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Atlético, matelas King Size
Après avoir pendant des années construit son storytelling en s'identifiant comme le petit club de Madrid qui a su compenser son relatif manque de moyens en se tricotant un football de combat, l'Atlético de Madrid doit désormais embrasser une nouvelle dimension : celle d'une équipe qui a intégré le top 15 des clubs les plus riches du monde. Pas de quoi encore titiller les revenus de la Juventus, son adversaire du soir en C1, mais un signe que le club madrilène a de plus en plus d'armes en main pour taquiner l'élite du football européen.
Il paraît que c’est un club qui a la réputation « d’aimer souffrir » , de subir sans plier l’échine face à plus gros que lui. Quel souvenir le grand public gardera-t-il de l’Atlético version Diego Simeone ? Sûrement celui d’une équipe d’emmerdeurs professionnels, militairement disciplinés et prêts à mordre les mollets des plus grosses formations du continent en les étouffant tactiquement. Onze ouvriers qualifiés, capables à l’occasion de renverser la grande bourgeoisie du football espagnol et européen. Une belle image, qui dissimule une réalité plus complexe : depuis 2011, l’Atlético a beaucoup grandi. Pas encore au point de trinquer à la table des grands, mais avec l’idée d’y installer son rond de serviette, dans un futur pas si lointain.
L’embourgeoisement, c’est maintenant
Inutile de s’éterniser sur l’aspect sportif, la formule est archiconnue. La grinta de Simeone, son bloc équipe aux déplacements millimétrés et, bien sûr, cette défense en béton armé, qui est encore la meilleure arrière-garde d’Espagne cette saison, avec seulement dix-sept pions encaissés en Liga. Mais, derrière les belles images convoquées par ce football solidaire, il y a aussi des chiffres. Comme les 70 millions d’euros que le club a déboursé pour Thomas Lemar cet été. Ou encore les 55 briques (hors bonus) qu’il a dépensé pour rapatrier Diego Costa dans ses rangs. Alors, l’Atlético est-il devenu un club friqué ? Sans aucun doute possible. Ces dernières années, les Colchoneros affichent même la meilleure progression au classement de la Money League effectué par le cabinet Deloitte, qui hiérarchise les chiffres d’affaires des clubs européens. En 2012, l’Atlético figurait au 22e rang avec autour de 100 millions de revenus. Un chiffre qui a explosé autour de 300 millions pour la saison 2017-2018 et place le club au 13e rang de ce classement aujourd’hui. En conséquence, la grille salariale du club a suivi une trajectoire équivalente. Là encore, les exemples les plus parlants sont ceux d’Antoine Griezmann, qui a vu ses revenus monter en flèche (autour de 20 millions d’euros nets par an) à en croire les médias ibériques, et de Diego Costa, qui touche, lui, plus de huit millions d’euros annuels.
Par comparaison avec un club comme la Juventus, seul Cristiano Ronaldo, dont le salaire à deux chiffres constitue une exception, touche plus de billets verts que ces deux-là. Autre exemple parlant, toujours dans l’optique de comparer avec un mastard européen historique comme la Vieille Dame, celui de Diego Godín, qui touche un salaire à peu près équivalent à celui de Leonardo Bonucci (5 millions contre 5,5 millions). Dans le même ordre d’idée, les émoluments de Filipe Luís naviguent aussi dans les même eaux que ceux de Giorgio Chiellini (3,7 millions contre 3,5).
Changement de costume
Beaucoup mieux armé financièrement, toujours remarquablement charpenté sportivement, l’Atlético ne peut, de fait, plus aborder sa double confrontation face aux Bianconeri dans la position d’outsider sympathique qui l’avait si bien servi par le passé. Interrogé sur les ambitions de son club, Antoine Griezmann n’a d’ailleurs pas fait de la Juve le grandissime favori de ces huitièmes de finale, mais a plutôt placé les deux équipes sur une forme de pied d’égalité : « On veut arriver le plus loin possible et ça passe par les huitièmes. Ce seront deux matchs très équilibrés tactiquement avec des joueurs d’un très haut niveau. » Mais l’Atlético peut-il pour autant se permettre d’abandonner le costard d’underdog pour enfiler celui des grands d’Europe sur le long terme ? Aujourd’hui, la réponse serait sans doute non. La Juventus facturait par exemple un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros la saison dernière, soit 100 de plus que ce que gagnent les Rojiblancos.
Qui veut gagner des millions ?
Sous réserve que les poulains de Simeone continuent d’être compétitifs lors des saisons à venir, ils pourraient cependant continuer à grignoter progressivement leur retard sur les plus grosses écuries du continent. Car l’Atlético bosse tout simplement bien. Le club a profité de l’explosion de sympathie suscitée par les succès de Simeone et de ses poulains pour multiplier les partenariats, comme avec la société de paris en ligne Bwin en 2017, l’établissement financer NIBank début février ou encore le constructeur automobile Hyundai en juin 2018, pour citer les exemples les plus récents. Il a également réévalué à la hausse certains de ses sponsorings : son sponsor maillot principal, la société de trading en ligne Plus500, s’est engagé à lui verser 15 millions d’euros annuel, contre seulement 10 auparavant, jusqu’en 2021. La construction du stade Wanda Metropolitano a par ailleurs permis de gonfler significativement les revenus de la billetterie, qui plafonnaient autour de 30 millions d’euros entre 2013 et 2016, et qui sont subitement montés à 41 millions d’euros en 2017-2018. Selon le business plan conçu par les cadres de l’Atlético, le club chercherait ainsi à viser un chiffre d’affaires supérieur à 400 millions d’euros par saison à l’horizon 2020. Une stratégie que ne renieront sûrement pas le général Simeone et ses petits soldats. Qui n’oublient sans doute pas qu’en football comme ailleurs, l’argent reste encore le nerf de la guerre.
Par Adrien Candau