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Arsène Wenger au Bayern, la nouvelle épopée des années 2020
Niko Kovač étant devenu indésirable du côté du Bayern, voilà l'entraîneur croate remercié et le géant bavarois avec un banc vide. Ça tombe bien, Arsène Wenger est sur le marché et serait même le technicien en pole position pour prendre la suite. Voilà le Bayern bientôt parti pour dix ans de jeunes talents qui explosent, d'Invincibles et de désillusions dans la future select Ligue des champions.
« Il n’a aucune expérience du football allemand, il vient d’Angleterre. » Vingt-trois ans après la petite pique glissée par Sir Alex Ferguson en guise de cadeau de bienvenue à l’inconnu Arsène Wenger à la tête d’Arsenal, c’est Lucien Favre qui se charge cette fois de faire les présentations. La presse allemande, elle aussi, s’en donne à cœur joie. « Arsène warum ? » (Arsène, pourquoi ?) titre ironiquement Bild, bien décidé à montrer que le Bayern valait mieux qu’un entraîneur vieillissant et sans expérience du terrain depuis plus d’un an. Un avis partagé par une majorité de consultants et de supporters outre-Rhin, mais pas par les fans des Roten. Quand on a été habitué à déguster du caviar en entrée (Pep Guardiola, Carlo Ancelotti), mais qu’on vient retirer l’assiette pour amener du saucisson Cochonou (Niko Kovač) à la place, le retour au train de vie fastueux d’antan est accueilli comme la parousie. Avec Arsène Wenger dans le rôle du Christ, oui.
Naturellement, les joueurs aussi s’y retrouvent, eux qui ont si souvent chahuté Kovač pour son inexpérience du haut niveau et sa politique de rotation. Bien que chevrotante, la voix de daddy Wenger est plus respectée que celle de son prédécesseur. Après une année passée à faire le papy gâteux auprès de ses petits-enfants, le technicien de 70 ans se rend vite compte que ses nouveaux joueurs ressemblent étrangement à ses bambins. Passé les premières semaines à se faire marcher sur les pieds, Wenger décide de taper du poing sur la table en instaurant une discipline de fer. Thiago Alcântara en fait les frais : son « On n’est pas Arsenal ! » , lancé à la pause d’un Bayern-Düsseldorf sur le ton de la boutade (en référence à la punchline de James Rodríguez adressée à Kovač), ne passe pas du tout auprès de Wenger, qui met immédiatement son international à l’écart.
Tonton Wenger flingueur et « nouveaux Invincibles »
L’excès d’autoritarisme de trop dans un groupe habitué à dicter sa loi, et qui décide d’encaisser deux obscurs CSC lors d’un match de Pokal en guise de représailles. Contraint de passer son temps à faire la police, Wenger ne peut imposer sa patte sur le terrain et n’évitera pas une deuxième place synonyme de descente aux enfers derrière le surprenant Borussia Mönchengladbach. Mais comme il ferait mauvais genre de virer Wenger huit mois seulement après son arrivée, les dirigeants bavarois préfèrent rejeter la faute sur les joueurs et donnent les coudées franches au Français pour façonner le club à son image. Dans un immense fracas, Jérôme Boateng, David Alaba, et même l’immense Manuel Neuer – dont la langue était devenue trop pendue – sont priés de faire leurs bagages pour laisser la place à des profils plus lisses. Alban Lafont (Nantes), Nico Elvedi (Mönchengladbach) et Wendell (Leverkusen) font ainsi leur arrivée. Des recrues majoritairement estampillées Bundesliga pour respecter la tradition de pilleur domestique du Bayern, mais qui portent surtout la marque du bâtisseur Wenger, enfin libre de mettre en place ses principes de jeu dans un effectif acquis à sa cause.
Après quelques mois à ressasser ses vieilles recettes d’Arsenal (football offensif, pressing haut, passes courtes, mouvement autour du porteur), l’Alsacien se rend compte que ses principes ne font définitivement plus autorité. L’éternel étudiant français décide de passer à l’action en montrant qu’il a beaucoup bûché lors de son année de césure. Exit Alcântara au milieu donc, et place à un tandem Javi Martínez-Corentin Tolisso plus équilibré pour épauler Philippe Coutinho au cœur du jeu. Derrière, Wenger n’hésite pas à replacer Joshua Kimmich latéral droit à la place de Benjamin Pavard. Après des débuts balbutiants, et notamment une lourde défaite à l’Union Berlin (4-2), la mayonnaise prend. Libéré des tâches défensives, le trio Coman-Lewandowski-Gnabry a toute la latitude du monde pour enfoncer les défenses de BuLi. Les géants bavarois récupèrent ainsi leur dû devant le Borussia Dortmund, avant de se voir renommer Die neuen Unbesiegbare (les nouveaux invincibles) lors de la troisième saison, achevée sans une seule défaite au compteur et avec 18 points d’avance sur Wolfsburg.
Wenger, qui n’a pas la mémoire courte, se rappelle que sa saison des Invincibles de 2003-2004 coïncida plus ou moins avec le début de son déclin. Les premiers signes de lassitude commencent d’ailleurs à émerger avec une nouvelle bagarre entre Robert Lewandowski et Kingsley Coman, le premier n’appréciant pas que le dragster français lui vole son statut de Torjäger. Wenger décide ainsi de faire table rase et de commencer un nouveau cycle grâce à ses jeunes Alphonso Davies, Jan-Fiete Arp et Mickaël Cuisance, appelés à devenir les tauliers de l’effectif bavarois aux côtés de Samuel Umtiti et John Stones, débarqués au mercato d’hiver pour remplacer le flop Pavard et l’éternel blessé Lucas Hernandez. Lewandowski et Thomas Müller commençant à tirer la langue, Wenger recrute coup sur coup Marcus Thuram, Christopher Nkunku, Alassane Pléa et Jean-Philippe Mateta. Des Franzosen chers à Wenger qui finiront par pousser les monuments polonais et bavarois à la retraite, et qui porteront le Bayern vers ses trente-deuxième, trente-troisième et trente-quatrième titres de champions d’Allemagne.
Plafond de verre en C1 et rififi chez Robbery
Reste qu’à l’aube de l’exercice 2024-2025, les fans du Bayern commencent à se demander si on ne leur aurait pas survendu la marchandise. En cause : le nouveau plafond de verre qui touche les Roten en C1, pas fichus de d’atteindre un stade des demi-finales dont ils étaient pourtant des habitués depuis le début du siècle. L’effet Wenger ? En tout cas, les meilleurs Français de Bundesliga se révèlent bien trop tendres pour la nouvelle C1 version réformée, sans compter que Corentin Tolisso se refait deux fois les croisés avant les huitièmes de finale. Trop c’est trop pour Oliver Kahn, devenu président du conseil exécutif du Bayern, et qui décide de sortir l’artillerie lourde au niveau du chéquier. Leroy Sané et Jadon Sancho signent pour 210 millions d’euros chacun, suivis de près par Aymeric Laporte, Callum Hudson-Odoi et Gaetano Castrovilli, tandis que Miroslav Klose est licencié de son poste d’adjoint pour laisser le champ libre à Thierry Henry, lui-même épaulé par les revenants Franck Ribéry et Arjen Robben. La finale de C1 2026-2027 perdue contre l’Atalanta ne sera qu’un trompe-l’œil, les stars ne parvenant pas à s’entendre collectivement sur le terrain alors que les retrouvailles des anciens en coulisses virent en guerre des ego. Le pire est atteint lorsque les fans allemands commencent à refourguer au Bayern le surnom customisé de Leverkusen : « Bayerneverkusen » .
Ses énormes efforts financiers ayant échoué, le Bayern décide de mettre le pied sur le frein et revenir à une politique plus traditionnelle, incitant Wenger à faire ce qu’il sait faire le mieux : dénicher des pépites pour les faire progresser. Problème : l’ancien pilier du RC Strasbourg a maintenant pas loin de 80 ans et une vision qui commence à se brouiller. Les fans du Rekordmeister se lassent de son allemand toujours hésitant (peu étonnant au vu de son niveau d’anglais après 20 ans à Londres) et de sa propension à critiquer les nouveaux riches Hambourg et Cologne, ainsi que les plus récents RB Leipzig et Hoffenheim. Poussé dans les cordes, Wenger refait de la diététique son cheval de bataille, mais en bannissant la consommation de bière, puis en érigeant l’interdiction pour les joueurs de se rendre à l’Oktoberfest, le Français finit par se mettre toute la planète Bayern à dos. La goutte de trop après le deuxième titre de champion consécutif glané par le RB Leipzig d’Eduardo Camavinga.
Par Douglas de Graaf