Athènes-Trabzon, un duel döner

En turc, le mot « kebab » signifie « viande grillée » . Tandis qu’en Grèce, on préfère utiliser l’appellation « pita » , qui signifie « pain » ; ou bien celle de « gyros » , qui signifie « tournant » . Une vaste polémique sémantique qui a envahi la France à mesure que les kebabs ont squatté ses trottoirs. Dans ces circonstances, la double confrontation de Ligue Europa entre les Grecs d’Athènes et les Turcs de Trabzon apparaît comme le duel döner de ce début de saison européenne. Mais en réalité, la ville du nord-est de la Turquie n’est pas réputée pour ses broches à kebab. Ce qui ne l’empêche pas d’être la ville la plus hellénique du pays. Explications.

Le fromage plus que le kebab

Si le kebab est le fruit d’un processus de cuisson né en Turquie au XV^e siècle, c’est bien en Allemagne qu’il a été inventé par Mehmet Aygün, ­immigré turc berlinois du début des années 1970. Mais une fois la recette exportée en France, la confusion sémantique est née, déchaînant presque autant les passions que l’éternel et insupportable débat entre « chocolatine » et « pain au chocolat » . En Grèce ou en Turquie, le débat n’a lui pas lieu d’être, et encore moins à Trabzon, ville située au bord de la mer Noire. « Le kebab n’est pas une particularité de Trabzon. C’est la fondue de fromage mélangée avec du maïs. Les Turcs viennent même exprès à Trabzon pour manger cette spécialité régionale » , confie Ozkan, originaire de Trabzon.

Évidemment, la ville contient son lot de broches à kebab, mais si les Turcs s’y amassent, c’est bien pour le kuymac, cette fondue composée de fromage et de farine de maïs, deux spécialités qui font la richesse de Trabzon. « C’est du fromage qui s’étend et ne se coupe jamais. C’est un peu comme du gouda hollandais, sauf que là c’est mélangé avec une farine de maïs fabriquée dans la région de Trabzon » , rajoute celui qui est un supporter invétéré de la nouvelle écurie de Daniel Sturridge. Ironie de l’histoire, son oncle – également originaire de Trabzon – tient un authentique restaurant turc au Petit-Quevilly.

Kuymac

Trabzon l’Hellénique

Si Ozkan, aujourd’hui installé en France, confie que « beaucoup de restaurants en Turquie font leur kebab avec de la viande hachée plutôt que de la viande de veau » , il n’en reste pas moins un amateur de gastronomie turque. D’ailleurs, la comparaison avec la Grèce lui apparaît incontournable : « En Grèce, j’ai mangé beaucoup de brioches au fromage qui sont exactement pareilles que chez nous. Trabzon aime aussi beaucoup le poisson et notamment lehamsi tava, qui sont des sardines disposées en rondelles et qu’on peut manger avec des frites, en brioche, en quiche et même dans des desserts. Quand ils jouent, les joueurs de Trabzonspor sont comparés à des sardines qui jouent de la lyre grecque. » Car en réalité, Trabzon est la ville la plus hellénique de Turquie puisque jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, elle était très majoritairement habitée par les Grecs.

Aujourd’hui, la lyre est sans doute le pont le plus facile à faire entre Trabzon et la Grèce, ce que confirme Ozkan, petit-fils d’une Turque ayant appris le grec grâce à ses voisins : « À Trabzon, on est très fans de la lyre grecque. Il y a même des gens de Trabzon qui vont en Grèce pour participer à des festivals de lyre. » De fait, ce barrage entre l’AEK Athènes et Trabzon est davantage un duel d’amis historico-gastronomiques, qu’un duel entre ennemis des broches à kebab. Ce qu’explique une nouvelle fois parfaitement Ozkan : « Trabzon est la ville qui a le plus de choses à partager avec les Grecs. Comme la lyre, qui n’existe quasiment qu’à Trabzon puisque le reste de la Turquie ne connaît presque pas ça. » Reste désormais à savoir si les joueurs de Trabzonspor ne feront qu’une bouchée de leurs homologues athéniens, ou l’inverse, le match aller ayant lieu à Athènes. Avant un match retour alléchant, la semaine prochaine, sur les bords de la mer Noire.