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Atlanta 1996, les derniers Jeux olympiques disputés par les Bleus
Ce jeudi à Tokyo, la flamme olympique du foot masculin français se rallumera enfin. La bande de Dédé Gignac et Flo Thauvin pourra alors souffler sur des braises qui n'avaient plus rougi depuis 25 ans, moment où une équipe dirigée par Raymond Domenech s'était lancée à la conquête de l'Amérique. Magnéto, Serge.
Le 27 juillet 1996, dans le Centennial Olympic Park spécialement sorti de terre pour célébrer le centenaire des Jeux, le groupe américain de soul Jack Mack & the Heart Attack électrise la nuit d’Atlanta, ville qui baigne dans l’euphorie depuis maintenant une semaine. Mais aux alentours d’une heure du matin, une bombe explose dans le parc malgré les avertissements de Richard Jewell, dont le cas a inspiré un film. Un attentat qui fait 2 morts et 111 blessés. Cinq heures avant le drame, le Portugal de Nuno Gomes et Nuno Espírito Santo mettait fin aux espoirs de médaille de la France dès les quarts de finale (1-2), et ce, à des années-lumière de la terreur qui régnait dans le village olympique. Et pour cause, Raymond Domenech et ses poulains se trouvent en Floride, à un bon millier de bornes de cette agitation.
Là, c’est à l’Orange Bowl de Miami que l’aventure de deux ans s’achève pour la promo 1973-1974. La fameuse règle du but en or, qui profitera tant aux seniors deux et quatre ans plus tard dans leur quête de couronne mondiale et européenne, s’est cette fois retournée contre les Bleuets. La faute à un penalty sifflé à la 105e minute par Pierluigi Collina contre le latéral montpelliérain Jérôme Bonnissel et profitant au tireur lusitanien Nuno Capucho. « Ils envahissent la pelouse, et là, on réalise qu’on est éliminés, raconte l’ancien Monégasque Sylvain Legwinski. Mais on ne peut s’en prendre qu’à nous-même. Au bout du temps réglementaire, on doit gagner 4 ou 5-0. » C’est donc avec un goût d’inachevé que s’ouvre une interminable parenthèse sans olympisme pour le foot masculin français. Dans quelques heures, cette nuit de 25 ans prendra fin au pays du soleil levant, les garçons de Sylvain Ripoll ayant réussi à enfin briser le signe indien. « Quelque part, ça fait plaisir et bizarre à la fois de savoir qu’on était jusqu’à aujourd’hui encore les derniers à avoir participé aux Jeux, laisse planer Tony Vairelles. Ça prouve qu’on a vécu une opportunité rare. »
Encore un Martin…
« On était aux JO sans y être »
Le temps n’a pourtant pas eu la possibilité de bonifier les souvenirs de ce tournoi américain. « C’était extraordinaire par l’ambiance, par le moment qu’on a passé ensemble, mais on garde en mémoire quelque chose de mitigé parce qu’il fallait atteindre les demies pour avoir le droit d’être au village olympique d’Atlanta, embraye Raymond Domenech, rappelant à travers ça la difficile équation du foot olympique. On était aux JO sans y être en fait. Avant ça, on était parqués dans des endroits. » Si le coach aux épais sourcils appuie sur le mot « parqué », c’est parce que ses ouailles sont alors logées dans des hôtels attribués par le comité olympique, en marge de la ville de Coca-Cola, et doivent regarder de très loin Marie-José Pérec, Jean Galfione et David Douillet ramener l’or à la maison. « La cérémonie d’ouverture, on l’a regardée à la télé, puisqu’on jouait le lendemain à Miami. On était concentrés à 100% sur nos matchs, mais c’était comme si on jouait le championnat, c’est dommage », déplore Geoffray Toyes. « Le seul moment où on a croisé d’autres athlètes, c’était pendant notre préparation sur le campus d’Auburn (Alabama). On a pu discuter avec des gymnastes, des lutteurs, des boxeurs, poursuit Vairelles. C’est le seul petit moment sympa où on a eu l’impression de faire partie de la grande famille du sport. On aurait aimé plus. »
Éviter l’entre-soi, sortir de la bulle du foot était d’ailleurs un des vœux de Domenech. L’équipe féminine américaine de soccer, une des curiosités de cette quinzaine pour sa première au programme olympique, le lui rendra bien : « Quand on les a croisées dans un hôtel, c’était extraordinaire. Elles étaient entre elles, focalisées sur leur truc, elles ne levaient pas la tête. » Le sélectionneur ne pourra cependant pas empêcher la rencontre la plus marquante du séjour avec un attaquant brésilien. « Deux groupes jouaient à Miami, donc on a pu aller voir un match du Brésil. Et je me souviens de Ronaldo… Ouf », souffle Tonygoal. RayDo abonde : « Sur ce match, il a fait 200 km au sprint, c’était impressionnant. En sortant du stade, on s’est dit qu’on aurait bien aimé le rencontrer. » Pour ça, il faudra patienter jusqu’en 1998…
Ronaldo, le vrai !
Les Jeux dans les Bleus
Même si Geoffray Toyes jure que « ce groupe avait les moyens d’aller au bout », ce fut trop juste pour espérer un podium, tant les Brésiliens de Bebeto, les Argentins de Crespo ou les futurs médaillés d’or nigérians de Kanu ont survolé le tournoi. Les Bleuets devront se contenter d’avoir terminé en tête de leur groupe après avoir disposé de l’Australie en ouverture (2-0), tenu tête à l’Espagne de Raúl (1-1) et être venus à bout de l’Arabie saoudite grâce à une papinade d’Antoine Sibierski (2-1). Sur ces rencontres, on retrouve la recette qui leur avait permis de tamponner leur visa américain. Il y eut les championnats d’Europe espoirs, terminés à la 3e place à Barcelone en mai, mais avant ça, ce quart de finale aller-retour contre l’Allemagne (4-1) qui leur a ouvert les portes olympiques. Un épisode fondateur et marquant pour les principaux acteurs. Car avant d’arriver au match retour fatidique disputé à Metz, c’est un chemin long de dix-huit mois que Raymond et ses garçons ont parcouru. Celui-ci a débuté à Myjava, dans l’ouest de la Slovaquie et, au fil des déplacements périlleux en Roumanie ou des hôtels miteux comme en Turquie, un groupe est né. « Une bonne équipe de potes, tous sur la même longueur d’onde », selon Vairelles.*
Le 26 mars 1996 à Saint-Symphorien, c’est cette osmose qui a sauté aux yeux. Le choix de disputer le match retour en Moselle avait pourtant irrité le sélectionneur Domenech. « Déjà, à l’aller (à Osnabrück), on fait 0-0 sur un terrain gelé et injouable, recontextualise-t-il. Et pour le retour, j’avais demandé pourquoi faire ce match si près de la frontière… Mais le public lorrain a été extraordinaire. » Ce soir-là, Robert Pirès est auteur d’un doublé, tout comme Florian Maurice. En hommage au local de l’étape, c’est Olivier Dacourt qui lance une chenille, que prendront soin d’esquiver Maurice et Laville (les Lyonnais devant affronter les Grenats quelques jours plus tard en finale de la Coupe de la Ligue, NDLR). Pourtant, tout le monde suivra le capitaine de soirée Pirès dans les bars de sa ville, avant de filer en after au bar de l’hôtel. Tout le monde… sauf Tony Vairelles, directement rentré à Nancy dans sa famille. En revanche, l’homme au mulet se rappelle très bien un autre temps fort de cette qualif’ olympique : « Certains voulaient se faire un tatouage des anneaux olympiques. Mais finalement, on a préféré se raser la tête. Les cheveux, ça repousse, donc c’était moins problématique pour le futur. C’est Martin Djetou qui avait ramené sa tondeuse, mais je ne sais pas de qui l’idée est venue. On voulait marquer le coup pour qu’on se souvienne de cette génération. »
Pirès before he was cool
Classe découverte
C’est donc avec la boule bien nette que les Français ont traversé l’Atlantique. Du blessé Patrick Vieira (leur seul joueur n’évoluant pas dans l’Hexagone) à Legwinski et Sibierski, appelés de dernière minute par Domenech – « La fédé m’avait donné les mauvaises dates de naissance et c’est en discutant avec Roger Lemerre, qui les avait en sélection militaire, que j’ai compris que je pouvais les prendre », jure l’intéressé -, tous doivent se faire au management de celui qui deviendra vice-champion du monde en 2006. Tantôt déstabilisant, comme lorsqu’il lance ses causeries participatives, tantôt ouvert à la discussion, l’ancien boucher de l’OL fait tout pour que ses jeunes joueurs sortent la tête du guidon. « Derrière la posture, la distance, le regard direct et froid, il n’est pas comme ça, expliquait son capitaine Bonnissel. Il m’a apporté énormément au niveau de la réflexion du jeu, de l’ouverture d’esprit sur le foot. Et à l’extérieur, il nous faisait toujours découvrir quelque chose : le camp d’Auschwitz en Pologne, le Mur des lamentations à Jérusalem, une résidence de Ceaucescu criblée de balles, on était friands de ce qu’il nous réservait. » Et c’est dans cet esprit que ce même Raymond Domenech lâchera la bride pour que ses poulains vivent leur rêve américain.
G.-O. Trouvetou
Quand Vairelles et compagnie se retrouvent invités dans une maison sur les bords d’un lac par deux Américaines rencontrées à l’hôtel, le boss leur laisse quartier libre. « Une régalade », salive encore Tony, adepte de l’American way of life. « On était dans un film hollywoodien, enchaîne Legwinski. C’était une grande maison à l’américaine, les gens étaient adorables. On faisait des tours sur les bouées tractées, du jet-ski, on mangeait des grosses côtes de bœuf. » Lors d’une autre virée dans les rues de Miami, ils se retrouvent accoudés au bar, profitant d’une tournée de Coca-Cola offerte par le patron. Vairelles se souvient encore de ce pot : « Là-bas, ils ne servent pas ça dans des bouteilles, mais à la pression, comme si c’était de l’eau. » Chez Geoffray Toyes, c’est plus des biscoteaux qui ont retenu son attention : « Tout le monde était en marcel ou torse nu et ultra musclé, Martin Djetou était à sa place. (Rires.) »
Passage de flambeau
Un quart de siècle et cinq olympiades plus tard, la nouvelle génération olympique des Bleuets sera au cœur de l’événement, puisqu’elle jouera ses trois matchs dans la métropole tokyoïte. Impossible en revanche de faire du tourisme, bulle sanitaire oblige. Autre raison pour Sylvain Ripoll d’envier Raymond Domenech : lui ne pourra pas compter sur un groupe qui a franchi les étapes ensemble. Le Breton a appelé les « vieux » Thauvin, Gignac et Savanier pour chaperonner les Espoirs, mais il a surtout dû s’accommoder des désistements de Caqueret, Camavinga ou Gouiri, retenus par leurs clubs. Une situation qui laisse perplexe leurs prédécesseurs. « Priver un joueur de faire les JO, humainement, c’est triste, se résigne Legwinski. Mais voilà on est dans l’ère du sport business avec des gens qui sont de moins en moins passionnés et qui ont une autre lecture des valeurs sportives. » Tony Vairelles prolonge : « À notre époque, on ne pouvait pas refuser une sélection ou alors on pouvait en être banni. En plus, je trouve ça hypocrite de la part des clubs parce que ces compétitions peuvent servir de vitrine pour un joueur, et leur permettre de faire une plus-value sur un futur transfert. » Mais alors, que faire pour que les joueurs et les clubs y trouvent leur compte ? Domenech propose « tout simplement un tournoi à six nations où chaque confédération serait représentée par son champion sortant. Ça aurait de la gueule, non ? » Peut-être, à condition de ne pas devoir attendre 25 ans la prochaine apparition des Bleus. Après tout, c’est bien Pierre de Coubertin qui disait : « L’important, c’est de participer »…
Lionel Letizi, Nuno Espirito Santo et les gants de Mickey
Bruno Fernandes vole au secours d’un passager dans un avionPar Hugo Bouville et Mathieu Rollinger
Tous propos recueillis par HB et MR, sauf Bonnissel par L'Équipe.
* Il suffit de regarder cette vidéo de l'INA, diffusée quelques semaines avant les Jeux, pour finir de s'en convaincre.