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Arve Hjelseth : « Haaland a banalisé le fait de marquer un but »
Face à Leverkusen ce samedi (15h30), Erling Haaland s'apprête à boucler sa première saison complète en Bundesliga. Le moins que l'on puisse dire, c'est que pour les défenses qui ont croisé la route du buteur norvégien cette saison, la facture est salée : en vingt-sept matchs disputés avant cette dernière sortie en championnat, Haaland a marqué à vingt-cinq reprises et délivré huit passes décisives. Des chiffres stratosphériques qui font croire à Arve Hjelseth, sociologue du sport de l'université de Trondheim, que le buteur de Dortmund est d'une autre trempe que les meilleurs footballeurs norvégiens de l'histoire. Entretien.
À quel moment les Norvégiens se sont-ils rendu compte qu’ils étaient en possession d’un grand talent avec Erling Haaland ?Erling Haaland a commencé à se faire connaître du grand public il y a trois, quatre ans lorsqu’il a rejoint Molde qui est l’un des plus grands clubs norvégiens du moment avec notamment un parcours jusqu’en seizièmes de Ligue Europa cette année. Je pense que beaucoup ont été surpris par sa capacité à poursuivre le rendement qu’il avait lors de sa deuxième saison en Autriche à Salzbourg où il a signé par la suite. Notamment en Ligue des champions, où en tant que fan de Liverpool, je me rappelle forcément le mal qu’il nous a fait à Anfield. Le public norvégien était surpris qu’il réussisse si vite plus haut, même chose à Dortmund. C’est ça, qui est fascinant.
Qu’est-ce qui différencie Haaland de la précédente « génération dorée » norvégienne de la fin des années 1990 ?La Norvège a effectivement connu une période décente dans les années 1990 avec Rosenborg en Ligue des champions et une équipe nationale qui est parvenue à se qualifier pour deux coupes du monde et un Euro. Il y avait de bons joueurs au niveau européen comme Ole Gunnar Solskjær ou Töre André Flo, mais la tactique de la sélection était basée sur la puissance physique et la dévotion des joueurs au collectif. Il n’y avait pas de joueurs spectaculaires comme Haaland, ce n’est que ces dernières années que la Norvège a su produire ce type de joueurs. Par exemple, lorsque Rosenborg avait battu le Real en 1997, pas mal de joueurs de cette équipe sont partis en Angleterre, en Allemagne ou en Écosse, mais finalement, la plupart d’entre eux se sont plantés. Car Rosenborg était un collectif composé de joueurs unis, prêts à mourir pour les autres sur le terrain, mais individuellement très loin des standards requis par le haut niveau européen. Haaland, c’est différent de tout ça. C’est une nouvelle version d’Ole Gunnar Solskjær, plus efficace, et qui a le potentiel pour devenir l’un des meilleurs joueurs au monde. Aujourd’hui d’ailleurs en Norvège, pour certains suiveurs, Haaland a banalisé le fait de marquer un but. Et lorsqu’il ne marque pas, cela va forcément créer de la déception chez les gens qui le suivent et qui veulent qu’il réussisse. Pourtant, c’est ce qui fait la beauté du football : l’incertitude de marquer.
Comment expliquer que la Norvège ait dû attendre si longtemps pour avoir une superstar alors que la Suède a eu Zlatan Ibrahimović et le Danemark Michael Laudrup par exemple ? Difficile de répondre à cette question. J’exclus le Danemark, car c’est une nation traditionnellement excellente dans les sports de ballon : ils n’ont pas forcément une équipe nationale exceptionnelle, encore qu’elle se débrouille bien récemment, mais ils ont une approche différente des Norvégiens et des Suédois et surtout des références comme la victoire en 1992 à l’Euro. Peut-être aussi que par le passé, les grands talents norvégiens se sont orientés vers d’autres sports proches du ski, de la course, etc., même si c’est paradoxal, car le football reste le sport numéro 1 depuis tant d’années ici. Déjà, il ne faut pas oublier que le football norvégien s’est professionnalisé tard et graduellement, du milieu des années 1980 jusqu’en 1992. Ensuite, il faut également prendre en compte la période hivernale en Norvège qui est beaucoup plus rude qu’au Danemark ou en Suède. En hiver, les conditions climatiques sont beaucoup plus clémentes en Suède et au Danemark qu’en Norvège. Il y a encore trente ans par exemple, on ne jouait au foot que pendant sept ou huit mois de l’année ici.
Comment expliquez-vous que l’on perçoive la Norvège comme un pays de skieurs ?Tout simplement parce que la Norvège performe et gagne dans ce sport. Pourtant, pour un potentiel champion de ski de fond ici, il y a dix potentiels très bons joueurs de football. Contrairement à ce que beaucoup pensent de la Norvège, que c’est un pays de sports d’hiver ou de ski, la Norvège est un pays dingue de football. Le foot est le sport le plus populaire en Norvège, et les meilleurs footballeurs du pays ont une exposition très importante, notamment lorsqu’ils évoluent dans les meilleurs championnats européens. Mais la compétition dans le football international est également beaucoup plus dure. Je pense néanmoins que la Norvège va s’améliorer dans ce domaine dans les prochaines années, car tout se professionnalise et il n’y a pas de raison que le pays ne progresse pas. Et puis, n’oublions pas que nous ne sommes que 5 millions d’habitants. La probabilité de produire un Haaland est extrêmement mince.
La Norvège est un pays qui suit historiquement la Premier League. Est-ce que les exploits d’Haaland avec Dortmund participent à changer les mœurs au niveau des championnats suivis par les Norvégiens ?Oui, en partie. Il y a une grande tradition de suivre la Premier League, mais cela a changé ces dix dernières années, car c’est plus facile aujourd’hui de suivre également la Liga, la Serie A ou la Bundesliga. On va dire que cela accompagne cette tendance-là. Pour ceux qui sont également supporters dans le championnat norvégien, car il y a également ici une culture importante du supportérisme en Elitserien, la Bundesliga s’est également détachée pour cette raison : ses ambiances, notamment celle de Dortmund, la rendent fascinante. Enfin, il y a une frange qui suit le football à travers les meilleurs joueurs norvégiens, et forcément encore davantage quand ceux-ci performent à l’étranger. Pour ceux qui supportent Liverpool ou Man Utd depuis 30 ou 40 ans ici, la nationalité des joueurs importe peu, et ils vont rester fan de leur club avant tout. Mais pour les plus jeunes, je suppose que la future destination d’Haaland, qui va atterrir en Espagne ou en Angleterre d’ici un ou deux ans, va ramener à ce club de nouveaux fans norvégiens. Mais dans mon cas par exemple, je ne vais pas me mettre à supporter United si Haaland signe là-bas. Si c’est le cas, je vais juste vouloir qu’il se loupe. (Rires.)
Si Haaland se barre en Angleterre, cela va donc le rendre plus populaire en Norvège ? Plus qu’en Espagne par exemple ?Oui, sa réputation en Norvège serait encore plus importante s’il va en Angleterre, car il y a environ 1,5 million de Norvégiens qui sont familiers avec le football anglais depuis 1965 (une étude récente dit qu’en gros 37% des Norvégiens adultes suivent la PL, ce qui représente environ 1,6M de personnes). C’est à ce moment-là qu’au Danemark, en Suède et en Norvège, dix à quinze matchs par saison étaient diffusés l’hiver via un accord sur ITV si ma mémoire est bonne. Après la Seconde Guerre mondiale, du printemps à l’automne, on pouvait également parier sur des matchs anglais et les classements du championnat anglais apparaissent déjà dans les journaux. La PL a une place prédominante dans la société norvégienne, tu as des supporters qui supportent d’abord Liverpool ou Manchester United et ensuite un club norvégien en plus. Tu aurais beaucoup de gens qui supporteraient Manchester United s’ils jouaient contre Rosenborg par exemple.
Quel rôle pourrait jouer Haaland dans le futur au sein de la société norvégienne ?Il peut avoir un poids dans des trucs basiques de publicités ou supporter des causes tels que le changement climatique, cela aurait un impact du fait de son poids médiatique et il en serait un symbole. Mais sur des sujets plus controversés, il y aura forcément une opposition. Et les génies du football ne sont pas forcément des génies de la politique ou dans d’autres domaines. Je suis sceptique quant à la tendance actuelle de penser que d’importantes figures sportives puissent avoir des opinions importantes dans d’autres domaines et à ne surtout pas remettre en cause. Pour conclure, je ne pense pas qu’Haaland ait le potentiel pour devenir une « mégastar » , et quand je dis mégastar, c’est également au niveau culturel, une icône de la pop culture comme David Beckham. Beckham avait une aura qui dépassait le cadre du football, il était marié à une popstar… Je ne pense pas qu’Haaland emboîtera ce chemin. En ce qui concerne le football en revanche, il est déjà respecté et aimé, et même si tout peut aller très vite, on s’attend quand même à ce que le meilleur soit à venir pour lui. Car Haaland ne va pas forcément marquer tout le temps des buts extraordinaires, mais il a quand même ce don pour en permanence se trouver au bon endroit au bon moment.
Propos recueillis par Andrea Chazy