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  • Procès Brice Taton

Au cœur du cirque

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Au cœur du cirque

Des témoins qui disparaissent ou se rétractent, une enquête menée dans la précipitation, des audiences ubuesques. Quatorze mois après la mort de Brice Taton, le procès qui a repris lundi dérape complètement.

« On se dirige vers l’acquittement, c’est ça qui nous inquiète » . Mardi matin, c’est la peur de ne jamais connaître la vérité sur le décès de son pote Brice Taton qui a poussé Paul Cometto à nous contacter. Paul est le capo des Indians Tolosa et était présent à Belgrade le 17 septembre 2009 lorsqu’une quarantaine de hools du Partizan Belgrade ont débarqué dans un bistrot du centre de la capitale serbe pour « casser du Français » à coups de barres de fer, provoquant la mort du jeune supporter toulousain douze jours plus tard. Quatorze mois après les faits, le procès a vraiment débuté lundi dernier. Pour se terminer au bout de quarante-cinq minutes, le temps que le seul témoin serbe se rétracte. Non, A2 (qui témoignait derrière une vitre sans tain) n’était pas serveuse dans un bar au moment des faits, non, elle n’a reconnu personne. « Ce procès, on dirait une maison construite par Numerobis. C’est mal foutu » , lance Loïc Tregoures, doctorant en sciences politiques à l’université libre de Bruxelles, qui a suivi toute l’affaire pour sa thèse sur les « aspects politiques et identitaires du football en ex-Yougoslavie » .

Un procès ubuesque, une enquête bâclée

Plusieurs anecdotes mettent en lumière le côté “amateur” du procès. Lorsque A2 avance une version totalement différente de sa déposition, la juge s’énerve et se met à lire cette dernière, révélant des éléments permettant de retrouver très facilement l’identité du témoin anonyme. C’est un avocat de la défense qui doit ramener la magistrate à la raison, lui expliquant que son attitude pourrait avoir des conséquences graves. Surréaliste. La configuration des lieux n’encourage pas non plus les témoins à se livrer. En juin dernier, Philippe Maury (interviewé par Sofoot.com le 3 décembre 2009) est en train de délivrer sa version des faits lorsqu’un accusé, tout proche, se saisit de son micro pour l’apostropher et l’inviter à le disculper… Les accusés n’ont pas hésité, en effet, à provoquer les témoins avec force clins d’œil et sourires en coin. Pas forcément encourageant. Pour comprendre comment un procès se transforme en cirque, il faut revenir à l’origine.

« Il n’y a pas un seul Serbe qui ne connait pas le nom de Brice Taton » , assure Loïc Tregoures. En septembre 2009, en effet, l’affaire fait peut-être encore plus de bruit en Serbie qu’en France. L’État veut montrer qu’il sait gérer le problème des hooligans et explique à la police qu’il vaudrait mieux agir vite. Quatorze personnes sont arrêtées, deux sont en cavale, les autres ne sont pas identifiées mais comme le temps presse, on balance un acte d’accusation pour “meurtre aggravé”. Sans doute la plus belle connerie, selon Loïc Tregoures : « Il est impossible de savoir qui est le responsable de la mort de Brice. Et on ne peut pas condamner douze personnes pour le meurtre de la même personne, on n’est pas dans “Le Crime de l’Orient Express”. Il aurait fallu les accuser d’association de malfaiteurs ou de violence en réunion » . Il est vrai que les preuves sont très minces. Sur les deux témoins serbes à avoir fait une déposition, l’un s’est donc rétracté et l’autre est introuvable depuis le mois de septembre. Mardi, deux nouveaux supporters toulousains victimes de l’attaque des hooligans ont témoigné depuis la ville rose ( « Ceux qui s’étaient déplacés là-bas en juin pour témoigner étaient constamment sous protection et devaient dormir à l’ambassade » , explique Paul Cometto) sans être capables d’identifier leurs agresseurs ni ceux de Brice. Bizarrement, les nombreuses caméras de surveillance (l’agression a eu lieu dans une rue commerçante), dont les films seront bientôt projetés au tribunal, ne permettent pas non plus d’identifier les coupables.

[page] Cela ne signifie pas pour autant que les accusés ont passé quatorze mois en détention préventive sans élément à charge. Les SMS et les appels passés depuis leurs portables (par exemple “Les Français sont en ville, informe les autres”, signé Ivan Grkovic) permettent de prouver qu’ils ont bien participé à l’assaut (un seul d’entre eux a pu présenter un alibi valide). C’est là que l’on revient à l’acte d’accusation : il est possible de prouver qu’ils étaient présents, éventuellement qu’ils ont mis des coups, mais certainement pas qu’ils sont coupables de “meurtre aggravé” sur la personne de Brice Taton. Ne restent à entendre que les experts médicaux. En dehors d’une trace d’ADN retrouvée sur le t-shirt de Brice (dont on vient d’évoquer l’existence lors du procès), pas de preuve tangible. Les experts s’attarderont surtout à expliquer si la mort a été provoquée par les coups ou par la chute de Brice. Ils répondront aussi à la théorie de la défense, qui assure que le décès est dû à une opération de l’aorte risquée subie par Brice à son arrivée à l’hôpital (il était alors conscient).

Pas d’acquittement généralisé

Ce déroulement effarant de l’enquête et du procès est plutôt à mettre sur le dos de la précipitation et de l’incompétence que sur celui d’un éventuel “complot” ou de pressions extérieures. Car personne n’a vraiment intérêt à ce que l’affaire se termine en queue de poisson. L’État voulait au contraire montrer la qualité de son traitement du problème hooligan (c’est réussi…) et les ultranationalistes des groupes de supporters serbes, s’ils étaient présents aux séances de juin, semblent se désintéresser de la question. Alors qu’ils seraient les premiers à défendre les martyrs de leur cause, ils n’apportent pas vraiment de soutien aux agresseurs présumés de Brice. « Ces mecs ne sont pas des repris de justice, éclaire Loïc Tregoures. Ils n’ont pas de casier comme les autres. C’est triste à dire, mais ce sont juste des petits cons qui ont voulu montrer qu’ils en avaient en faisant un coup d’éclat. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas du tout respecté les codes non-écrits du hooliganisme en attaquant des gens qui ne pouvaient manifestement pas se défendre » . Il suffit de voir les parents des accusés pour comprendre : ils sont ingénieurs, psychologues, géologues et ils tombent des nues en apprenant ce qu’ont fait leurs petits.

Malgré la faiblesse des preuves, on ne se dirige pas vers un acquittement généralisé, comme le craint Paul Cometto. La justice serbe ne prendra certainement pas le risque de se ridiculiser en libérant des accusés qui, s’ils ne sont pas forcément responsables du meurtre, ont au moins participé au lynchage qui l’a provoqué. « Il peut tout se passer, soupire Loïc Tregoures. On n’est pas non plus à l’abri d’un verdict politique » . En effet, en plus de la volonté de l’État de montrer son implication, les relations franco-serbes sont également en jeu. Depuis le début du procès, l’ambassadeur français à Belgrade a déjà assisté en personne à quelques audiences et envoyé quelqu’un suivre les autres, alors que Rama Yade avait fait le déplacement juste après les faits. Pression légère, mais pression quand même. « A part pour le mec dont on a retrouvé l’ADN sur le t-shirt de Brice, on se dirige vers des peines intermédiaires pour la plupart des accusés et une grosse peine pour les meneurs » , pronostique Tregoures. Comprendre quelques années pour les premiers, une ou deux dizaines pour les seconds. Toujours Loïc Tregoures : « Le problème, c’est que quel que soit le verdict, il restera toujours des zones d’ombre » . Ce qui ne facilitera pas le travail de deuil des parents de Brice, catastrophés par le déroulement du procès, qu’ils suivent à Belgrade. Le dénouement est prévu courant décembre. Malheureusement, il n’y aura pas de happy end.

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