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Arnaud Kalimuendo : « Mon père m’a transmis son exigence »
Arnaud Kalimuendo aurait pu attendre son heure sur le banc du Paris Saint-Germain, il a préféré lancer sa carrière en s'imposant au RC Lens, où il a été prêté ces deux dernières années, devenant même le meilleur buteur parmi les joueurs nés en 2002 parmi les cinq grands championnats (19 pions). Avant son dernier match de la saison avec l'équipe de France espoirs contre l'Ukraine, en Turquie, l'attaquant de 20 ans parle de travail mental, de ses modèles et assure qu'il se sent capable de jouer un rôle au sein de l'effectif parisien après avoir appris dans le Nord.
Tu viens de boucler une deuxième saison en Ligue 1 avec le RC Lens. Qu’as-tu appris pendant ces deux années ? J’ai déjà appris à appréhender les matchs d’une autre manière. Jouer en Ligue 1, ce n’est pas la même chose que lorsqu’on affronte des équipes de jeunes. Il faut mieux se préparer, mieux connaître son adversaire et très bien se concentrer pour pouvoir appliquer les consignes du coach.
En l’occurrence, c’était Franck Haise. Comment le définirais-tu en tant qu’entraîneur ?Pour moi, c’est un très grand coach en devenir. Il sait ce qu’il fait, il apporte beaucoup d’assurance aux joueurs. J’ai passé deux très belles saisons avec lui. Il m’a donné énormément de conseils, il m’a fait progresser dans mon jeu et il m’a tout simplement permis de me développer. Il est aussi très humain, très pédagogue. Ce qui est bien, c’est que l’on peut parler de tout avec lui.
Tu as terminé la saison avec un total de 12 buts marqués en L1. En avril, tu expliquais dans L’Équipe avoir connu un blocage au moment d’atteindre ton objectif initial de 7 buts. Comment cela se manifeste ? Dès février, j’avais inscrit le même nombre de buts en championnat que lors de toute la saison précédente (7). C’était un premier objectif atteint et ça m’a un peu bloqué au moment de passer ce palier. Dans ma tête, je ne pensais qu’à faire mieux, j’étais très exigeant avec moi-même. Il n’y a pas eu de doutes, mais ça ajoute une petite pression supplémentaire là où il ne devrait pas y en avoir. Puis, quand on enchaîne les matchs sans marquer, il y a de la frustration. Mais je n’étais pas inquiet, j’ai continué à travailler pour m’améliorer devant le but et je savais que ça allait finir par revenir.
Tu dis aussi avoir « appris à travailler mentalement ». Comment ?
En restant positif, surtout. Il faut se dire que les moments de creux peuvent arriver tout en comprenant que ça peut très vite tourner pendant un match. Ce qui était important, c’était de ne pas rester sur ce qui s’était passé avant. Je n’ai pas spécifiquement parlé de tout ça avec un psychologue ou un préparateur mental, c’était plutôt un travail personnel. Je me suis ressourcé auprès de ma famille, j’ai aussi des convictions personnelles, des croyances, qui m’ont permis de passer ces moments plus difficiles.
Il paraît que tu t’es également appuyé sur Teddy Riner, Tony Parker et d’autres champions pour te construire.J’aime beaucoup regarder des documentaires, on apprend beaucoup de choses quand on est sportif. Celui qui m’a marqué, ce n’est pas très original, mais c’est The Last Dance sur Michael Jordan. Je ne l’ai pas vu jouer, je ne l’ai pas trop connu, mais j’ai trouvé ça fascinant, son assurance et sa gestion de son image médiatique. Ce qu’il représente, c’est impressionnant. Même quand on est un jeune joueur de foot, on peut essayer de s’en inspirer, s’en imprégner. C’est bien d’avoir des références dans le foot, mais on peut aussi aller en chercher dans les autres sports.
Justement, quels sont tes modèles dans le foot ? Ronaldo, le Fenomeno. Je ne l’ai pas vu jouer, mais comme tout le monde, je l’ai vu sur YouTube. (Rires.) J’aime bien regarder ce qu’il faisait, j’adore son intelligence sur certaines actions. Il y a aussi Romário. Plus récemment, c’est surtout Benzema, Lewandowski et Suárez qui m’inspirent à mon poste.
Est-ce qu’on apprend davantage en jouant une saison pleine comme titulaire en Ligue 1 à Lens qu’en s’entraînant aux côtés de joueurs comme Messi, Neymar ou Mbappé au quotidien sans forcément jouer ? Je pense qu’on apprend dans les deux cas. Déjà, c’est une chance de pouvoir s’entraîner avec des joueurs comme Messi, Neymar, Mbappé… Quand tu vois ce qu’ils font à l’entraînement, ça te pousse à faire toujours mieux. D’un autre côté, la progression passe par la répétition des matchs, et rien ne peut remplacer l’expérience d’une rencontre. C’est important de jouer, ça permet aussi de gagner en confiance.
La vie dans le vestiaire, c’est la même à Paris qu’à Lens ? (Rires.) Il n’y a pas de grandes différences, c’est un vestiaire de foot ! À Lens, c’est un peu plus francophone donc c’est plus facile pour un joueur comme moi d’être ouvert, de parler aux autres, de communiquer. Mais à Paris, je me sentais bien aussi. D’un côté, tu as un vestiaire avec plein de stars ; de l’autre, c’est une équipe, un collectif. C’est sûr que ce n’est pas simple d’aller parler à Messi ou Neymar quand tu es un jeune de 19 ans (Rires.) Surtout que je ne suis pas du genre à faire le premier pas. Je parlais plus avec Kimpembe ou Colin (Dagba).
Tu as déjà fait deux saisons en prêt à Lens, pourrais-tu rempiler pour une troisième année là-bas ? Lens, ça restera comme ma maison. Je verrai, j’ai des ambitions, des objectifs personnels que j’ai envie d’accomplir. Jouer l’Europe, par exemple. Je suis jeune, je ne me ferme aucune porte, et on verra bien ce qui va se passer pendant le mercato.
Tu as un suivi et des contacts réguliers avec les gens du PSG quand tu es prêté ? Oui, oui, il y en a eu. Maintenant, il y a une réorganisation au niveau de l’organigramme, ce qui fait que je n’ai pas encore eu la possibilité de parler de la suite. Pour l’instant, je suis en sélection, on a un dernier match à jouer demain (ce jeudi à 18h45 contre l’Ukraine, en Turquie, pour finir la phase de poules des éliminatoires de l’Euro Espoirs 2023, NDLR). Puis je partirai en vacances, et on pourra discuter du projet autour d’une table.
L’été dernier, le PSG a contré l’option d’achat que voulait lever Lens pour te recruter définitivement. Aujourd’hui, ton contrat à Paris court jusqu’en 2024. Penses-tu avoir ta place ou tout du moins un rôle à jouer dans cette équipe ? Oui, je le crois ! Je connais mes capacités, je sais ce que je peux faire. J’ai fait mes deux saisons à Lens, ça a plutôt bien marché, on verra bien. Tout ne dépend pas de moi.
Ce n’est pas frustrant de voir par exemple le peu de temps de jeu de Mauro Icardi, un potentiel concurrent à ton poste, tout au long de la saison ? Est-ce qu’au fond, tu ne te dis pas que tu pourrais faire au moins aussi bien ? Non, pas du tout. Je n’y ai pas accordé plus d’importance que ça. J’étais plus concentré sur ma saison avec le RC Lens, nos objectifs collectifs. On a d’ailleurs fait une très bonne saison, j’ai également pu réaliser ce que je voulais faire d’un point de vue personnel. De mon côté, je suis tranquille, je ne doute pas.
Ce lundi, en Croatie, six joueurs formés au PSG étaient alignés titulaires avec l’équipe de France. Qu’est-ce qui fait que le centre de formation de Paris permet à de nombreux joueurs de s’exprimer au plus haut niveau ? Déjà, on connaît tous le vivier francilien, qui doit être un des meilleurs en Europe, si ce n’est dans le monde. Il faut aussi souligner la qualité des entraînements et du cadre de travail. On a tout pour progresser, avec aussi de bons éducateurs. Je retiens forcément Thiago Motta (coach des U19 en 2018-2019, NDLR), c’est celui qui m’a le plus marqué. C’est une personne très intelligente, il a su nous apporter son expérience professionnelle. Il nous a fait comprendre la différence entre le foot de jeunes et le foot d’adultes, ça nous a obligés à nous surpasser en suivant ses conseils.
En dehors de Presnel Kimpembe, peu de joueurs formés au PSG parviennent à s’installer durablement dans le onze parisien. Peut-on vraiment percer à Paris quand on sort du centre de formation ? Bien sûr que c’est possible ! Tu as cité l’exemple de Presnel, avant cela, il y avait aussi eu Adrien Rabiot. Tanguy Kouassi a également joué avant de partir. Chacun a son histoire, chacun a sa destinée, il faut surtout croire en soi. Après, les circonstances peuvent faire que des jeunes ne vont pas réussir au sein du club, mais je crois que ça reste possible, oui.
Moussa Diaby a répété qu’il avait eu besoin de sortir de sa zone de confort pour expliquer son choix de quitter le PSG pour le Bayer Leverkusen. Comprends-tu ce qu’il veut dire ? (Rires.) C’est sa propre histoire ! C’est sûr que ça change d’aller voir ailleurs, comme à Lens pour moi. Cela oblige à prendre en maturité plus rapidement. On a grandi au même endroit, avec les mêmes personnes, près de nos familles… En se retrouvant plus loin, on devient plus indépendants, et ça demande d’aller chercher ce qu’on désire. De mon côté, je me savais prêt à faire certains sacrifices, et ça m’a fait du bien de voir autre chose.
Ton père a été omniprésent dans ta jeunesse en te suivant sur tous les terrains. Quel est son rôle auprès de toi aujourd’hui ? Il est toujours à la même place. Je sais que je peux compter sur lui, il me soutient à fond. On forme une petite équipe avec mon frère, on est très unis avec ma famille. Ils sont importants dans mon épanouissement au quotidien.
Tu racontais que ton père t’emmenait tous les jours à l’entraînement. De quoi parle-t-on dans la voiture avec son papa quand on est un jeune adolescent ? On parlait de tout. Avant l’entraînement, c’était assez tranquille. Après, c’était un peu plus animé. (Rires.) Il essayait de me dire ce qui n’allait pas dans mon jeu pour que je puisse me perfectionner. Je me souviens d’un match remporté 6-2 dans lequel j’avais marqué cinq buts. Quand je suis rentré, j’étais content. Mon père a commencé par me féliciter, puis au fur et à mesure, il a basculé sur ce que j’avais mal fait. C’est sûr qu’à 12 ans, je n’ai pas tout compris, mais ça me faisait du bien quand même. En fait, je crois qu’il m’a transmis son exigence. C’est aussi ça qui m’a forgé, d’être constamment à la recherche de l’excellence.
Ne pas grandir dans une famille très aisée, c’est aussi marquant pour un enfant. Tu as des souvenirs de moments difficiles ? Oui, ça aussi, ça m’a construit. Là-dessus, j’ai un souvenir particulièrement marquant. C’est à l’époque où j’étais au PSG depuis un an, je jouais en U11. Je me souviens qu’on était garé sur la place de parking un soir au Camp des Loges, et mon père reçoit un message de ma mère. Il me dit : « Ah, ta maman, elle ne fait que de dépenser. » En gros, je comprends qu’elle n’a plus rien sur son compte en banque. Ma mère était femme de ménage, et mon père avait deux boulots : il mettait des articles en rayon à Leroy Merlin le matin, puis il travaillait à La Poste l’après-midi. Il faut se mettre dans le contexte de l’époque : je suis un garçon de 11 ans qui joue au foot pour le plaisir. Et à partir de ce moment précis où il me raconte cette histoire, je me suis dit qu’il fallait que je change cette situation. Je ne me suis pas mis en mode mission, mais je devais être celui qui allait aider ma famille. Je me suis promis de tout faire pour réussir. Je me le dis dans ma tête, hein, je le garde pour moi. J’ai juste envie de les rendre heureux.
Aujourd’hui, ta mission est-elle accomplie ? Les deux ont arrêté de travailler. Mon père a aussi voulu s’impliquer un peu plus dans ma carrière, et ma mère a arrêté d’être femme de ménage. Je suis content pour eux, ça me soulage, ils peuvent profiter maintenant. Mais je n’ai fait qu’une partie de ce que je voulais faire, ce n’est qu’une étape de franchie. J’ai d’autres choses à aller chercher sur le terrain.
À commencer par la qualification à l’Euro Espoirs 2023 dès ce jeudi soir contre l’Ukraine. Plus loin, il y aussi la perspective des Jeux olympiques 2024 à Paris auxquels tu pourrais participer. Qu’est-ce que cela représenterait pour toi ? J’ai toujours regardé les JO étant plus petit. Je me souviens de ceux de 2012, à Londres, on regardait Usain Bolt avec mon frère. On regardait toutes les courses. Il y a aussi eu le basket l’année dernière, les Bleus ont terminé à la 2e place. Ce serait incroyable de pouvoir partager une telle expérience avec plein de sportifs, diverses équipes, communiquer avec des escrimeurs, des nageurs, ce serait formidable. Ce sera une très belle fête pour la France à Paris, devant notre public. C’est quelque chose à vivre.
Propos recueillis par Clément Gavard