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Arnaques, crimes et Curva

Par Adrien Candau
Arnaques, crimes et Curva

Alors qu'il est avéré que la 'Ndrangheta, la mafia calabraise, a ses entrées au sein de la curva sud de l'Allianz Stadium de Turin, la commission parlementaire anti-mafia a dénoncé mi-décembre l'influence grandissante qu'ont prise des organisations criminelles parmi des franges ultras de clubs aussi emblématiques que le Napoli, la Lazio ou Catane. Des moutons noirs qui ont la main sur certains pans de la billetterie et peuvent engendrer une violence rare à l'intérieur comme autour du stade.

Lundi 22 janvier prochain, la curva sud de l’Allianz Stadium sera inhabituellement silencieuse. Une anomalie liée à une décision de la justice sportive italienne, qui a condamné la Vieille Dame à fermer temporairement le virage où se concentre la majorité de ses ultras. De quoi marquer le coup après le scandale qui a frappé le club bianconero. Un club dont la direction veille à ce que les associations de supporters reconnues bénéficient de billets en quantité. Mais qui a fauté, en procurant sans trop y regarder des billets à un groupe d’ultras affilié à la mafia calabraise, que ces derniers revendaient à des prix gonflés. Un petit arrangement parmi d’autres, qui vient nourrir les conclusions de la commission anti-mafia sur l’état du football transalpin. Un rapport long de cent pages, où elle fait l’inventaire des affaires qui ont ces dernières années souligné les liens existants entre les groupes ultras de plusieurs clubs et des organisations criminelles bien connues.

Les billets sales

Les récents ennuis judiciaires de la Juventus ressemblent en effet à un cas d’école dans l’élite du football italien, où certains ultras à la réputation sulfureuse ont la main sur une frange de la billetterie. Dans les curve napolitaines du San Paolo, des membres de la Camorra se sont fait une place de choix au sein de certains groupes ultras, afin de faire main basse sur le trafic de la revente de billets. Le procureur fédéral, Giuseppe Pecoraro, a tenté d’attaquer frontalement le problème début novembre, en auditionnant le président azzurro Aurelio de Laurentiis. Mais ce sont surtout les joueurs qui semblent susceptibles d’être mis en cause. Des photos et écoutes téléphoniques semblent suggérer que certains d’entre eux entretiennent des relations privilégiées avec des individus soupçonnés d’être affiliés à la Camorra, auxquels ils procureraient des billets pour les matchs du Napoli.

Rien d’étonnant, lorsqu’on écoute les témoignages d’ultras historiques du club comme Angelo, du groupe de la Masseria Cardone: « La Camorra est pleinement implantée dans nos tribunes… Notamment en ce qui concerne la billetterie. Les camorristes peuvent acheter des places pour un match et les revendre pour des sommes extrêmement élevées… La Juve a mangé publiquement son pain noir, mais ici, au Napoli, ce n’est pas beaucoup mieux. » Un mal qui n’épargne pas non plus les deux clubs phares de la capitale, la Roma et surtout la Lazio. Fin 2014, le procès « Mafia capitale » dévoilait que des leaders ultras de la Lazio comme Fabrizio Piscitelli, condamné en 2015 à de la prison pour avoir pris part à un trafic de stupéfiants en lien avec la Camorra, contrôlaient certains pans du merchandising et de la billetterie du club. Une anomalie que décrivait à la commission anti-mafia en juin dernier le président laziale Claudio Lotito : « Quand je suis arrivé à la tête du club, Piscitelli m’a fait comprendre les us et coutumes de tout le système de billets gratuits… Je n’ai pas donné ma permission, et mes problèmes avec les ultras ont commencé là. »

Gangster squad

Outre les irrégularités relatives à la gestion de la billetterie, la commission redoute aussi que l’influence croissante des éléments criminels en tribunes ne contribue à amplifier la violence au sein des enceintes sportives. À Catane, deux des leaders du groupe de supporters Irriducibili, affiliés à la mafia sicilienne, ont été condamnés en 2016 pour tentative d’extorsion sur le capitaine de l’équipe Marco Biagianti. Plus au nord, le Genoa est lui aussi affecté. La commission estime que « les modalités organisationnelles des ultras du club sont empruntées à celles des associations de type mafieux. » Elle rappelle ainsi les incidents que ces derniers ont provoqué face à Sienne, le 22 avril 2012. Ce jour-là, alors que le Griffon est en train de s’incliner quatre à zéro, entre 60 et 80 tifosi interrompent la rencontre en bombardant le terrain de fumigènes. Puis exigent des joueurs qu’ils enlèvent et leur remettent leurs maillots, dont ils sont jugés indignes. Ce que feront effectivement les principaux concernés, dans une scène complètement surréaliste.

Problème : si le constat est tiré, les solutions, elles, se font toujours attendre. Notamment pour assainir la gestion de la billetterie des clubs. « Les billets sont obligatoirement nominatifs depuis 2005, mais ça n’a pas réglé le problème. Ceux qui sont fournis aux ultras par les sponsors, les joueurs ou familles des joueurs ne le sont pas, et c’est ceux-là que la mafia fait transiter » , explique Gianluca Ferraris, auteur de Pallone criminale, un ouvrage qui revient sur les liens existants entre l’underground italien et une frange du mouvement ultra.

Les tentatives de combattre frontalement la violence qui gangrène les tribunes se sont révélées infructueuses, voire maladroites, à l’image des barrières mises en place en 2015 au stadio Olimpico pour séparer les groupes ultras des curve nord et sud de la Lazio et la Roma : « Ils se sont essayés au contrôle de foule à l’Olimpico, mais ça s’est révélé inefficace. Les ultras ont boycotté les matchs, et le stade sonnait creux » , poursuit Ferraris. Tellement creux que les pouvoirs publics ont récemment mis fin à cette séparation. La commission anti-mafia suggère, elle, de s’inspirer du modèle anglais pour combattre les violences, et même de créer des cellules à l’intérieur des stades pour emprisonner les supporters les plus virulents. Sans doute encore trop léger pour s’en prendre au cœur du problème : ces leaders de franges ultras qui ne peuvent pas s’empêcher d’entretenir des liaisons dangereuses avec la Camorra, la Cosa Nostra ou la ‘Ndrangheta.

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Par Adrien Candau

Propos de Gianluca Ferraris recueillis par AC, ceux d'Angelo repris de Vice.com

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