Argentine-France : aux Chiants-Élysées !

« Je sais que je suis venu pour rien, mais je suis quand même déçu. » Campé contre l’arrêt de bus de La Boétie, le regard dans le vide et une tunique bleue floquée Mbappé sur le dos, Valentin, 23 ans, avoue traîner sa peine, tout seul depuis un bon quart d’heure : « Mes amis ne sont pas tous venus, forcément, et puis ceux qui étaient avec moi sont restés à peine dix minutes avant de partir. Ils ont vu comme tout le monde qu’il n’y avait rien à voir. » Il est 19h26 sur la plus belle avenue du monde. La France a laissé son trône à la bande à Messi depuis une petite demi-heure, et la détresse se lit sur tous les visages. Il n’y aura pas de fête ce dimanche soir et se balader sur les Champs-Élysées devient rapidement très pénible.

« A strange atmosphere »

« On ne va pas se mentir, on aurait pu passer une soirée plus mouvementée. Là, ça va être chiant jusqu’au bout de la nuit. On est déçu du résultat, on peut attendre longtemps avant d’avoir des instructions, il n’y a pas d’ambiance et il y un temps de merde. » Derrière son casque, le CRS parqué sur l’avenue Montaigne tire la tronche. « En plus, certains de nos collègues ont le droit d’avoir leur téléphone. Nous, on s’est fait chier avec Jano Resseguié. » Pour le coup, 2850 policiers, c’était beaucoup trop. Pour éviter tout débordement, le ministre de l’Intérieur avait mis en place un dispositif renforcé autour des Champs-Élysées, fermés à la circulation. Par précaution et pour plus de sécurité, toutes les bouches de métro qui menaient à la célèbre avenue parisienne étaient fermées. « Après, vu qu’il ne se passe rien, tout pourrait reprendre d’ici une heure », confie un des membres des forces de l’ordre, debout sous un store d’un restaurant libanais avec trois de ses collègues.

Un peu plus haut sur le rond-point de l’Étoile, rien. Et les premiers à en être déçus sont les journalistes, venus des quatre coins du monde pour assister aux festivités, en vain. « On s’attendait à ça, témoigne une journaliste australienne de la SBS, arrivée avec le caméraman de la chaîne après le deuxième but argentin, c’est normal qu’on n’ait pas grand-chose à raconter, mais on ne va pas se plaindre. On a vécu des choses très sympa ici ces dernières semaines. » Professionnelle jusqu’au bout, l’envoyée spéciale nous demande de nous écarter avant une prise d’antenne, sautille pendant une bonne minute sur elle-même pour se réchauffer, et se lance : « C’est une étrange atmosphère ici. » Léna et Ambryne, deux lycéennes au maquillage bleu, blanc, rouge sur les joues, sautent sur l’occasion pour passer à la télévision. « Booou Messi, vive Mbappé ! », scandent elles derrière la journaliste avant de s’arrêter à notre micro : « Voilà, c’était le seul moment rigolo de la soirée. Là, on a beaucoup trop froid, alors on va rentrer, et voilà hein… » Les bras ballants, en traînant légèrement des pieds, les deux filles se tournent vers la place de la Concorde et continuent leur chemin.

La marche de la peur

20h21. « La circulation va reprendre dans dix minutes. Quittez immédiatement la route et regagnez les trottoirs. » Par trois fois, ces consignes des forces de l’ordre résonnent de leurs gros camions, parqués sur chacune des voix croisant l’avenue des Champs-Élysées. Comme la fermeture d’un parc d’attraction inanimé, les quelques centaines de supporters remontent la rue vers l’Arc de Triomphe, poussés par les CRS qui demandent à tout le monde de se rendre vers le monument pour emprunter les sorties. Pas un chant, pas de pétard ni de feux d’artifice. Les forces de l’ordre s’alignent et poussent tout le monde vers les rues adjacentes au rond-point.

Un « viva Argentina » se fait entendre dans le calme froid. En vacances à Paris, Angelina est une des seules à fêter le succès de l’Albiceleste. Accompagnée de deux autres copines, la supportrice se met rapidement à scander l’hymne du pays avec un drapeau bleu et blanc sur le dos. « On a passé une trop bonne soirée et là, on va faire quelques photos avant de partir. On veut immortaliser ça. » Le contraste à côté de cette joie est prenant. Autour de ces trois championnes du monde, les autres continuent de marcher. Certains se regardent, sans décrocher un sourire. D’autres ont la tête baissée et affichent une immense détresse. « Mets ta capuche, il pleut chef ! », lance un père de famille à un adolescent qu’il croise dans la foule. « Perdu pour perdu hein, je m’en fous d’être malade », répond le jeune supporter, triste. Une fois arrivé en haut de l’avenue, les voitures et deux-roues commencent à reprendre leurs droits. Les premiers camions de police quittent les lieux sans même allumer les gyrophares. Même eux n’ont pas voulu briser l’accalmie.