3%. Le reste des scores est insignifiant.
Une nation comme un second club
Si, sur le continent, on peut parfois choisir son club – tous ces Parisiens fans de l’OM -, la question du pays ne fait souvent pas débat. En Corse, c’est l’inverse. L’écrasante majorité des passionnés de football soutient le sacrosaint Sporting Club de Bastia, et choisit ainsi une nation par coup de cœur. Comme lorsqu’un enfant adopte son « second club » , son club étranger car il idolâtre l’attitude de Cantona, que les accélérations de Ronaldo à l’Inter le font rêver ou simplement parce qu’il le trouve très beau, le maillot du Barça de Rivaldo. Ainsi, un nombre surprenant de Corses soutiendraient l’Argentine. C’est par exemple le cas de Julien Santucci, membre du collectif techno Le Disko : « J’ai toujours aimé l’Argentine et l’Italie. Je suis supporter de la Roma, et Batistuta m’a marqué. Vu que cette année, l’Italie n’est pas trop aux couleurs de la Roma, je serai avec l’Argentine. Mais ce n’est même pas de l’anti-français primaire ! »
Un sentiment anti-français brut que partage à l’inverse Mathieu Fabbri, du groupe ajaccien High Angle Shot. Fan de The Verve entre autres, culturellement proche de l’Angleterre, il déclare qu’il supportera également « la Suisse, l’Équateur et le Honduras. Cela va sans dire. » Une idée que l’on retrouve souvent au niveau des sondés, prêts à soutenir « toute équipe qui sera en mesure de ridiculiser l’équipe de France » , pays qui n’est « pas le leur » et dans lequel « ils ne se reconnaissent pas » . Si certains y sont farouchement opposés, d’autres s’en foutent simplement. Comme Anthony Salis, latéral gauche du CA Bastia : « Je ne saurais même pas te dire pourquoi je ne suis pas pour la France. Personnellement, je suis pour la Squadra, l’Italie depuis toujours. La France m’agace, ils en mettent huit à la Jamaïque et ils s’enflamment. »
Italie – France
Que l’Italie sorte en tête des sondages n’est pas vraiment une surprise. Les Corses partagent après tout avec la Botte une passion par les coupes de cheveux en friche – avec serre-tête sur le terrain jusqu’à récemment – l’huile d’olive et l’accent tonique sur l’avant-dernière syllabe des mots. Et puis plus de dix siècles de présence romaine, pisane et génoise, ça laisse forcément des traces. Derrière l’Italie arrive tout de même la France. « Parce que c’est mon pays » , « parce qu’aux dernières nouvelles, je ne suis pas mexicaine » , scandent certains sondés. Certains supportent les Bleus mollement, comme le jeune tennisman Laurent Lokoli : « Une Coupe du monde sans la France, ça le fait pas. Mais s’ils perdent, je n’en fais pas une maladie. Alors que quand le Sporting perd, ça me fait chier. » D’autres sont plus fans.
Comme un autre groupe ajaccien, Casablanca Drivers, qui avance des arguments sportifs plus que patriotiques : « On est la génération 98. On a vibré avec Zidane. Donc même si l’équipe est pourrie depuis plusieurs années, ça fera toujours quelque chose quand elle fait un résultat ! » La France serait donc parfois choisie sur le modèle du club étranger de l’enfance. Comme une nation étrangère, donc, qui aurait seulement perdu en popularité comme sur le reste du territoire français depuis Knysna ou les retraites de Zidane et consorts. On observe souvent que les jeunes Corses sont plus nationalistes que leurs parents. Ainsi, la génération d’avant, marquée par Platini soutient souvent l’équipe de France. C’est par exemple le cas de Stéphane Rossi, l’entraîneur du CA Bastia.
Landreau et Cabella insuffisants
Du côté des sportifs corses, certains ont le foot plus identitaire que d’autres. Sébastien Squillaci, qui a participé à la Coupe du monde 2006, soutient évidemment les Bleus, tout comme Jean-Louis Leca. Le portier du Sporting énonce cependant d’autres raisons : « D’habitude, je ne supporte que deux équipes : le Sporting et Furiani. Mais ils n’y sont pas, du coup je supporte la France étant donné que jusqu’au 30 juin, je reste la doublure d’un grand monsieur, Mickaël Landreau. » Si la présence de Landreau dans les 23 suffit pour convaincre certains de ses collègues, elle est insuffisante pour les sondés. Pire encore, la présence de Rémy Cabella, né à Ajaccio, formé au Gazélec et sélectionné en Squadra Corsa, provoque parfois même un rejet. Premier joueur de champ d’origine corse à participer à un Mondial depuis Claude Papi en 1978, le Montpelliérain est décrit comme l’antithèse des valeurs corses, et est sanctionné pour des échauffourées provoquées à Furiani et François Coty.
Un peuple sans équipe
S’il ne fait nul doute que la quasi-totalité des Corses supporteraient la Squadra Corsa au lieu de la France et autres, certains footeux vont snober la Coupe du monde, par manque d’intérêt partisan. Le cas par exemple du latéral gauche bastiais Julian Palmieri qui déclare : « Je ne supporte personne pour la bonne et simple raison que la seule nation que je soutiendrais ne participe pas à la Coupe du monde : la Corse. » Tout bonnement. Dès lors, la question se pose : et pourquoi la FIFA n’accorderait pas à la Corse le droit de participer aux éliminatoires pour la Coupe du monde en Russie ? Des peuples sans nation, on en trouve partout. Mais que ce soit le pays de Galles ou la Nouvelle Calédonie, ces peuples ont au moins une équipe de football.
La proportion de « Autre » dans le sondage est significative : les Corses veulent leur équipe. Certains sondés soutenant l’équipe de France stipulent par ailleurs qu’ils choisiraient la Corse si ce choix se présentait. À l’heure à laquelle Gibraltar et la Guadeloupe possèdent une équipe nationale, où l’Écosse et la Catalogne voient leur indépendance devenir possible, le paysage politique a également changé en Corse. Lors des élections législatives, une forte poussée nationaliste est parvenue à renverser le clan Zuccarelli, pourvoyeur de maires de Bastia depuis un siècle. Lorsque l’on demande au nouveau maire, Gilles Simeoni, quelle équipe il supporte au Mondial, la réponse fuse : « Je peux déjà vous dire pour qui je ne suis pas ! » avant de préciser avoir une certaine affection pour : « La Hollande, depuis 1974. Et le Brésil, toujours. » Une passion pour les Cariocas partagée par un autre éminent dirigeant nationaliste, Jean-Guy Talamoni. Ou comment unir un clan nationaliste divisé autour de la crête de Neymar. Et de la nécessité de doter la Corse d’une équipe reconnue par la FIFA, surtout.
NB : Pour info, Jean-Baptiste Pierazzi soutient son nouveau pays, les États-Unis. Gilles Cioni, en bon poète, le Costa Rica, un pays qui « l’inspire » et dont il aime la culture. Une déclaration faite avant l’exploit de Bryan Ruiz et ses potes face à l’Italie. Putain de visionnaire !
Thomas Andrei