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Au bon souvenir du Kaiser

Par Ali Farhat et Sophie Serbini, en Allemagne
6 minutes
Au bon souvenir du Kaiser

Vainqueur samedi de sa neuvième Bundesliga et de son vingt-deuxième titre avec le Bayern, Franck Ribéry disputera samedi, à Berlin, son dernier match avec le Bayern Munich et refermera un livre ouvert lors de l'été 2007. Souvenirs.

Uli Hoeness avait déjà les yeux humides au moment d’honorer Rafinha, Arjen Robben et Franck Ribéry pour leur dernière à l’Allianz Arena. Mais quand le Français a inscrit son formidable but à la 71e minute de jeu contre l’Eintracht Francfort, le président du FC Bayern Munich n’a pas réussi à contenir ses larmes. Consolé par Susi, sa femme, Uli s’est rendu à l’évidence : ce match, c’était la dernière à domicile de Kaiser Franck, l’enfant chéri de l’ « Étoile du Sud » .

Quand Franck Ribéry arrive au Bayern Munich en 2007, il hérite d’un numéro très lourd : le 7, celui de Mehmet Scholl, huit fois champion d’Allemagne avec le Rekordmeister et très apprécié des fans bavarois. Au bout de quelques mois néanmoins, il se met la Bavière dans la poche : grâce à ses performances tout d’abord, mais aussi grâce à ses blagues. Ici un coup de rein, là un seau d’eau balancé du toit du siège sur la tête d’Oliver Kahn. Ici un but, là une imitation de mannequin dans la vitrine d’un magasin du centre de Munich (avec l’intention de faire peur aux passants). Sur le terrain comme en dehors, le Français met tout le monde d’accord. Ne l’appelez plus Francky, mais Kaiser Franck. Nike, son équipementier, le déguise alors en Ludwig II de Bavière, et placarde son visage dans tout Munich. Un Français converti à l’islam qui revêt le costume d’un des monarques les plus mythiques de cette région ultra-catholique ? Les habitants de la ville ne trouvent rien à redire.

Si Ribéry a vite été adopté par le FC Bayern Munich, c’est parce qu’il a su à la fois s’adapter et rester lui-même. Il a appris l’allemand, mais il n’a jamais changé son comportement pour faire plaisir aux fans ou aux employés du club. Ce qui lui a bien servi, finalement. Au FC Bayern, le credo, c’est « Mia san Mia » , que l’on pourrait traduire par « Nous sommes ce que nous sommes. » Et c’est justement parce qu’il est resté cette personne entière, qui ne contrôle pas ses émotions, que Franck est devenu une idole. Avec le temps, sa cote n’a cessé de croître. Au point de devenir intouchable, quelles que soient ses performances, quels que soient les visages des adversaires touchés avec les mains.

Une popularité dont les contours sont parfois difficiles à dessiner pour quelqu’un qui ne vit pas en Allemagne, mais qui se font évidents lorsqu’on traverse la frontière et s’attarde un peu dans le pays. Outre-Rhin, on trouve plusieurs de ces joueurs aimés car fidèles à eux-mêmes jusqu’au bout. Lukas Podolski, un des footballeurs les plus populaires de ce siècle en Allemagne, en est le parfait exemple. Les Allemands l’aiment, car ils ont l’intime conviction que l’argent et la célébrité n’ont pas changé le gamin des rues de Cologne. Franck Ribéry jouit de cette même opinion populaire. Malgré les titres, il continue de mettre du dentifrice sur les poignées de porte comme s’il était toujours ce petit neveu gentil, mais un peu turbulent.

Allemand rudimentaire et meilleur joueur du monde

Au plus la France honnit Franck Ribéry, au plus Munich l’adule. Ni les scandales – qui ne passent d’ailleurs pas vraiment la frontière –, ni les blessures à répétition, ni les titres perdus face à Dortmund, ni son refus de poser avec une bière lors de l’Oktoberfest, ni son allemand rudimentaire n’auront raison de sa popularité. Arjen Robben, son comparse au sein du duo « Robbery », dérange parfois. On le juge trop égoïste, trop froid et évidemment un peu trop néerlandais. Franck Ribéry, lui, continue de faire l’unanimité. Et au moment de se relever après la débâcle de 2012, il se mue en meilleur joueur du monde pour aider son Bayern Munich à faire un triplé historique. Si c’est bien Robben qui inscrit le but de la victoire à Wembley, tout le monde en Bavière sait que la passe décisive est signée Francky.

Après sa troisième place lors du Ballon d’or 2014, Ribéry ne reviendra jamais à son meilleur niveau, mais les fans du Bayern s’en fichent. Il continue de marquer de temps en temps et de faire des blagues avec David Alaba. Surtout, il aime son club comme au premier jour. Alors au moment de s’en aller, l’émotion est aussi vive pour lui que pour les supporters.

« Ce qu’il y a dans ce livre, c’est pour la vie »

Le dernier match à domicile s’est finalement déroulé comme dans un rêve pour Franck Ribéry. Une fois le titre assuré après le troisième but inscrit par Renato Sanches, Niko Kovač a fait plaisir au Français en le faisant entrer en jeu dès la 61e minute de jeu. Kaiser Franck aura donc le droit à bien plus qu’un tour d’honneur. Quelques minutes plus tard, il se rappelle aux bons souvenirs de tous les fans du Bayern en inscrivant un superbe but. Au moment de scander son nom, le speaker et le public s’époumonent. Franck Ribéry enlève son maillot et le brandit devant les fans, les larmes aux yeux. Pour certains joueurs, rien ne remplace le maillot du club formateur. Pour d’autres, c’est celui de l’équipe nationale. Pour Ribéry, c’est celui qui lui aura permis de s’exprimer tout en restant lui-même qui aura le plus compté. Alors prendre un carton jaune pour l’avoir enlevé, ça valait bien le coup.

Après le match et un neuvième Meisterschale soulevé (un record), Franck Ribéry continue de rendre hommage à ceux qui ont toujours été de son côté. « Ce que les fans ont fait pour moi durant douze ans, c’est tout simplement inoubliable. Je ne peux que les remercier de m’avoir toujours soutenu » , affirme-t-il alors. « Tout ce que j’ai réussi ici, c’est grâce à eux, ainsi qu’à certaines personnes qui travaillent pour le Bayern Munich. Ma famille et moi sommes tristes. Quand je suis arrivé, un livre s’est ouvert. Aujourd’hui, il se referme. Mais ce qu’il y a dans ce livre, ça reste pour la vie. Et c’est le plus important pour moi. »

Franck Ribéry a dit adieu à l’Allianz Arena, mais il n’a pas encore dit adieu au football allemand. Samedi soir, à Berlin, le Bayern Munich sera opposé au RB Leipzig en finale de Coupe d’Allemagne. Une dernière occasion de soulever un dernier trophée. Et surtout de se donner la chance d’aller fêter un cinquième doublé avec tout le peuple munichois sur Marienplatz et d’entonner une dernière fois « Oh Franck Ribéry lala-lala-la » .

Le natif de Boulogne-sur-Mer a d’ores et déjà annoncé qu’une fois les crampons raccrochés, il reviendrait à Munich pour savourer sa retraite. « Je vais sans doute jouer encore un ou deux ans, mais ensuite je rentrerai à Munich. J’en suis sûr à 100%. Ma famille et moi, nous nous sentons à la maison ici » , a-t-il déclaré lors de sa dernière conférence de presse donnée à la Säbener Strasse dans une salle de presse pleine à craquer. Bavarois, Franck Ribéry l’est sans doute aujourd’hui tout autant si ce n’est plus que français. Et le plus grand quotidien du sud du pays ne s’y trompe pas. Dans les colonnes de la Süddeutsche Zeitung, on pouvait lire dimanche soir : « À Munich, les gens lui ont quasiment offert la nationalité bavaroise. »

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