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Arsenal, les enfants ont bien grandi
Dimanche (17h10), à Old Trafford, le champion en titre Manchester United reçoit l'une de ses victimes préférées, Arsenal, leader au visage séduisant et qui débarque avec le costume de favori. Une première depuis de nombreuses années. En cas de victoire dans ce qui sera sans doute un tournant majeur pour la suite de la saison, les Gunners enverraient un sérieux message à leurs concurrents en vue du titre.
Entre Manchester United et Arsenal, c’est plus qu’une simple histoire de suprématie. L’histoire respective des deux clubs, aussi singulière soit-elle, reflète également deux conceptions bien différentes. D’un côté, United, longtemps porté par un coach avide de succès qui a transmis cette culture de la gagne comme une nécessité. Prenant, parfois, le pas sur la manière. De l’autre, Arsène Wenger et son Arsenal chéri, qu’il a choyé et élevé contre vents et marées. Refusant, lui, de galvauder ses principes – des finances assainies et une volonté de pratiquer un jeu chatoyant – en dépit d’une armoire à trophées sacrément poussiéreuse désormais. Un motif à ramasser vanne sur vanne.
Notamment cette punchline cinglante de Patrice Évra, un soir de 5 mai 2009 où le club londonien se fait balayer aux portes de la C1 par son rival. « En général, quand tu gagnes, tu dis que tu as bien joué. Mais là, c’était onze hommes contre onze enfants. On n’arrête pas d’entendre qu’Arsenal, c’est le beau football. Mais en football, ce n’est pas le tout de bien jouer au ballon. Il faut gagner des titres. À Manchester, on joue bien au ballon et on gagne des titres. Même techniquement, si on regarde leurs onze joueurs et nos onze joueurs, on était meilleurs partout. » Au-delà de la haine viscérale que Évra voue aux « Baby Gunners » , le latéral gauche pointait là une réalité incontestable. À l’époque, les Red Devils marchaient sur l’Angleterre et l’Europe, tandis qu’Arsenal ne se gargarise que de son beau jeu. Quatre ans et demi plus tard, la donne semble être en passe de changer. Et Wenger de réussir, enfin, son pari du jeu et de la jeunesse.
Özil, cet impact player
« We’re top of the league » , pouvait-on entendre à l’Emirates Stadium, dimanche dernier après la victoire contre Liverpool (2-0). Un refrain qui tranche avec les habituels et incessants « Spend your fuckin’ money ! » qui résonnaient au sein de l’enceinte anglaise. Mais, pas totalement perdu dans sa foi aveuglante, tonton Wenger a enfin écouté ses supporters au mercato estival. À la seule condition qu’un éventuel transfert soit un « crack » à la plus-value effective. Ce crack, c’est Mesut Özil, recruté pour 50 millions d’euros. Une blinde. Indubitablement, l’ex-meneur de jeu du Real Madrid a illuminé de nouveau le jeu d’Arsenal. À coups de passes magiques (5 caviars en Premier League cette saison) et par cette facilité déconcertante à mettre ses compères dans de bonnes dispositions.
« Il a fait un cadeau à chacun en venant au club et sera la pierre angulaire de notre équipe. Quand vous regardez ses statistiques, les passes décisives ne sont pas une coïncidence, clamait Wenger en septembre. Cela reflète sa volonté de jouer vers l’avant. C’est un excellent joueur. » Cliff Bastin dans les années 30 et 40, Ian Wright dans les nineties, Thierry Henry dans les années 2000, puis désormais Özil. Comme si, dans son histoire, Arsenal avait nécessairement besoin d’un top player pour sublimer une somme d’individualités. Un collectif qui paraissait jusqu’à présent bridé par un manque patent de cohésion. Le mariage entre les plus beaux – anciens ? – losers de Premier League et l’international allemand sonne à vrai dire comme une évidence. Dans le 4-3-3 du coach alsacien, le milieu de terrain s’est parfaitement intégré. Et a, surtout, rendu aux Canonniers ce jeu léché accompagné d’une efficacité redoutable. Illustration même contre Norwich lors de la 8e journée avec ce bijou de Wilshere, inscrit au terme d’une merveilleuse action collective. De quoi définitivement arrêter de pleurer les départs successifs de Fàbregas, Nasri et dernièrement Van Persie.
Le succès des « Invincibles » dans le rétro
Le changement est tel que plus personne n’ose se foutre de la gueule de l’escouade anglaise. Pas même Patrice Évra. Avant le déplacement à Old Trafford, Arsenal fait d’ailleurs figure d’épouvantail face à un adversaire qu’il n’a pourtant plus battu depuis mai 2011. Une éternité. Mais au regard de la forme actuelle, le costume de favori n’a rien d’une incongruité. Les Gunners squattent la place de leader du championnat, cinq points devant Chelsea, et affichent le bilan ébouriffant de 8 victoires en 9 matchs (25 points glanés sur 30 possibles). Avec deux succès de marque contre Tottenham et Liverpool, le week-end dernier. « Ce rendez-vous contre Liverpool était vital. Si nous avions perdu, les gens auraient encore conclu qu’Arsenal ne savait pas gagner les matchs importants » , rappelait à juste titre le manager français à la fin de la rencontre. Cette embellie est à mettre au compte d’une formidable deuxième partie de saison 2012/2013, où le club n’avait connu la défaite qu’une fois en Premier League depuis le 23 janvier dernier. Une véritable dynamique de champion qui n’est pas sans rappeler celle des Invincibles de 2003/2004, sacrés en ne concédant aucune défaite…
Voilà que le projet tant répété, seriné, souvent méprisé, de Wenger prend peu à peu forme. Sa volonté de lancer de jeunes joueurs, longtemps décriée, porte aujourd’hui ses fruits. Symbole de cette jeunesse irrésistible : Aaron Ramsey. À 22 piges, le Gallois marche sur l’eau et ne tue plus personne quand il marque (10 pions toutes compétitions confondues). Plus que jamais, l’effectif semble avoir mûri. Grandi. Pour être aujourd’hui épanoui. Souvent jugée brinquebalante, la défense est devenue hermétique. Le milieu de terrain londonien, quant à lui, est simplement le plus fourni et talentueux du Royaume. L’attaque est peut-être l’unique secteur défaillant avec le seul Olivier Giroud, qui entend néanmoins faire partie des « dix meilleurs attaquants d’Angleterre » . Alors, et si c’était l’année d’Arsenal ? « Ces dernières saisons, on a toujours payé nos mauvaises entames avant de finir fort. Quelque chose a changé et on le sent tous dans le vestiaire, où tout le monde se sent plus fort, a lâché récemment Ramsey. La période de Noël sera encore cruciale, mais si, début janvier, on est dans la même position qu’aujourd’hui, alors, là… » Là, les Gunners ne pourront plus jamais se faire traiter d’enfants. Et regarder de haut, pour une fois, un certain Patrice Évra.
Par Romain Duchâteau