- Euro 2020
Arrêtez de dire que les tirs au but sont « une loterie »
C’est devenu un refrain incontournable lorsque se dispute une séance de tirs au but. « C’est la loterie. » Le soir du match perdu par l’équipe de France, contre la Suisse, Raphaël Varane, Hugo Lloris et Didier Deschamps n’ont pas dérogé à la règle. Sauf que non, messieurs. Les tirs au but, c’est tout sauf une loterie, c’est le talent, la préparation, la compétence, la prise de risque, le duel psychologique. Il faut vraiment arrêter de dire que ce n’est que le fruit du hasard et la faute à pas de chance.
« Loterie. n.f. Jeu de hasard qui permet aux acquéreurs de billets dont les numéros sont tirés au sort de gagner des prix / Ce qui est régi par le hasard. » Voilà ce que dit le dictionnaire Larousse à propos de la loterie. Un jeu de hasard, donc. Or, voilà quelques années que ce terme est inexorablement associé à un exercice aussi excitant que dramatique : la séance de tirs au but.
Pas une seule séance ne se déroule sans qu’un commentateur, un consultant, un entraîneur ou un joueur ne le dégaine à un moment. Et ce France-Suisse n’a pas fait exception. Hugo Lloris après l’élimination : « C’est douloureux. Encore plus après une séance de tirs au but où ça devient de la loterie. » Ou encore Raphaël Varane : « Il y a eu du positif en deuxième mi-temps, mais ça n’a pas suffi. Les tirs au but, c’est la loterie ». Une défaite (ou une victoire) aux tirs au but serait donc uniquement le fruit du hasard ? Il faut arrêter de tomber dans la facilité et de tout justifier par la fortune.
Trop facile de dire que c’est le destin
Parce que non, non et encore non : une séance de tirs au but, c’est tout sauf une loterie. Il faut quand même rappeler qu’avant les années 1970, un score de parité sur un match à élimination directe se terminait vraiment sur de la loterie. On faisait tout simplement jouer les capitaines à pile ou face, avec le toss de l’arbitre et, dans les vestiaires, on déterminait le vainqueur. Là oui, c’était une loterie, c’était du hasard, c’était du 50/50, on gagnait ou on perdait seulement grâce ou à cause de la chance.
Et c’est parce que tellement de joueurs criaient à l’injustice, au dégoût ou à l’infamie que les autorités du foot décidèrent de mettre fin à cette organisation. Pour l’ancien sélectionneur de l’équipe de France Raymond Domenech, qui avait vécu des défaites sportives sur un pile ou face, c’était tout simplement inique. « Jouer une qualification à la pièce était dramatique, presque antisport. Un tir au but, au moins, implique un geste technique, une situation de jeu, comporte une dimension psychologique qui s’approche de ce qu’est la compétition.[…]Vous ne pouvez pas imaginer la souffrance de perdre sur un pile ou face, cela dépasse, et de très loin, toutes les autres défaites. »
Voilà pourquoi on ne peut pas dire, après ce qu’ont été les séances de pile ou face, que les tirs au but sont de la loterie. Le dire serait même hypocrite, faux et trompeur. Ça serait refuser la défaite et la justifier non pas par un manque de préparation, par une erreur ou un échec sportif, mais par les affres du destin. Trop facile et surtout absolument faux. Parce que, contrairement à ce que beaucoup voudraient croire, les tirs au but, ça se prépare !
On commence les tirs au but à l’entraînement
Toutes les dimensions sont à appréhender et à anticiper, à travailler, à réviser, de la dimension psychologique aux frappes, jusqu’aux anticipations des plongeons du gardien et des directions de frappes des buteurs. C’est l’ancien entraîneur du Dynamo Kiev, l’illustre Valeri Lobanovski, qui, dans les années 1980, fut le premier à imposer à ses joueurs une préparation millimétrée. Avant chaque match à enjeu, à élimination directe, des coupes nationales aux coupes d’Europe, il organisait des séances d’entraînement où il reproduisait absolument tout ce qu’on pouvait retrouver en match.
Il allait même jusqu’à demander aux jeunes des U21 jusqu’aux U14 de venir jouer les supporters, souvent violents et vindicatifs, avec fumigènes et tambours, histoire de rajouter une pression aux acteurs, et il faisait répéter la séance. Parfois, pour inciter à la performance, et ne pas entrer dans une routine inquiétante, il mettait en jeu des jours de repos supplémentaires ou des primes. Le but était de forcer les joueurs à se concentrer et à s’améliorer, à maximiser la réussite en cas de séance en match officiel. Et cela fonctionna. Sous la direction de Lobanoski, le Dynamo Kiev remporta la majorité de ses séances de tirs au but, un succès supérieur à la moyenne européenne. Pour l’économiste espagnol Ignacio Palacios-Huerta, auteur du livre L’Économie expliquée par le foot, c’est « une évidence qu’il faut travailler les tirs au but.[…]L’apprentissage et le contrôle permettent d’améliorer les compétences et de soutenir les résultats. »
Se préparer, la base
Le bonhomme a d’ailleurs justifié sa thèse à partir de l’étude du championnat argentin de 1988-1989 qui, en prévision de la Coupe du monde 1990, avait tout simplement arrêté le principe du match nul et imposé une séance de tirs au but en cas de score de parité, à chaque rencontre. Cela provoqua une augmentation de 9000% du nombre de séances et obligea les joueurs et les clubs à s’entraîner et à se préparer. En moyenne, 4 fois par semaine, contre moins de 3 fois par an ailleurs, dans les championnats anglais, allemand ou espagnol. Et les effets furent largement perceptibles. « Statistiquement, toutes choses égales par ailleurs, en bloquant les forces et les compétences des tireurs et des gardiens, les Argentins de la saison 1988-1989 affichaient un niveau d’expérience aux tirs au but plus élevé que les autres joueurs.[…]Pour réussir un penalty, pas la peine de boire du maté, il faut juste s’entraîner, et au moins 150 fois dans l’année. »
Chose que n’ont peut-être pas faite les joueurs français (contrairement aux Suisses qui avaient bossé les tirs au but la veille du match…). Pensant que cela n’était qu’une grande loterie, ils n’ont pas voulu se préparer à une séance de tirs au but et ont voulu tout miser sur le destin plutôt que sur la préparation, l’entraînement et la répétition. Et on connaît le résultat, une malheureuse élimination. Pour l’anecdote, rappelons qu’en 2006, 24h avant la finale contre l’Italie, en Coupe du monde, le sélectionneur français Raymond Domenech avait voulu organiser une séance de tirs au but à l’entraînement, avant de la suspendre manu militari après que David Trezeguet avait réussi une frappe magistrale en pleine lucarne. « On s’arrête là, demain tu dois faire la même chose », lui avait-il dit. On connaît le résultat…
Par Pierre Rondeau et Éric Maggiori