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Arrêtez de réclamer un projet de jeu : ça n’a jamais existé
Malgré la qualification, Didier Deschamps est dans l’œil du cyclone des esthètes du foot. Le sélectionneur national serait coupable de ne pas donner de « ligne directrice » au jeu de l’équipe de France, à la différence des autres. Mais de qui, en fait ? De personne, en réalité, puisque l’identité de jeu est une expression qui ne veut rien dire.
Et si le si souvent raillé Frank Lebœuf, pour son américanophilie, sa prononciation à l’anglaise de « Schweinsteiger » ou son interprétation d’un clinicien dans le biopic sur Stephen Hawking, était devenu avec le temps le meilleur consultant français ? Mardi soir, en tout cas, il était le plus lucide lorsqu’il a dû livrer son analyse post-match des Bleus, dans Le Vestiaire de SFR Sport. « On (la France, ndlr) n’a jamais eu d’identité de jeu. On a été champion du monde sans avoir d’identité. Nous sommes en quelque sorte les « bâtards » de l’Europe. On a pioché un peu partout, ce qui a fait notre force. Donc arrêtons de demander un style de jeu. J’ai l’impression que nous n’en avons jamais eu. C’était quoi notre style de jeu en 1998 ? » Ce à quoi Manu Petit a répondu : « Gagner les matchs. » Tout est dit.
Les hommes de Jacquet ont soulevé la Jules Rimet parce qu’il était impossible de leur marquer un but, et parce que la pièce est tombée du bon côté lors d’une séance de tirs au but. Pas parce qu’ils avaient « une identité » . Aimé Jacquet aurait été bien malin de l’ouvrir avant le Mondial domestique. L’imagine-t-on un seul instant dire « mon projet de jeu ? Que ce soient nos défenseurs et nos milieux défensifs qui marquent nos buts. L’idée directrice, c’est de mettre Lilian Thuram dans les meilleures dispositions pour qu’il puisse finir les actions. » L’ancien libéro de Chelsea vise donc juste. Mais il aurait pu aller plus loin et mettre fin au débat : l’identité de jeu, ça n’existe pas. Du moins pour le foot de sélection.
Varane : trois C1, mais trois fois trop tendre
Soyons clairs. Il ne s’agit pas de surévaluer la performance des Bleus au Stade de France : elle fut médiocre et en deçà des espérances. Y a-t-il moyen de mieux faire vu l’effectif ? Évidemment. Est-ce qu’il est plus facile de gagner un match en jouant bien ? Personne ne dit le contraire. Cette équipe de France a plein de lacunes, en premier lieu l’absence désespérante de vrais tauliers comme pouvaient l’être Desailly ou Deschamps sur le terrain en leur temps. Varane a trois C1 attachées au ceinturon, mais se révèle trop tendre lors du premier duel du match qu’il doit jouer contre un attaquant de CFA. Le fait que ce soit Hugo Lloris qui écope du brassard en dit long : c’est un très bon gardien, mais au palmarès désespérément vide. Mais demandez donc à tous ceux qui fustigent « le manque d’identité de jeu de l’équipe de France » d’expliciter leur pensée : ils ne savent citer autre exemple que des types d’un mètre soixante qui se font des passes et affichent 70% de possession. Le projet de l’Allemagne en 2014 ? Soyons sérieux : des défenses avec quatre centraux, Philipp Lahm au milieu en poule puis latéral à partir des matchs à élimination directe, Özil sur l’aile. Joachim Löw aussi a tâtonné avant d’exploser le Brésil.
L’ADN du Brésil 2002 ? Personne ne saurait le définir, pourtant les Auriverdes ont gagné. Tous ces gens qui réclament un concept fourre-tout totalement abstrait ont-ils oublié qu’avant de voir Zidane et les siens planer sur l’Euro 2000, il y eut des victoires arrachées aux forceps face à Andorre (1-0) ou l’Islande (3-2) lors d’une campagne de qualif’ médiocre effectuée avec le statut de maître du monde ? Et à l’heure actuelle, l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. La Belgique s’est promenée en éliminatoires, mais laisse tous ses supporters sur sa faim. Même chose pour l’Angleterre, qui enchaîne les purges et laisse le soin à son avant-centre de tuer les matchs. À part pour l’Espagne entre 2008 et 2012, bien aidée par le fait que toute sa colonne vertébrale évoluait dans le même club, dans une équipe archidominante qui plus est, l’identité de jeu est un concept qui n’a jamais existé en foot de nation.
Opération caméléon
En Russie, tout se jouera encore sur un poteau rentrant ou sortant, une erreur d’arbitrage, un but venu d’ailleurs. Comme d’habitude. Ce qui compte pour gagner un grand tournoi, c’est la fraîcheur physique, la force mentale et le karma. Pas faire aboutir des principes de jeu. Une Coupe du monde, ce n’est pas un championnat de 38 journées. Croire que c’est un projet de jeu qui fait pencher la balance lors d’une compétition internationale estivale relève de l’utopie. Donc autant le dire tout de suite, si « projet de jeu » n’est rien de plus qu’un synonyme de « jouer comme l’Espagne » . Pourquoi pas, mais il faut savoir que sur les 211 équipes nationales affiliées à la FIFA, 210 proposent un football différent de celui que l’on érige en référence – et qui a duré quatre ans.
Et puis, soyons francs : si cette équipe de France se mettait en tête de jouer comme la Roja, elle irait droit dans le mur. Elle n’a pas les mêmes points forts, pas d’ossature de club commune, et pas les gabarits pour le faire. Ou alors on décide de filer les clés du milieu des Bleus à Vincent Koziello et Maxime Lopez, mais alors il ne faudra pas bégayer lorsque l’on se fera marcher dessus par la Serbie en poules. Mais tout n’est pas perdu, il y a peut-être une meilleure solution : et si on disait que l’identité de jeu de cette escouade, c’était de faire le caméléon ? En plus, c’est nickel, ça réhabiliterait le surnom des « Tricolores » . Imaginons une équipe de France pragmatique, dont on louerait la capacité d’adaptation à tous les paramètres : adversaire, météo, astrologie, arbitre désigné, etc. Le voilà, notre style. Hop, fini les débats sur Didier Deschamps qui ne parvient pas à trouver la bonne formule devant, tout ne serait que circonstanciel. Allez, souriez un peu. L’équipe de France ira en Russie et va, pour une fois, regarder les autres s’entre-tuer en barrages.
Par Marc Hervez