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- 17 mars 1976
ASSE-Dynamo Kiev 1976 : et le foot français reverdit…
Simféropol, la Crimée, l’Ukraine, l’URSS… Le 17 mars 1976, St-Étienne se qualifiait pour les demies de C1 en éliminant l’ogre Dynamo Kiev. Un exploit synonyme de renaissance d’un foot français variétoche à la Guy Lux…
D’où viendra la lumière ?
Et si l’OL avait éliminé le Milan AC en quarts de C1 2006, serait-il aussi entré dans la légende européenne comme son rival stéphanois des années 70 ? Non. Malgré le statut XXL de ce Milan-là, il aurait fallu beaucoup plus fort que les Gones pour émarger au firmament continental du foot français (Reims 1956, ASSE 1976, OM 1993 et PSG 1996). Il aurait fallu à Lyon qu’il atteigne d’abord les demies de Ligue des champions et y élimine ensuite à ce stade soit l’immense Bayern de ces deux dernières saisons, soit le Barça injouable de Guardiola, ou encore un des clubs de la colossale triplette anglaise de la fin des années 2000, Chelsea-MU-Liverpool. Pas moins. Vous situez mieux maintenant la perf exceptionnelle réalisée par les Verts de 1976, sans aucune grande star dans ses rangs ? Parce que le Dynamo Kiev de 1976 avait le profil indestructible des cinq épouvantails contemporains cités plus haut. Pour faire très court, cette année-là, le club ukrainien possédait le « nouveau Cruyff » : Oleg Blokhine. Le Ballon d’or 1975 capable de courir le 100 mètres en moins de 11 secondes avait battu à lui tout seul le grand Bayern des Beck-Bomber-Sepp en finale de Supercoupe d’Europe (2-0, doublé d’Oleg). Le coach Valeri Lobanovski faisait pratiquer à ses joueurs un « foot scientifique » qui n’avait rien à envier au « football total » de l’Ajax. Son Dynamo champion d’URSS avait ainsi remporté la Coupe des vainqueurs de coupes 1975 (3-0 contre Ferencváros), soit le premier trophée européen pour un club russe.
Voilà pour l’adversaire. Ensuite, il y avait le contexte sinistré du foot français au mitan des années 70 : en gros, du niveau de la Hongrie d’aujourd’hui ! Le foot de la lose totale avec des Bleus absents de toutes compètes depuis le Mondial 66 et des clubs qui giclent trop souvent au premier tour des trois coupes d’Europe. Sauf Saint-Étienne… L’ASSE surnage de façon très gaullienne en marquant par deux qualifs retentissantes en C1 sa résistance au déclin mortel. Contre le Bayern en 1969 (0-2 puis 3-0) et contre Hajduk Split en C1 1975 (1-4 puis 5-1 a.p). Sauf que cet exploit contre Split n’avait pas été diffusé pour d’obscures raisons de droits TV, ce qui favorisa la mystique naissante des Verts, éliminés ensuite en demies par le grand Bayern de Beck-Bomber-Sepp (0-0, 0-2). « Mystique » , le mot n’est pas trop fort, car outre le marasme du foot français, la France giscardienne découvrait horrifiée et impuissante le chômage de masse et la crise mondiale. C’est la France du No Future, des lendemains sans joie. Dans l’Espagne actuelle, seule la Roja double championne d’Europe et championne du monde apporte un peu de réconfort à nos voisins ibériques. L’ASSE des années 70, c’était pareil. Plus que du foot : un viatique pour ne pas se flinguer. Alors depuis l’exploit contre Split, toute la France se mobilise devant sa télé à chaque rendez-vous européen des Verts, le mercredi soir. Comme un symbole d’espoir saisonnier, on attend toujours qu’ils atteignent les quarts, le mois de mars, le printemps, les beaux jours, la renaissance… Sauf que fin février 76, l’ASSE s’est fait éliminer contre le Dynamo Kiev dès le match aller de quarts de C1 en perdant 2-0 dans le bourbier de Simféropol. C’est fini, pense-t-on. Jamais St-Étienne ne pourra remonter ce handicap au retour, à Geoffroy-Guichard. En novembre 2013, face aux Ukrainiens, encore, les Bleus étaient aussi donnés perdants après le même 0-2 en barrage aller, à Kiev. L’espoir était aussi nul qu’en 1976…
Entre la 64e et 65e minute…
Heureusement, au matin du 17 mars 1976, les Verts sont en tête du championnat de France. Ils peuvent donc se consacrer à l’Europe. Mais l’ambiance n’est pas terrible : Larqué a été nul à l’aller, Hervé Revelli fait la gueule parce qu’il n’est pas assez titulaire, Sarramagna se plaint de son statut d’éternel joker-remplaçant et le jeune Rocheteau souffre du mollet au point de craindre le forfait… Le parking du stade a fait le plein de voitures immatriculées dans tout le pays et Geoffroy-Guichard bouillonne à thermostat 10 bien avant le coup d’envoi. La France entière s’arrête à 20h30 précises. Elle retient son souffle. Le brouillard et les projos aveuglants nimbent les images TV d’une lumière pisseuse… Robert Herbin, coach et Sphynx des Verts a aligné un 4-3-3 ajaxien hyper offensif et dévoué au pressing constrictor. Ćurković est dans les buts. En défense Farizon, Lopez, Piazza et Janvion. L’Antillais prendra Blokhine en individuel, vu que c’est le seul sprinter dont dispose Robbie Herbin. Au milieu, Larqué, Bathenay, Synaeghel, et en attaque Rocheteau et Sarramagna aux ailes et Hervé Revelli en 9. Comme tous les matchs retours assignés à l’exploit, la rencontre n’est rien d’autre qu’une plongée en apnée pendant 90 minutes. Trois buts à planter, donc pas besoin de tableau noir : il faut s’arracher comme Mamadou Sakho au SdF ! Ce que Sainté fit d’entrée, prenant Kiev à la gorge. Du « hourrah football » plutôt qu’un jeu élaboré. Problème… À cette époque, outre les petites tricheries (fautes, coups bas, tirages de maillot), il existe d’autres moyens dilatoires permettant de gagner du temps et casser le rythme de l’adversaire sur les crocs. On peut donner le ballon au gardien qui peut le saisir de ses mains et prendre ensuite tout son temps avant de dégager. On peut surtout balancer des gros sacs en tribunes : il faut alors attendre que le ballon redescende sur le terrain, du fait que les petits ramasseurs de balle n’avaient pas comme aujourd’hui de ballons immédiatement dispos à transmettre aux joueurs. Ne rigolez pas ! Le seul regret de Platoche de Séville 82, c’était qu’à 3-1, les Bleus auraient dû bazarder sans arrêt la gonfle dans les tribunes du Sanchez Pizjuán… Le Dynamo Kiev contient quand même la fougue verte en jouant à la passe latérale et en balançant aussi un peu en tribune, en commettant de petites fautes et en jouant derrière avec l’immense Rudakov, gardien d’1m93. Bilan : 0-0 à la mi-temps.
En seconde période, Patrick Revelli remplace Sarramagna blessé à la cheville. Onze Stéphanois poussent, 37 000 spectateurs les encouragent et des millions de Français souffrent… Arrive la fameuse 64e minute, moment clef du football français aussi crucial que le but en or de Lolo Blanc face au Paraguay en 98. C’est LE renversement le plus inouï durant lequel une équipe vole vers l’Olympe juste après avoir frôlé l’abîme. Blokhine démarre côté droit en grillant Janvion, puis il accélère en éliminant Lopez et arrive seul à 30 mètres des buts de Curko : CR7 et Ronaldo ne ratent jamais ce genre de face-à-face en sortie de sprint. Pas Blokhine. Il ralentit alors légèrement, remarque son pote Onitchenko à sa gauche : un deux-contre-un mortel ! Les Verts sont en enfer. Mais entretemps, Lopez est revenu sur Oleg qui tente alors, tout surpris, un crochet trop lent que le tacle à la desperado du Stéphanois annihile : Onitchenko est furax. Lopez peut même relancer sur Piazza qui oriente illico devant dans l’axe vers Patrick Revelli qui balance pleine boîte d’un exter’ de légende : son frangin Hervé reprend d’une vilaine reprise qui finit en ballon mort derrière la ligne de Rudakov. Soixante secondes de légende pour ce 1-0 inespéré. Un Geoffroy-Guichard tellurique imite l’Etna et le Vésuve réunis. Sept minutes plus tard, Larqué allume une mine sur coup franc direct dans le côté droit que le mur et Rudakov ne couvrent pas. C’est Rocheteau qui lui a montré cet espace libre par lequel il faut tirer : 2-0 ! Jean-Mimi sortira à la 81e, remplacé par Santini. En prolongation, Piazza est terrassé par les crampes, mais c’est l’immense ovation du public qui le remet debout. Rocheteau est lui aussi terrassé par les crampes et demande à sortir, mais c’est Herbin qui lui intime l’ordre de demeurer à la pointe de l’attaque ! Comme Boli en finale de C1 93 (blessé et demandant à Goethals de le sortir), Dominique restera et maquera le but historique du 3-0 à la 112e : sur un slalom côté droit, Patrick Revelli redresse la balle in extremis sur la ligne pour centrer en retrait vers Rocheteau qui bazarde du droit dans le plafond… Explosion nucléaire (pardon pour Tchernobyl) ! L’événement dépasse le foot. La France y croit à nouveau. Tout n’est pas perdu à condition de rester unis et solidaires, comme dans une grande équipe de 50 millions de joueurs. Le 17 mars 1976 est donc aussi une étape pleine d’utopie qui annonce la victoire de la Gauche en mai 1981. Utopie et illusions : en finale, Sainté pliera face au Bayern à Glasgow (0-1) aussi durement que la Gauche de Mitterrand s’infligera l’impitoyable tournant de la rigueur en 1982. Mais le 17 mars 1976, on rêve en grand. Dix jours plus tard, un autre petit miracle va réveiller le foot français… Dans un Parc des Princes vide, les Bleus affrontent la Tchécoslovaquie. Sur un coup franc tricolore, un p’tit con balance au grand capitaine Henri Michel : « Passe-moi la balle, j’la mets au fond. » Henri passe au p’tit insolent… But ! Le p’tit con s’appelle Michel Platini.
Par Chérif Ghemmour