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Pourquoi le Brésil s’est ouvert aux entraîneurs portugais
Le championnat brésilien a très longtemps été hostile aux entraîneurs étrangers, n’en accueillant que très peu dans ses clubs. Or après l’épopée nationale et continentale du Flamengo de Jorge Jesus en 2019, le Brasileirão s’est largement ouvert aux techniciens étrangers. Surtout portugais.
Au coup d’envoi du Brasileirão 2023, le 15 avril dernier, sept des vingt écuries de l’élite nationale sont dirigées par un entraîneur portugais. Elles auraient même pu être huit, si Vítor Pereira n’avait pas été limogé du Flamengo quelques jours auparavant. Tous ou presque font l’objet d’articles élogieux dans les journaux nationaux. Ce phénomène détonne dans un pays où la presse, les clubs et leurs supporters ont longtemps été plus exigeants et pleins de préjugés à l’égard des entraîneurs étrangers, et surtout portugais, malgré les proximités linguistiques ou culturelles. Certains s’y étaient risqués dans les années 2010, sans manquer de s’y casser les dents. En 2016, Paulo Bento et Sérgio Vieira sont respectivement remerciés par Cruzeiro et l’América-MG après moins de quinze matchs au Brésil. Seule exception au milieu d’une écrasante majorité d’entraîneurs brésiliens, l’Argentine est sporadiquement représentée en Serie A brésilienne depuis quelques années. Jusqu’à ce que Flamengo ne déclenche un véritable tsunami médiatique après ses succès en 2019.
Jorge Jesus : messie portugais à Rio
Lorsque Jorge Jesus débarque sur les plages cariocas en 2019, sa réputation au Portugal n’est plus à faire, surtout grâce à ses succès avec Benfica. Au Brésil, le son de cloche est bien différent. Dès son arrivée, il est malgré lui au cœur d’une polémique. Abel Braga, l’ancien entraîneur de Flamengo, se plaint auprès d’une presse brésilienne friande de scandales de ne pas avoir été mis au courant de son limogeage. Il compare ses dirigeants à des « Judas », facilitant des comparaisons avec Jorge Jesus, déjà appelé ainsi au Portugal (en 2015, il avait quitté son poste à Benfica pour rejoindre le rival du Sporting). Malgré ces débuts difficiles, le Flamengo de Jorge Jesus met tout le monde d’accord. Un jeu alléchant comparé à celui des Pays-Bas des années 1970 et un bilan qui compte plus de titres (5) que de défaites (4). Il réussit surtout un doublé championnat-Copa Libertadores. Une prouesse réalisée une seule fois dans l’histoire brésilienne, par le Santos du roi Pelé.
Cette saison historique de Flamengo donne des idées aux concurrents qui s’ouvrent eux aussi aux entraîneurs étrangers. En 2020, quatre entraîneurs étrangers officient sur le banc d’un club brésilien. Un record. Le principal d’entre eux, le Portugais Abel Ferreira, s’engage avec Palmeiras. En faisant du Verdão l’une des équipes les plus solides d’Amérique du Sud, il réalise l’exploit de faire mieux que Jorge Jesus. Avec deux Copa Libertadores et un titre de champion national en poche, Abel Ferreira est déjà considéré comme l’un des meilleurs entraîneurs de l’histoire de Palmeiras, moins de trois ans après son arrivée. « Les succès de Jorge Jesus puis d’Abel Ferreira ont impulsé l’idée que les entraîneurs étrangers avaient de l’avance sur les entraîneurs brésiliens », témoigne Jonhatas Gabetel, journaliste au Globo Esporte. Et pour cause : chaque année, de plus en plus d’entraîneurs portugais font le même voyage que Pedro Cabral en 1500.
La formation portugaise au cœur de ce succès
Placé aux commandes du RB Bragantino en janvier dernier, Pedro Caixinha a été témoin du changement local de mentalité à l’encontre des entraîneurs portugais. « Curieusement, je n’ai jamais senti plus de pression en tant qu’entraîneur étranger et j’ai reçu un accueil génial, que ce soit de la part du club ou d’autres acteurs du football brésilien, témoigne-t-il. On sent que les succès de Jorge Jesus et Abel Ferreira nous ont réellement ouvert un marché qui nous était hostile. » Comme Luís Castro à Botafogo ou Pepa au Cruzeiro, Pedro Caixinha bénéficie d’une adaptation facilitée par une langue maternelle commune avec celle de son pays d’accueil. Un avantage linguistique qu’il n’avait eu nulle part ailleurs qu’au Portugal. Sur le terrain en revanche, les différences culturelles sont grandes. « Le Brésil est connu pour son “joga bonito”, commente le technicien du Bragantino. On y joue directement dans les pieds, le jeu est plutôt arrêté, alors qu’en Europe on voit beaucoup plus de mouvements. »
Face à un style brésilien de basse intensité, incarné notamment par Fernando Diniz et son Fluminense, les Portugais se démarquent par une formation plus aboutie. « Notre culture et notre préparation footballistiques sont différentes, dresse Pedro Caixinha. Je ne dis pas que c’est mieux d’un côté ou d’un autre, mais au Portugal, il y a un chemin universitaire par lequel il faut passer pour devenir entraîneur. Ça apprend à avoir une approche théorique plus approfondie du football. » Ce chemin universitaire, tous les entraîneurs portugais aujourd’hui au Brésil l’ont emprunté. D’Abel Ferreira à Pedro Caixinha, en passant par Renato Paiva (Bahia) et Ivo Vieira (Cuiaba). De quoi leur offrir une connaissance tactique que les entraîneurs brésiliens n’ont, pour la plupart, tout simplement pas. La faute à un retard criant de la fédération brésilienne dans ce secteur. Cela ne fait que quelques années que la CBF a mis en place une académie pour rattraper ce retard de trente ans. Une académie qui n’offre qu’un cours de trois semaines, sans véritable ligne directrice, sans psychologie ni sociologie. « À Coritiba, les membres du club soulignaient les méthodes de travail du staff portugais dirigé par António Oliveira, garantit Jonathas Gabetel. Ils sont très concentrés, disciplinés et studieux. Ils impressionnent surtout par l’intensité de leurs entraînements et l’application tactique qu’ils apportent. C’est quelque chose qu’on voyait moins chez les entraîneurs brésiliens. »
Face à ces retards, les entraîneurs portugais continuent d’affluer sur les côtes brésiliennes. Avec eux arrivent leurs propres équipes techniques. Là encore, c’est une petite révolution dans un championnat qui a toujours eu pour habitude d’imposer un staff à ses entraîneurs nouvellement intronisés. Une pratique incitée par Jorge Jesus, qui avait imposé la venue de sept adjoints au Flamengo, et aujourd’hui perpétuée par tous les entraîneurs portugais au Brésil. « C’est essentiel d’être entouré d’adjoints que l’on connaît avec une vision similaire à la sienne, assure Pedro Caixinha, qui a emmené trois adjoints avec lui au Bragantino. Quand on est seul, c’est plus difficile de travailler sur certains points en particulier, même s’ils nous tiennent à cœur. » Malgré toutes ces révolutions amenées par les Portugais, certains d’entre eux continuent de se casser les dents au Brésil. Quelques jours après le licenciement de Vítor Pereira du Flamengo, c’était au tour d’António Oliveira, remercié par Coritiba. Rien d’effrayant néanmoins pour les entraîneurs portugais. Pour sûr, ils continueront d’écrire l’histoire du Brasileirão pour de nombreuses années.
Par Amaury Gonçalves
Tous propos recueillis par AG