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Au fait, c’est quoi un réserviste ?
On aurait tort de n'en faire que des recalés de la liste principale à qui on aurait donné un maigre lot de consolation. Les réservistes sont bien plus qu'une simple roue de secours, et ceux de Didier Deschamps ont un statut plus enviable que les réservistes de l'armée.
Le videur a été clair. Il est surtout beaucoup plus baraqué que toi, donc tu attends patiemment devant la boîte, en espérant qu’il finira par te laisser entrer. Après tout, l’attente en vaut la peine. Cette fête, tes potes et toi la préparez depuis des mois. Des efforts, de la préparation, des heures passées à tenter d’attirer l’attention de l’organisateur de la soirée. Le souci, c’est que pour l’instant, c’est plein à l’intérieur. Mais il suffit qu’un type se fasse sortir du club pour que la roue tourne et qu’on t’envoie enflammer la piste. Tu croises les doigts dans ta poche, en priant un peu, et surtout en pensant à Kevin Gameiro et Alexandre Lacazette. Ces réservistes des Bleus, ni vraiment recalés ni vraiment de la partie. Un statut hybride, mais pas si flou que ça, et surtout bien mieux balisé chez Didier Deschamps que chez ses prédécesseurs. Car là où les anciens sélectionneurs des Bleus se contentaient de proposer une liste dite « élargie » et de couper des têtes au tout dernier moment, coach DD sait se montrer formel : une liste de 23 sélectionnés, et 8 réservistes. Terminés les cœurs brisés, les « ça va très vite. Du jour au lendemain, on se retrouve à la maison alors qu’on pouvait rêver disputer une grande compétition » de Mexès en 2008, ou les « c’est un moment très douloureux de partir du groupe. Je l’ai vécu en 2008 et 2010. On est projeté dans une aventure et d’un coup, on met un frein » de Ben Arfa en 2010. Deschamps joue cartes sur table avec son club des 8, à qui il laisse peu d’espoirs, mais qui auront la chance de partager la vie du groupe jusqu’au début de la compétition.
Un rôle plus subtil qu’il n’y paraît
Là est toute la subtilité du rôle de réserviste. Accompagner jusqu’au bout ceux qui joueront l’Euro, les aider à se préparer dans les meilleurs conditions possibles, et sans être frustré ni briser la dynamique d’un groupe à cause de la rancœur. Exit les joueurs dans une démarche de « tout ou rien » vis-à-vis de l’équipe de France. Par exemple, Morgan Schneiderlin avait accepté son rôle de réserviste avec plaisir lors du Mondial 2014, lui qui, à l’époque, ne comptait aucune sélection. Deux ans plus tard, après 15 matchs en Bleu et un départ à United qui aurait dû lui permettre de monter dans le train pour l’Euro, il confie sans langue de bois à L’Équipe : « Il y a deux ans, c’était vraiment différent. Pour moi, c’était un bonheur d’être réserviste. Aujourd’hui, ce serait faux cul et hypocrite de ma part de dire que je serais heureux de l’être. » Schneiderlin s’en était à l’époque plutôt bien sorti, puisqu’il avait profité des blessures de Grenier et Ribéry pour grappiller une place dans les 23 et s’était envolé pour le Brésil. « Les laisser dans la nature était un risque trop élevé à prendre. C’est pourquoi j’ai décidé de les incorporer jusqu’au 28 mai. Dans le pire des cas, entre cette date et la date limite du 2 juin fixée par la FIFA pour la liste des 23, ils auront fait une préparation collective et vécu avec le groupe » , annonçait Deschamps en mai 2014 en donnant ses listes pour la Coupe du monde. Les réservistes, une façon d’offrir des partenaires d’entraînement de luxe à ceux qui disputeront la compétition, et de motiver les jeunes à se donner à fond. La politique de la carotte au bout du bâton, comme l’illustrait Cabella en 2014, lui aussi réserviste : « C’est une récompense pour moi d’être là. Le coach m’a lancé un message. À moi de continuer sur cette lancée et d’être là à l’Euro 2016 » .
Mieux qu’à l’armée
Mais dans le fond, mieux vaut être réserviste chez les Bleus que chez les pompiers ou à l’armée. Après être entré chez les pompiers volontaires à 17 ans, cet ancien soldat du feu « réserviste » se souvient d’être tombé dans la mauvaise caserne : « Ils n’aimaient pas les volontaires, il y avait une guerre entre volontaires et professionnels. Quand je disais que ma motivation était d’être au service des gens, on me disait d’aller à la Croix Rouge.(…)Mais ce n’est pas le cas dans toutes les casernes. Il y en a où les pompiers professionnels disent que les volontaires leur piquent leur boulot, et d’autres où ils sont contents parce que n’y a pas assez de professionnels, donc on a besoin des volontaires. » Les pompiers volontaires reçoivent pourtant une formation intense d’un an et savent utiliser le matériel ou intervenir sur différents types de situations, même les plus tendues. Son de cloche sensiblement différent chez les militaires, même si la vie de réserviste n’y est pas toujours rose non plus. Pas de clash frontal ni de réflexions mal placées dans les régiments, mais Clément, ancien chasseur alpin réserviste, savait ce que pensaient certains soldats de lui : « On ne te le fait pas comprendre, mais tu le sais. Un puceau, t’as pas besoin de lui répéter qu’il est puceau, il le sait ! » Il a fini par claquer la porte après quelques incidents impliquant des soldats revenus du front complètement traumatisés, avec en point d’orgue ce moment où « mon chef de groupe qui revenait d’Afghanistan a complètement pété un câble contre un brigadier, il a voulu lui défoncer la tête et ensuite, il s’est mis à pleurer dans mes bras. C’est un type qui avait reçu des médailles de mérite militaire, il a fait un mois de prison pour ça » . Tranquillement posés à Clairefontaine avec leurs potes, les réservistes des Bleus ont décidément la belle vie. Plus belle que celle de Didier Deschamps, qui va assister à des entraînements quotidiens entre ses 23 et 8 mecs aussi brillants qu’affamés.
Par Alexandre Doskov