- France
- Municipales 2020
Arnaud Lécuyer : « Dans le vestiaire, j’essaie de ne pas être le maire »
Alors qu'en mars, les Français éliront leur maire, à Saint-Pôtan, dans les Côtes-d’Armor, Arnaud Lécuyer briguera un second mandat à seulement 34 ans. Également président de Dinan-Agglomération depuis 2017, il ne reste pas moins un membre actif du club de la commune. Licencié depuis ses dix-huit ans à l’AS Saint-Pôtan, le maire socialiste est un milieu gauche besogneux. Entretien gauche caviar.
Vous êtes maire de Saint-Pôtan, petite commune coincée entre Saint-Brieuc et Saint-Malo. Mais vous êtes surtout un enfant de la ville. Vous supportiez quelle équipe étant gosse ?Je suis supporter de l’En Avant de Guingamp, bien sûr. Pourquoi ? Par la proximité et parce que Lionel Rouxel, qui est de Saint-Pôtan, a fait les beaux jours de l’En Avant avec Stéphane Guivarc’h notamment. Aujourd’hui, il est sélectionneur de l’équipe de France des moins de 19 ans.
Vous alliez donc à Roudourou ?Ouais, tout petit, j’ai connu la butte de terre sur Roudourou. C’était peut-être dix ou quinze francs la place à l’époque. Je me souviens surtout de l’année où Auxerre vient gagner le titre. C’était en 1996, avec Guivarc’h et Charbonnier en face. J’essaie encore d’y aller le plus souvent aujourd’hui, et j’étais abonné à une époque, mais plus maintenant, même si je suis « kalon » . Je suis allé voir les premiers matchs cette saison, dont le tout premier contre Grenoble. Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu ça : une première très emballante et derrière, une deuxième mi-temps un peu minable où on finit par un 3-3 alors qu’on menait 2-0.
Le début de saison de Patrice Lair commençait bien mal…Oui. D’autant plus que Patrice Lair a joué une ou deux saisons avec mon père à ses débuts, à la fin des années 1970, quand il jouait à Plancoët. Ils étaient à l’époque en DH, et mon père était arrière gauche.
Votre père n’a pas suivi sa trajectoire ?
Je l’ai jamais vu jouer, j’étais trop petit, et il a arrêté assez rapidement. Mais les gens me disent qu’il aurait pu avoir une carrière un peu plus haute. Il avait un petit gabarit, à la Giresse. C’était plutôt un très bon joueur apparemment. Mais ce n’était pas génétique.
Vous n’avez donc pas songé à devenir pro ?Non, pas vraiment. Je crois que j’ai vite compris que mon talent footballistique était plutôt limité. J’ai… (il hésite) un bon pied gauche, mais malheureusement, je n’ai pas l’équivalent à droite. Donc ça a tout de suite été un handicap.
En revanche, la politique est vite arrivée dans votre vie…Oui, je me suis toujours intéressé à l’actualité, à l’histoire, et c’est vrai que c’est quelque chose qui m’a suivi depuis tout jeune. Puis j’ai eu la chance d’être élu député junior en 1997, une opération qui a encore lieu d’ailleurs, et que Philippe Seguin avait monté en 1994 quand il était président de l’Assemblée. Dans chaque circonscription de France, il y avait une classe qui siégeait et représentait la circonscription pendant une journée. J’ai toujours aimé la vie publique, et je me suis retrouvé élu au conseil municipal de Saint-Pôtan en 2008, avant d’être élu maire en 2014.
Le sport a été une des raisons de votre engagement politique ?Oui, mais surtout la vie associative. C’est vraiment ça le premier point pour lequel je me suis engagé dans les associations de ma ville. Que ce soit le foot, ou le club de tennis de table, dont j’ai été président pendant six ans. C’est surtout le combat associatif qui jalonne mon engagement.
Vous avez un rôle dans l’administration du club de Saint-Pôtan ?
Je suis juste bénévole. J’essaie de filer un coup de main quand je peux, notamment quand il y a des tâches à réaliser ou des bons plans à aller chercher. J’ai par exemple récupéré les bancs de touche du club de Dinan Léhon parce que je connais bien le président. On avait des trucs un peu déglingos (sic) avant, et maintenant on a des trucs dignes d’une équipe de National. On a presque trop de place.
Être entraîneur ou président de club, ça vous plairait ?Aujourd’hui, je pense qu’on a un bon entraîneur, donc je ne lui piquerai pas sa place. Mais dans l’esprit, pourquoi pas. Après, j’aime être sur le terrain, participer aux duels, et être au cœur du jeu. Quand on est entraîneur, sur la touche, ça doit être frustrant. Je préfère rester tranquillement sur le terrain. À la rigueur, j’aurais plus l’âme d’être dans l’instance dirigeante d’un club, et pas forcément dans des clubs de District. C’est pas un appel pour prendre la place de Bertrand Desplat, mais ça me plairait, car ça touche à tout : les ressources humaines, les finances, les aspects stratégiques. On est suffisamment sur de l’humain, car il faut gérer les salariés, les joueurs, les supporters. Avec des clubs d’un certain niveau, ça pourrait être intéressant.
Et en tant que supporter de Guingamp, mais aussi président d’une intercommunalité, vous pensez quoi de Bertrand Desplat ? Certains supporters l’adorent, alors que d’autres lui reprochent sa communication rurale exagérée. Il faut incarner ce qu’on dit, et ne pas surjouer les valeurs du club. Car effectivement, elles sont là d’elles-mêmes. Il faut qu’on ait aussi autre chose, il n’y a pas que l’image. Mais si on prend du recul, il a permis à Guingamp de progresser en faisant confiance à Jocelyn Gourvennec. Il faut se rappeler que la première saison de L1 ne remonte qu’à 1995. Il y a une assise solide, mais à un moment, le sportif va devoir se bouger un peu. Là, par exemple, je trouve ça bien de mettre Sylvain Didot et de lui faire confiance.
Et Noël Le Graët, qui a bretonnisé la FFF ?Les Bretons, on a une capacité à faire de la place pour les copains une fois qu’on est quelque part. Comme Le Drian qui jouait beaucoup la carte bretonne quand il était ministre de la Défense.
Et c’est vrai qu’à la Fédération, il y a pas mal de mecs qui sont bretons ou qui sont passés par Guingamp. Noël Le Graët est quelqu’un que j’admire. Il faut se rappeler où était le club avant son arrivée. Tout ce qu’il a touché, ça a presque réussi. En matière d’entreprise, il a monté un super groupe. Le club de Guingamp, il l’a repris en DHR, et l’a emmené en Coupe d’Europe. C’est vraiment l’entrepreneur dans le bon sens du terme, que ce soit dans la vie économique, politique ou sportive. C’est un sacré monsieur.
En tant que maire, vous avez des passe-droits dans le vestiaire ?Non, pas vraiment, justement. Dans le vestiaire, j’essaie de ne pas être le maire et je n’ai jamais eu de passe-droits.
Bien que l’entraîneur actuel, ce soit moi qui soit allé le chercher en 2016, c’est un super pote, il ne me fait pas de cadeaux ! Enfin pas plus qu’aux autres. Quand je suis remplaçant, ou que je vais jouer en B, car ça m’arrive, je le prends toujours avec le sourire. C’est le résultat de mes entraînements, ou plutôt de mes non-entraînements. Après, évidemment, certains joueurs me taquinent gentiment, et il y a quelques chambrages. Sur la qualité du terrain par exemple, sur tel ou tel aménagement pas fait dans la ville. Ou quand j’arrive en costume à l’entraînement.
Vos coéquipiers vont mettre votre nom dans l’urne en mars prochain ?Je pousse surtout au cul pour que tout le monde aille voter. Après, la moitié de l’équipe ne vote pas sur la commune, donc ils ne sont pas concernés. Mais oui j’espère qu’ils voteront pour moi, mais il n’y aura pas de promesses spécifiques pour le foot en particulier. Ils font la différence entre le joueur et le maire. Peut-être qu’ils vont apprécier le joueur, et pas le maire, ou l’inverse d’ailleurs. Je ne sais d’ailleurs pas si on a un match le jour des élections, car ça m’est déjà arrivé.
Vous arrivez à jongler avec les deux ?
Oui, car je prends mes tournées de permanence électorale de huit heures à midi en général. Je mange, je vais au foot et à la fin du match, vers 17h30-18h, je reviens pour fermer le bureau de vote et faire le dépouillement. En général, ça ne se passe pas trop mal. C’est une journée sympa, mais qui peut être stressante, donc j’essaie de m’échapper un peu.
Vous êtes quel type de joueur ? Un buteur ?Pas vraiment. J’en mets deux ou trois par saison, car je tire les pénos. Il y en a toujours trois ou quatre qui traînent par-ci par-là, donc je suis à peu près sûr de marquer. C’est pas le privilège du maire, mais c’est surtout que, pour le moment, je ne les loupe pas. Sinon, je joue plutôt milieu gauche, j’aime être dans le cœur du jeu. Je joue un peu sur mon physique, quoi ! J’aime bien être à la bagarre et j’aime les matchs compliqués, les matchs durs. Je marque souvent sur penalty et autrement, dans le jeu, c’est un ou deux. C’est toujours du pied gauche en revanche.
C’est donc pour ça que vous êtes de gauche ?Je ne pense pas. Mais je dis souvent que je suis gaucher de la tête, du pied, et du cœur. J’espère que, si j’avais été droitier, je serais quand même resté à gauche dans ma sensibilité politique. Je suis un pur gaucher quoi, j’écris de la main gauche, je joue au foot pied gauche et je raisonne aussi comme un gaucher.
Justement, le football est-il de gauche ?J’aimerais qu’il le soit, et que les valeurs qu’on porte à gauche se retrouvent dans le foot. Ce qui n’est pas toujours le cas.
C’est toujours compliqué. Je me mets à la place des joueurs, à qui on demande leur avis. Des gars comme Mbappé sont à cent mille lieues de tout ça. Ils bouffent du foot 24h/24, ils sont hyper conditionnés. Il doit y en avoir des joueurs qui s’intéressent à l’actualité, à la vie politique, mais ils ont des conseillers comm’ qui les poussent à ne surtout rien dire. Sur les chants homophobes ou racistes, peu de footballeurs se sont exprimés. Griezmann, mais peut-être parce qu’il a la stature qui lui permet de s’exprimer. Je trouve que les femmes sont beaucoup plus libérées de ce point de vue-là, dans leur parole et leur expression. Les revendications, sur l’égalité salariale, ça mérite d’être mis en avant. Donc si le football devait être de gauche, ça serait d’aller dans ce sens-là. On devrait pouvoir trouver un juste équilibre, et permettre à plus de joueuses pros d’en vivre.
Propos recueillis par Maxime Renaudet