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Asllani, Kosse toujours
Souvent réduite à un rôle flatteur, mais un chouia réducteur, de Zlatan Ibrahimović du foot féminin suédois, l'avant-centre d'origine kosovaro-albanaise Kosovare Asllani, sera l'atout offensif numéro un des Blågult, qui défient ce samedi l'Allemagne à Rennes, en quarts de finale du Mondial. Une surdouée surnommée affectueusement Kosse, qui n'a plus peur d'ouvrir grand son gosier pour balancer ses quatre vérités.
Un jour, Kosovare Asllani en a eu ras le bol de raser les murs. Difficile de savoir précisément quand et où. Toujours est-il que l’actuelle numéro neuf de la Suède, décrite comme exagérément introvertie durant son adolescence, n’a depuis belle lurette plus peur de gueuler, quand elle le juge nécessaire. Comme ce 8 mars 2019, date de la dernière journée de la femme, où elle tacle à la carotide le compte Twitter Real Madrid Info, qui avait rendu hommage aux footballeuses, notamment en postant sur Twitter un dessin représentant des femmes de dos se tenant par les épaules, l’une d’elle arborant un maillot blanc floqué du numéro 10 et du tag « Madrista ». Le tout est accompagné d’un message : « We see you, we appreciate you » (Nous vous voyons, nous vous apprécions). Sauf qu’Asllani connaît les réalités du milieu : « Si c’était vrai, où est votre équipe féminine ? Regardez vos rivaux du FC Barcelone ou de l’Athletic Bilbao et les moyens qu’ils accordent au football féminin ! » Pan, dans les dents.
Timide enfant deviendra grande
Quelques lignes sur les réseaux sociaux, qui épousent plutôt bien les contours du style Asllani : direct, offensif, engagé et audacieux. Sur le terrain, Kosse, comme elle est parfois surnommée, évolue en électron libre derrière l’attaquant de pointe, dans le 4-2-3-1 suédois. Face au Canada en huitièmes de finale, c’est elle qui a délivré une subtile passe croisée qui permettait à sa coéquipière Stina Blackstenius de marquer le seul et unique but de la rencontre. Un service décisif, auquel s’ajoutent les deux pions qu’elle a marquées en phase de groupes, symboles de l’excellent Mondial qu’elle a livré jusqu’ici. De quoi asseoir encore plus la notoriété de l’attaquante, souvent assimilée à une sorte de Zlatan Ibrahimović au féminin.
La comparaison est facile, sans doute un peu trop. En 1988, les parents d’Asllani quittent le Kosovo pour tenter leur chance en Suède, alors que le conflit entre les deux principales communautés kosovares (Serbes et Albanais) est sur le point de déchirer le pays. Un troisième enfant est déjà dans le ventre de madame Asllani et, quelques mois plus tard, naît à Kristianstad une petite fille, que ses parents décident de nommer Kosovare. Une gamine qui met rapidement des misères à tout le monde sur les terrains de football, mais sans jamais en faire des caisses. À Vimmerby, l’un de ses premiers clubs, Asllani se montre déjà au-dessus du lot ballon dans les petons, mais s’écrase encore un peu trop aux yeux de ses entraîneurs. Ces derniers galèrent même pour l’emmener au camp de Småland, où les meilleurs joueurs de la région se rassemblent régulièrement. « Je voulais me fondre dans la masse » reconnaît volontiers Asllani. « Elle ne voulait pas y aller, elle ne voulait pas se montrer. C’était une grande peur pour elle, de se dévoiler à l’époque » , appuie Torbjörn Gustavsson, son entraîneur d’alors.
Noble Kosse
Sauf qu’Asllani est beaucoup trop douée pour passer inaperçue. Rapidement, elle prend conscience de ses forces, et du rôle symbolique qu’elle est appelée à endosser, pour des générations de jeunes filles suédoises, notamment celles issues de l’immigration. « En Suède, le football féminin est traditionnellement pratiqué par la classe moyenne blanche, décrypte la journaliste et écrivaine suédoise Anja Gatu, qui a co-écrit avec Asllani deux livres qui retracent l’histoire de l’attaquante. Mais c’est en train de changer. Kosse Asllani a montré à la nouvelle génération qu’il est possible de rejoindre la sélection même si vos parents ne sont pas nés en Suède. C’est pourquoi cette joueuse est importante à plus d’un titre. »
Importante et au premier plan du paysage footballistique féminin suédois depuis un bon bout de temps : en 2007, à 18 ans, elle débute en équipe A au Linköpings FC et fait bientôt ses débuts en sélection nationale. Le tout avant de s’exiler le temps d’une saison aux Chicago Red Stars, aux États-Unis. Il faut dire qu’Asllani a la bougeotte, elle qui a aussi évolué en Angleterre, du côté de Manchester City, lors de l’exercice 2016-2017, et en France, au PSG, où elle s’est stabilisée quatre saisons, de 2012 à 2016. Avant de revenir à Linköpings, pour boucler la boucle, en 2017. Mais c’est en équipe nationale que Kosse écrit réellement sa légende : médaillée d’argent des JO 2016 avec la Suède, l’attaquante revendique 134 capes en sélection, où sa créativité balle au pied fait d’elle une joueuse un peu à part. « Je pense avoir un style de jeu différent de celui de certains autres joueurs, oui, admettait-elle en 2016. Je suis honnête, je crois en moi. Les médias aiment me présenter comme prétentieuse, mais je ne le suis pas. »
Ce qui est sûr, c’est qu’Asslani a laissé sa timidité loin derrière elle. Quitte à s’attraper le bec en 2014 avec la sélectionneuse suédoise, Pia Sundhage, qui la laisse alors beaucoup trop végéter sur le banc. En 2017, elle s’insurgeait également contre les priorités budgétaires de la FIFA, qui aurait selon elle trop peu de considération du foot féminin. « Donc la Fédération a dépensé 4,5 millions de dollars pour les derniers FIFA Football Awards (des récompenses remises chaque année depuis 2016 par le conseil d’administration de la FIFA), balançait-elle sur Twitter en 2017. Et le budget pour développer le foot féminin (dans 209 pays) ? 5,1 millions de dollars. » Des chiffres démentis par la FIFA, que la joueuse redécoupait dans la foulée : « Leur réponse est une blague… J’ai ri quand je l’ai lue. Ils m’ont mal comprise. Je me fiche de combien d’argent ils gaspillent au gala. Je me soucie de combien ils dépensent peu sur le football féminin. Il y a là une plus grande question, et le temps est venu pour que cela change. » Sportivement aussi, Asllani a envie de bousculer les choses, alors que le dernier trophée de la Suède remonte à l’Euro 1984. Ne lui restera plus qu’à ouvrir aussi grand son pied que son gosier face à l’Allemagne ce samedi soir, pour que les Blågult continuent peut-être leur ascension inespérée vers le toit du monde.
Par Adrien Candau
Tous propos issus de Expressen.se, FIFA.com et Aftonbladet.se