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Astana, à la poursuite du billet vert
Sur les talons de Villarreal et du Slavia Prague dans son groupe, le FC Astana se déplace ce jeudi soir à Tel-Aviv afin d’entretenir le rêve d’une qualification pour le tour suivant de Ligue Europa, même si l’essentiel était déjà d’être présent à ce stade de la compétition. Mais au fait, que fabriquent Astana et le Kazakhstan en zone UEFA ?
Vent de panique chaque été. Les supporters des quatre coins du Vieux Continent prient tous les saints lors des multiples tirages au sort des coupes d’Europe pour ne pas voir leur club chéri rencontrer un club kazakh, synonyme de déplacement quasi impossible à effectuer. L’idée d’aller crapahuter sur les pelouses d’Astana ou d’Almaty n’enchante d’ailleurs pas forcément non plus les joueurs, quand ce ne sont pas carrément les dirigeants de clubs semi-professionnels irlandais ou gallois qui ont les miquettes de creuser un trou conséquent dans la trésorerie afin de juste permettre à l’équipe de faire le voyage aux confins du continent. Et ce depuis 2002, date à laquelle la Fédération a décidé de tourner casaque à une confédération asiatique de football qu’elle avait rejointe peu après la chute de l’URSS. Uniquement pour des motivations sportives, à en croire un communiqué officiel de la fédé stipulant être « convaincue que notre football doit désormais faire partie de celui de l’UEFA, le plus développé au monde » . Un intérêt sportif paraissant néanmoins relatif tant le Kazakhstan, alors 145e au classement FIFA, semble, même en zone Asie, bien loin de se qualifier pour une Coupe du monde.
Là où les chèvres sont plus nombreuses que les êtres humains
C’est fort d’un lopin de terre d’un peu moins de 200 km² niché entre la Volga et l’Oural et où les chèvres sont plus nombreuses que les êtres humains que le Kazakhstan s’est légitimement porté candidat pour intégrer l’UEFA. « Pour être candidat, il faut d’abord qu’une partie du territoire soit géographiquement en Europe, puis, concernant le Kazakhstan, a ensuite eu lieu un vote avec une assez courte majorité en faveur de cette entrée » , précise William Gaillard, ancien directeur de la communication et des affaires publiques de l’UEFA. Celui qui fut surtout l’ancien conseiller de Michel Platini au sein de l’institution ne goûte apparemment pas le seul argument sportif, convaincu que « le Kazakhstan a aussi regardé le fait qu’il recevrait beaucoup plus d’argent de l’UEFA, aujourd’hui de l’ordre de 8 ou 9 millions d’euros par an, qu’il n’en recevrait de la confédération asiatique » . Environ 0,0070% de l’immense territoire kazakh qui rapporte donc bien plus qu’il n’y paraît.
Analyser cette volonté de regarder vers l’ouest par le seul prisme de l’équipe nationale serait cependant aller un peu vite en besogne. Au sein d’une Union économique éurasiatique en proie à une situation complexe, le pouvoir kazakh cherche à se rapprocher par tous les moyens de marchés plus juteux, y compris par le sport. Une stratégie efficace car, si les clubs kazakhs ne dépassaient auparavant pas le premier tour de la défunte Coupe de l’UEFA, il est maintenant compliqué d’aller s’y imposer, Bordeaux l’ayant appris à ses dépens du côté d’Almaty. De son côté, Astana a même eu l’opportunité de se mesurer à des clubs tels que le Benfica, Galatasaray ou l’Atlético de Madrid en phase de groupes de la Ligue des champions en 2015. Peu importent les résultats à ce stade, le principal objectif étant de placer le pays sur la carte. « Astana est la figure de proue du développement du Kazakhstan » , déclarait en 2013 à l’Astana Times le sémillant président kazakh Noursoultan Nazarbaïev, brillamment élu meilleur dictateur un an après par Sherpa ainsi que l’Observatoire géopolitique des criminalités, deux ONG en lutte contre les crimes financiers.
Club tête de gondole
Le despote, déterminé à mettre toute la lumière sur sa « Dubaï de l’Asie centrale » , est d’ailleurs à l’origine de la nomination d’Akmola en tant que capitale du pays en 1998, plus connue aujourd’hui sous le nom… d’Astana (capitale en VF), au détriment de l’historique Almaty. Une ville-marque où la section football fait partie du « club présidentiel du FC Astana » , au même titre que son équipe cycliste, un temps guidée par Lance Armstrong, de basket-ball ou encore du club de boxe des Astana Arlans. Un club omnisports présenté en grande pompe en 2013 avec les présences conjuguées d’Oliver Kahn et Luís Figo. Nazarbaïev, via le fonds souverain Samuryq-Qazyna, ne lésine pas sur les moyens lorsqu’il s’agit de faire un peu de soft power. « Ce fonds, détenant le FC Astana, appartient à l’État et au président en tant qu’institution et non en tant que personne. C’est un système très soviétique. Officiellement, le fonds s’élève à 82 milliards de dollars, mais cela pourrait être bien plus » , souligne Manuel Veth, journaliste et auteur d’une thèse sur l’économie des clubs post-URSS, dont certaines traditions perdurent.
Témoin des folies qatariennes ou émiraties sur le marché des transferts et disposant d’un tel pactole, il ne serait pas si étonnant de voir un jour Astana succomber à la tentation de l’achat prohibitif, même si la position géographique du pays demeure un handicap majeur pour les joueurs confirmés que même l’argent aura bien du mal à compenser. En toute légalité ? « L’Union européenne interdit aux clubs professionnels, quel que soit le sport, de recevoir des subventions publiques, et ce même pour construire un stade. Mais cela ne s’applique pas en dehors de l’Union européenne, qui n’a donc aucune compétence dans un territoire comme celui du Kazakhstan. En revanche, la question est intéressante pour les clubs européens recevant de l’argent de fonds souverains, car eux sont en violation des règles de concurrence de l’Union » , répond William Gaillard. De quoi faire couiner un peu plus les dinosaures Juventus, Barça ou Bayern Munich, et donner des maux de tête à l’UEFA dans sa quête d’un football plus équitable.
Par Grégory Sokol
Tous propos recueillis par GS