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Ataa Jaber : d’Israël à la Palestine, le choix d’une vie
Au Qatar, la Palestine dispute actuellement la troisième Coupe d'Asie des nations. Parmi les Lions de Canaan convoqués, le milieu de terrain Ataa Jaber a fait à 29 ans couler beaucoup d’encre en raison de son choix, celui de tourner le dos à Israël pour la Palestine.
Le 14 juin dernier, au Gelora Bung Karno de Jakarta, l’Indonésie et la Palestine s’affrontent dans un match amical, franchement tristounet (0-0). Néanmoins, cette rencontre est entrée dans les livres d’histoire grâce à un homme, Ataa Jaber. Le milieu de terrain du Neftchi Baku (Azerbaïdjan) est devenu le premier joueur à enfiler la tunique palestinienne après avoir porté celle d’Israël (en U19 et U21). « J’ai pris cette décision pour plusieurs raisons. Premièrement parce que je suis palestinien, deuxièmement parce que j’en ai la capacité, et troisièmement pour faire passer le message aux joueurs à l’intérieur de la Ligne verte (soit la démarcation entre les forces israéliennes et arabes après l’armistice de 1949, NDLR) que ce choix leur est offert », déclarera-t-il après la rencontre. De nationalité israélienne, Ataa Jaber a fait le choix de rallier la sélection de la Palestine en honneur à son histoire familiale. Et forcément, son changement de sélection sportive a fait jaser. Mais s’il n’a pas pu faire ses débuts en Coupe d’Asie des nations ce dimanche contre l’Iran (1-4), c’est uniquement à cause d’une petite blessure.
La petite histoire dans la grande
Avant de devenir un symbole de la cause palestinienne, Ataa Jaber a vu le jour en 1994 et grandit à Majd-al-Krum en terre israélienne, située à 40 kilomètres au nord-est de Haïfa. Très vite, ses prouesses footballistiques tapent dans l’œil des plus grands clubs d’Israël, dont le Maccabi Haïfa qui l’intègre dans son centre de formation. Chez les Vert et Blanc, Jaber impressionne, franchit les paliers, jusqu’à devenir international U19, puis U21 israélien. Tellement talentueux qu’il est nommé capitaine de la sélection U21, devenant le premier joueur d’origine « arabe » à porter le brassard. Comme près de 1,8 million d’Israéliens (environ 20% de la population en 2018), Ataa Jaber est un « arabe israélien » ou un « israélo-palestinien ». En 1948, l’État d’Israël voit le jour dans un contexte houleux. Une guerre éclate avec les Palestiniens, et de nombreuses familles palestiniennes deviendront (souvent contre leur gré) des citoyens israéliens. Une histoire tragique vécue par les grands-parents d’Ataa Jaber, forcément très touché par cet héritage familial. « En Israël, ils nourrissent le discours d’intégration des joueurs arabes et disent qu’il n’existe pas de disparité, que vous représentez votre communauté, que vous aurez une voix et que vous ne serez pas obligé de chanter l’hymne national israélien. Mais dans la réalité, c’est tout sauf le cas », expliquait-il à Arab News. Bien que talentueux, l’homme aux 150 matchs joués dans le championnat israélien ne se sent pas pleinement intégré, aussi bien en sélection que dans la société israélienne.
En 2020, Ataa Jaber entame sa quatrième saison au Bnei Sakhnin et fait une rencontre qui va tout changer, celle avec Rami Hamadi, venu faire une pige en première division israélienne. Le dernier rempart de l’équipe nationale palestinienne lui explique qu’il est possible pour un citoyen israélien d’origine palestinienne d’intégrer la sélection. « Cette rencontre a tout changé dans ma vie, témoigne-t-il, toujours pour Arab News. Il m’a tout expliqué, j’ai découvert l’existence grâce à Rami de la sélection et du championnat. Je ne savais même pas que c’était une possibilité parce que je n’avais pas de passeport. ». Les tragiques événements dans le quartier Cheikh Jarrah en mai 2021 vont le conforter dans son choix : « Après ce qui s’est passé à Cheikh Jarrah, j’ai réalisé qu’il était impossible de séparer la politique du sport. Si je voulais représenter les Arabes de 1948, il y avait une meilleure façon de le faire. » Et après deux ans de paperasse, il devient officiellement un international palestinien. Pour le meilleur… et pour le pire.
Israël l’a effacé de ses mémoires
« La décision de jouer pour l’équipe nationale palestinienne, en particulier après le massacre du 7 octobre, est par définition une trahison. Nous demandons au ministre de l’Intérieur Moshe Ariel d’envisager de retirer sa citoyenneté à Ataa Jaber. » Dans un communiqué publié après le match Palestine-Australie (0-1) en novembre dernier (match au cours duquel les joueurs palestiniens sont venus sur le terrain avec des drapeaux et des keffiehs), l’ancien club d’Ataa Jaber – le FC Ashdod – le met en cause publiquement. Depuis sa première sélection avec la Palestine, il doit faire face à de nombreuses attaques. En Israël, son choix est perçu comme une trahison. « Il n’a plus sa place dans notre pays », a même lâché Tal Ben Haim. L’ancien défenseur de Chelsea surenchérit : « On doit lui retirer ses papiers d’identité. En Israël, il faut se débarrasser des pollueurs. » Outre la tempête médiatique et politique à son encontre, Ataa Jaber a également vu Dudu Dahan, son agent historique, mettre fin à leur collaboration. « Nous n’acceptons aucun soutien à Gaza », a ainsi déclaré dans un communiqué sa société Scout Push. Le Maccabi Haïfa, son club formateur, a également retiré la totalité des archives concernant Ataa Jaber.
The Palestine football team during the national anthem prior their World Cup Qualifier against Australia this afternoon 🇵🇸 pic.twitter.com/1ptu9roRbu
— FC PALESTINA (@fc_palestina) November 21, 2023
Face à cet acharnement, celui qui va disputer sa première Coupe d’Asie reste droit dans ses bottes et s’érige en précurseur. « Il y a une crainte parmi les joueurs palestiniens à l’intérieur de la Ligne verte, car prendre une telle décision pourrait les priver de leur principale source de revenus, d’autant plus qu’ils ne peuvent pas tous partir jouer à l’étranger comme je le fais », a-t-il souligné. Mais le droitier encourage « ses frères » à le faire : « Ce n’est pas simple, j’en ai conscience, et il y a des pièges. Mais si un joueur est prêt à jouer pour la Palestine, alors son chemin deviendra plus facile. » Bien que jonché de gros cailloux.
Par Tristan Pubert