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Arte, la franco-allemande qui n’aime pas le foot ?
Arte, la chaîne de télévision franco-allemande de service public, aurait sans doute été la mieux placée pour diffuser la demi-finale France-Allemagne de ce jeudi soir. Pourtant, il n'en est rien. D'ailleurs, la chaîne n'a jamais fait montre d'un véritable amour pour le ballon rond. Mais est-ce encore aussi flagrant que ça aujourd'hui ?
Depuis près d’un mois maintenant, difficile d’allumer la télé sans être forcé de se farcir sa dose quotidienne de ballon rond. Le foot et la télévision sont unis par les liens sacrés de l’audimat, et tout le monde, à sa manière et avec ses moyens, tente de croquer une part du gâteau. Pourtant, alors que la France et l’Allemagne vont s’affronter en demi-finales de l’Euro, l’une des rares chaînes qui ne semble pas profiter de cet événement pour se payer sur la bête, c’est Arte. Chaîne franco-allemande de service public, Arte a vu le jour le 30 mai 1992 sur une idée du président français François Mitterrand et du chancelier allemand Helmut Kohl. Née de la volonté de créer « une chaîne culturelle franco-allemande, noyau d’une future télévision culturelle européenne » , Arte n’a pas failli à sa mission. Pourtant, s’il y a un domaine dans lequel celle-ci n’est pas hyper à l’aise, c’est bien le sport en général, et le football en particulier. Le rapport qu’entretient Arte avec le football n’est évidemment pas le même que Canal +, TF1 ou M6. Pourtant, à y regarder de plus près, les choses ne semblent plus aussi simples que ça aujourd’hui.
Arte l’intello vs sport populo ?
Arte s’est longtemps traîné une image de chaîne « intello » , presque hautaine, préférant la qualité du contenu à la course à l’audimat, quitte à perdre en route les esprits qui refusent de « se prendre la tête » . Partant de ce principe, on comprend pourquoi le foot, souvent jugé par les élites intellectuelles françaises comme étant un sport fort peu fréquentable et au public louche, n’y a pas toujours trouvé sa place. « Je pense que les choses sont en train de changer, d’ailleurs les études qualitatives nous le montrent, corrige Alain Le Diberder, directeur des programmes d’Arte. On a moins cette image de chaîne hautaine aujourd’hui. Et quand on regarde notre public, on se rend compte qu’en gros, on capte un peu tout le monde, même si c’est sur un laps de temps plus court que des chaînes comme TF1 ou M6. » Pour ce qui est du football, si elle n’a effectivement aucun droit de diffusion des matchs, il serait excessif de dire aujourd’hui que celui-ci y est persona non grata. Mieux, sans aucun lien financier avec le monde du ballon rond et des diffuseurs, celle-ci se retrouve avec les mains libres pour traiter le sujet de la manière qui lui semble la plus pertinente. « Ayant travaillé pour d’autres chaînes, poursuit Le Diberder, c’est vrai que les enjeux financiers du foot sont tels que dans pas mal de médias – bon, pas vous à So Foot –, on ne peut pas dire ce qu’on veut. Mais ce n’est pas non plus parce qu’on le peut qu’il faut dire n’importe quoi. » Ni forcément tout le temps tirer à boulets rouges sur la boule noir et blanc.
Le patron des programmes s’explique : « Comme on n’a pas de droits de retransmission, qu’on n’est pas en train de négocier avec l’UEFA, la FIFA et compagnie, et qu’en plus, on n’a pas de pubs et donc pas de sponsors, on peut y aller. Alors oui, on pourrait le faire, on pourrait dire « Nike, c’est des salauds, ils font travailler des petits enfants, à la FIFA ils sont pourris », etc etc. On le fait de temps en temps, mais notre but, c’est de se creuser la tête pour profiter de notre liberté, tout en n’étant pas anti-football. Par exemple, on a fait un truc pas mal sur le numérique, ça s’appelleHors-Jeu, on a aussi un truc sur le foot et la politique, où l’on compare Merkel à Beckenbauer ou Hollande à Platini. Donc on fait des choses autour du foot, des choses indépendantes, et on essaye de ne pas être dans le crachat permanent. Disons qu’on accompagne l’Euro à notre manière. L’autre jour, on a diffusé Shaolin Soccer (rires)! Et puis, de toute façon, on ne serait pas crédibles si on allait au secours du succès du foot, parce que ce n’est pas chez nous que les gens le regardent. Ce qui ne veut pas dire qu’on a un public anti-foot ou anti-sport. Alors évidemment, on fait plus de sujets sur le dopage que des trucs à la gloire d’Usain Bolt, mais on va aussi faire par exemple un très beau portrait de Nadia Comaneci… Le sport a sa place à l’antenne, mais à notre façon. »
Hors-Jeu, Canto et Virage Nord
L’excellente web-série Hors-jeu n’est pas la seule façon qu’a eue Arte ces dernières années de parler du monde du ballon rond et de tout ce qui gravite autour. La série de documentaires Les Rebelles du foot, réalisée par Gilles Pérez et Gilles Roy et dont la figure de proue n’est autre que le King Éric Cantona en personne, est une preuve supplémentaire que la chaîne aux programmes loufoques , voire délirants une fois passé minuit, n’est pas engagée dans une politique de snobisme vis-à-vis du foot. « Déjà, Cantona, c’est un personnage pour nous, quoi !, se marre Le Diberder. Et à côté de cette série, il y a un truc qu’on a voulu monter, mais qu’on n’a pas encore réussi à mener à bien, c’était sur Sócrates, la politique et le foot au Brésil. » Alors oui, c’est sûr qu’Arte est à des années-lumière du duo (comique ?) d’imitateurs de M6, ou des interrogations autour du bras de Paul Pogba.
Il n’empêche, penser qu’Arte ait une peur viscérale du foot serait aller dans la mauvaise direction. Au contraire, il lui arrive même de se lancer dans des entreprises risquées. C’est le cas de la mini-série Virage-Nord, qui se déroule dans une petite ville ouvrière du Nord qui ne vit que pour le football, et mêle à la fois le thème du foot à celui du polar. « Bon, pour être tout à fait franc, ça n’a pas très bien marché. Ce n’était peut-être pas assez léger, réfléchit le directeur de la programmation.Le risque avec les séries courtes comme celle-là, c’est que, pour des questions de concurrence, si vous vous plantez le premier jeudi, après les gens ne reviennent plus. Mais on va refaire des trucs comme ça. C’est typiquement le genre de choses qu’on peut se permettre de faire, on est plutôt crédibles là-dedans. »
Blatter, Yolande Moreau et idée à la con
La politique de la chaîne en matière de foot est claire : l’originalité. C’est aller traiter un sujet sous un angle que personne n’a encore imaginé : « Chez nous, l’un des critères d’acceptation d’une idée, d’un projet, au-delà du fait qu’il doive parler à la fois au public français et allemand, c’est de ne pas se répéter. Un truc sur la FIFA, bon… On ne va pas dire 50 fois que Blatter ceci, Blatter cela… Les investigations sont souvent répétitives finalement. Donc voilà, la question c’est : « Qu’est-ce qu’on apporte de nouveau comme regard sur le foot ? » Car notre public, quand il vient sur Arte, c’est pour quelque chose de précis. Il vient ici parce qu’il veut une mise en contexte, il veut quelque chose qu’il ne trouvera pas ailleurs et donc, sur le thème du foot, c’est plus difficile. » Encore faut-il recevoir les propositions qui font mouche. Ce n’est pas, à écouter Alain Le Diberder, le problème central. « Pour des sujets comme ça, qui ne sont pas au cœur de notre métier, on reçoit des choses très ouvertes. En venant nous voir, les gens savent qu’on fait des bizarreries, comme par exemple Yolande Moreau qui a carte blanche pour couvrir la jungle à Calais. Donc les gens se disent : « Tiens, j’ai une idée un peu à la con, Arte c’est un endroit où on les accepte. » »
Le foot n’est donc pas un pestiféré chez Arte, et l’Euro est un événement festif tout a fait respecté : « L’Euro, au-delà des débuts ratés avec les hooligans, ça reste quand même un heureux Euro. Ce sont des scènes de liesse, de la fête, et tout ça, ça fait partie de la culture, comme les foules qui se pressent au Hellfest ou en Avignon. Elles ressemblent aux supporters qui sympathisent dans les villes de France. Les accolades, les apéros entre fans adverses, c’est aussi de la culture, et pour nous, le foot, c’est effectivement, plus encore que les autres sports, une clé de lecture ou une espèce de métaphore de nos sociétés. » D’ailleurs, à l’occasion de la demi-finale France-Allemagne, les employés de la chaîne qui sont basés à Strasbourg (50% de Français et 50% d’Allemands) vont pouvoir assister à ce choc des Titans tous ensemble, devant un écran géant, tout en partageant quelques saucisses arrosées de bière. « J’y serai, bien évidemment, se réjouit Le Diberder. Tout ça se déroule dans une très bonne ambiance. Mais ce qui est drôle, c’est que les gens se retiennent un peu parce qu’au moment des buts, tout d’un coup, l’amitié franco-allemande en prend un coup !(rires) »
Par Aymeric Le Gall