- Ligue des Champions 2013
- Victoire du Bayern Munich
Arjen Robben signe la paix germano-hollandaise
L’attaquant néerlandais a été l’homme de la finale, samedi soir à Wembley. Plus que le prix UEFA du « player of the match » et une revanche sur sa réputation de chat noir, Arjen a aussi rapproché un peu plus deux peuples aux relations footballistiques ambivalentes…
Arjen n’est plus maudit
Une vanne pas drôle pour commencer : Arjen n’est pas le footballeur préféré de Nelson Mandela. Pourquoi ? Parce que le vieux lion sud-africain et ancien combattant de l’Apartheid a passé 18 ans de sa vie, emprisonné à Robben Island… Plus sérieux : cette fin de saison allemande (Bundesliga) et européenne (C1) a rappelé que quand Robben était épargné par les blessures, il demeurait bien à 29 ans l’un des tous meilleurs attaquants de la planète. Blessé chronique et désespéré, il a avoué avoir failli mettre un terme définitif à sa carrière l’automne dernier… Homme de la finale samedi soir (passe dèce et but vainqueur), il avait déjà en grande partie coulé la Barça en demies. A l’aller, il fut impliqué dans trois buts, dont un pion perso (4-0), et au retour où il nous gratifia de sa spéciale : démarrage à droite, repiquage dans l’axe, enroulé inter gauche dans la lucarne opposée. Un truc hyper connu mais d’une exécution trop foudroyante pour que ça ne marche pas de temps en temps. Il faut aussi rappeler que le gars déjà hyper technique court le 100 mètres en 10.9 secondes, faisant de lui le footballeur le plus rapide du monde (ou pas loin).
Arjen a vaincu les blessures et profité de celle de Kroos pour revenir en grâce au moment crucial de cette fin de saison de tous les records pour le Bayern. Pas mal pour un mal-aimé au club, du fait de son jeu par trop perso par moments (ses mauvais choix, plutôt). Sur son but, il s’est même permis une apostrophe un peu revancharde adressée aux fans munichois à Wembley : « Was ?… Was ? » . Du genre, « Alors, quoi ? Vous dîtes quoi, maintenant ? » Cette saison, c’est aussi le danger Oranje qui a réveillé Robben : son numéro débile au dernier Euro (son tour du terrain pour contester son remplacement contre l’Allemagne, 1-2) ainsi qu’un rôle de remplaçant au Bayern ont fait baisser sa cote au pays. Or, le nouveau sélectionneur Louis van Gaal ne rigole pas avec la discipline de groupe et le statut de titulaire obligatoire en club, quitte à écarter des sénateurs comme Sneijder… ou Robben. Or, le Mondial 2014 arrive, alors Arjen s’est remis en cause au bon moment, en brillant avec les Oranje et le Bayern : aujourd’hui, il est carrément en course pour le Ballon d’Or. Pas favori mais dans la course…
Allemagne-Hollande : je t’aime, moi non plus…
L’autre événement symbolique important illustré par Robben, hormis le fait d’avoir été l’homme de la finale, c’est la nouvelle étape de rapprochement entre l’Allemagne et les Pays-Bas, deux pays marqués par l’Histoire, bien sûr, et par leur rivalité footballistique légendaire. Arjen Robben demeurera à jamais le Hollandais qui a donné sa 5ème Ligue des Champions au Bayern Munich, un club allemand. Une autre contribution néerlandaise forte avait déjà marqué les esprits dans les deux pays lorsque Schalke remporta la C3 en 1997 contre l’Inter aux tirs au but : c’est le Batave Huub Stevens qui cochait les « Nul Vier » . L’immense Roy Makaay avait aussi laissé une empreinte marquante lors de son passage au Bayern (2003-2007), tout comme l’immense Van Bommel, devenu même capitaine du club bavarois (voir article sofoot.com, MVB la fin d’un très grand). Le doublé de 2010 ainsi qu’une finale de C1 contre l’Inter (0-2) a soldé le bail de Louis van Gaal (2009-2011) sur un bilan positif. Même controversé, van Gaal a gardé la sympathie de Uli Hoeness (l’inverse n’est pas vrai). Louis a surtout lancé et révélé Thomas Müller et Badstuber, tout comme il a avantageusement reculé Schweinsteiger en milieu défensif… Aujourd’hui, outre Robben, une petite douzaine de Néerlandais jouent en Bundesliga, dont Luuk de Jong (M’Gladbach), Bruma et Van der Vart (Hambourg SV), Afellay et Huntelaar (Schalke 04), Elia (Werder Brême) ou Bas Dost (Wolsburg). Mais c’est Arjen Robben qui a fait décrocher le Graal de la C1 pour un club allemand.
Cette C1 2013 est bel et bien une étape nouvelle du processus de « réconciliation » entre les deux pays amorcé curieusement lors de l’Euro 1988, quand les Oranje avait éliminé l’Allemagne en demies à Hambourg (2-1). Une victoire cathartique en forme d’exorcisme de 1974 et de l’Occupation nazie, comme nous l’avait expliqué le grand essayiste néerlandais Henk Pröpper : « Pour nous, cette victoire en demi finale, qui était plus importante que gagner l’Euro, c’est tout simplement la fin de la seconde Guerre Mondiale. C’est très lourd de sens : 1974 avait été une immense déception, parce que notre équipe était vraiment la meilleure (sic) mais on a perdu. C’était une deuxième « défaite » face à l’Allemagne au cours du 20ème siècle. Ca a énormément pesé sur nos esprits. Quand nous avons gagné contre les Allemands, ça été comme se libérer d’un coup d’un lourd fardeau…Dans la foulée, ça a créé l’envie de renouer des liens nouveaux avec eux. Depuis, même les enfants ne parlent plus en mal des Allemands…Tout ça, on l’a mis de coté et changé notre vision négative de « l’Allemand » . Qu’on ne s’y trompe pas : le ressentiment envers l’Allemagne n’a pas totalement disparu aux Pays-Bas, loin de là. Mais depuis 25 ans, les deux pays se chambrent avec plus d’humour. Il faut voir toutes les pubs marrantes qui font allusion au foot entre les deux pays : c’est devenu un exercice de style obligé de part et d’autre du Rhin… Plus globalement, depuis l’Ajax et 1974 l’Allemagne est fascinée par ce foot hollandais, un si petit voisin qui innove sans cesse et produit des cracks mondiaux à la chaîne. Joachim Löw suit toujours de près ce qui se passe dans le foot néerlandais : formation des jeunes, évolutions tactiques, émergence de nouveaux joueurs en vue… Même Jürgen Klopp avait récemment rendu un hommage sincère à « l’école Ajax » et à son poursuivant, Frank de Boer.
Johan Cruyff, coach du Bayern ?
Le tropisme néerlandais du football allemand renvoie inévitablement à l’affrontement classique entre Ajax et Bayern… Déjà, la finale du Mondial 1974 RFA vs Pays-bas (2-1), c’était en gros une rencontre entre Amsterdam et Munich. La revanche de Beckenbauer sur Cruyff après le quart de finale humiliant de C1 1973 où son Bayern avait été trashé 4-0 au stade de Meer. Détail marrant, le grand Ajax seventies avait un libéro allemand : le grand Horst Blankenburg (1970-75) ! Un talent immense mais barré en Mannschaft par le Kaizer lui-même… On peut ajouter que Rainer Bonhof, un des bourreaux des Pays-Bas en 1974 avait des origines hollandaises. Mais revenons au duel Ajax-Bayern ! En novembre 1978, Johan Cruyff eut la bonne idée de fêter à Amsterdam son jubilée avec son Ajax contre le Bayern de Beckenbauer. Une sale idée… Car le Bayern prit ce match de gala comme une finale de Coupe du monde et l’emporta 8-0, avec un quadruplé de Gerd Müller ! Une humiliation totalement inconvenante qui scella une haine éternelle entre Johan et Franz ? Pas vraiment…
Car les deux géants du foot européen se sont toujours voués une admiration réciproque. Déjà, ils s’étaient retrouvés aux USA où ils avaient joué ensemble quelques matchs au New York Cosmos. L’expérience aurait pu se prolonger mais Cruyff trop gourmand financièrement préféra aller jouer aux LA Aztecs puis au Washington Diplomats (1979-81). L’admiration réciproque entre Johan et Franz prit un tour inattendu en décembre 1999. Pour le super Ballon d’Or de tous les temps, France Football questionna tous les lauréats de ce trophée afin qu’ils élisent leur « champion des champions » . Pelé gagna haut la main face à Maradona et Cruyff. Si Beckenbauer vota comme le palmarès final, Cruyff mit le Kaizer en premier, puis Platini et Van Basten… Plus tard Johan révélera que son ami Franz l’avait contacté en vain pendant des années (décennies 80 et 90) pour qu’il vienne entrainer le Bayern. Le chèque était quasi en blanc : Cruyff n’avait qu’à fixer le prix… Finalement, Cruyff resta fidèle à son engagement de n’entraîner qu’au Barça, au soleil de Catalogne (plutôt qu’aux brumes de Bavière). Cruyff refusa même des ponts d’or du monde entier, dont le Real… Comment ne pas voir que la venue de Pep Guardiola au Bayern cette année, c’est un peu en filigrane le vœu de Beckenbauer exaucé rétrospectivement par Hoeness et Rummennige ? Comme pour Beckenbauer avec Cruyff, Uli & Kalle souhaitaient Pep pour faire évoluer la philosophie de jeu du Bayern. Dans une interview de El Tiempo du 1er mai dernier, Guardiola (déjà « nommé » coach du Bayern) avait rendu un hommage appuyé à Cruyff, son mentor, pour avoir été le bâtisseur du Barça moderne. Le fils spirituel de Cruyff coachera donc le Bayern : la boucle germano-hollandaise via le Barca est bouclée ? En tous cas, ça se fera a priori sans Robben qui n’entrerait pas dans les plans du Pep… Ca se comprend, connaissant les principes de jeu du technicien catalan. Dommage quand même : le foot moderne aura plus que jamais besoin des grands joueurs de rupture comme Arjen…
Chérif Ghemmour