- Mondial 2022
- Quarts
- Pays-Bas-Argentine (2-2, 3-4 TAB)
Argentine : des corps sains dans des esprits malades
Le match renversant duquel est sortie vivante l'Argentine en est la preuve : Lionel Messi et ses petits copains ont un mental qui est autant leur force que leur faiblesse. Le contrôle de ces émotions sera donc le grand défi de Scaloni, s'il veut emmener l'Albiceleste sur le toit du monde.
Omar da Fonseca en est encore tout secoué. Maillot au flocage apparent sous la veste de costume et le regard perdu sur les céramiques du stade de Lusail, le consultant messien numéro 1 en mordille encore ses lunettes et laisse les hinchas donner de la voix que lui n’a plus.« Ce n’était pas pour les cardiaques ce match, souffle-t-il, sans savoir qu’un journaliste est décédé après avoir fait une attaque cardiaque dans les tribunes en fin de rencontre. Je n’arrive toujours pas à comprendre ce qu’il s’est passé dans les vingt dernières minutes du temps réglementaire. Pourquoi Scaloni fait sortir Romero, son meilleur joueur de la tête, quand les Néerlandais font entrer leurs grands De Jong et Weghorst ? C’est n’importe quoi. » « N’importe quoi » , c’est bien l’expression. Ce Pays-Bas-Argentine, commencé sur un faux rythme, puis négocié avec a propos par les Argentins, leur a filé entre les doigts pour offrir finalement à cette Coupe du monde 2022 son premier match de légende. Au bout de cette séance de tirs au but, ce sont tout de même les Sud-Américains qui pourront plonger dans une nuit de délices. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : si l’on pourra ouvrir la boîte à souvenirs avec plaisir dans quelques années pour se délecter à nouveau de ce scénario dingue, c’est en partie grâce à l’abnégation néerlandaise, à la gestion nerveuse de M. Mateu Lahoz, mais surtout à cause du grand huit émotionnel par lequel sont grimpées les têtes albicelestes. Le caractère est censé être une force. Il s’est transformé en un marchepied pour des Néerlandais qui ne demandaient qu’à voir la calèche argentine se renverser.
Attention, Pulga méchante
Ce manège, ce sont les Argentins eux-mêmes qui l’ont monté, à force de pichenettes, de tacles acérés, de langues bien pendues. Cette agressivité et ce vice, portés au rang d’art par Cristian Romero, Rodrigo de Paul puis Leandro Paredes – avec pour pic le moment où l’ancien Parisien a shooté délibérément le banc hollandais –, s’est transmise à tous les acteurs du match, jusqu’à Lionel Messi. Alors qu’il avait jusqu’ici fait taire tout le monde par sa technique (une passe cachée magnifique pour servir Molina, un penalty transformé, et tout le reste), le capitaine a adopté un comportement assez inhabituel. On l’a ainsi vu demander à Van Gaal de fermer son bec, lancer au double buteur Wout Weghorst un incisif « Qu’est-ce que tu regardes, imbécile », alors qu’il devait répondre à une interview, ou encore faire part de ses doutes sur la qualité de l’arbitrage.
Une attitude qui contraste avec le portrait que Javier Pastore dressait de lui, il y a quelques jours pour So Foot : « Messi a toujours été un leader, mais tout le monde ne le démontre pas de la même façon. Parfois, tu arrives dans des groupes où l’on te demande d’être démonstratif, tandis que dans d’autres, on veut juste que tu montres la voie sur le terrain et que tu ne te caches pas. Tu n’as pas besoin de crier partout pour être un leader.[…] C’est son visage pour jouer au foot. Maintenant, tout le monde a compris que Messi, il est comme il est et basta. Il est comme ça sur le terrain, dans les vestiaires, dans la rue. C’est sa manière d’être. » Contre l’Australie, on avait déjà vu Leo se départir de son flegme naturel pour embrouiller Aziz Behich, dont l’énervement après un effet de dominos lui avais permis d’ouvrir le score. Bien loin de l’homme mutique du Parc des Princes.
La tartine tombe cette fois du bon côté
Si même Messi arrive à être transfiguré à ce point par l’enjeu, cela prouve la mission dans laquelle s’est embarquée la Scalonetta. Les hommes de Lionel Scaloni veulent amener leur leader jusqu’au bout et, si leur équipe n’est peut-être pas la plus talentueuse, la prestation du soir comme la démence de leurs supporters prouvent combien cet objectif les met dans un état second. Le propre de la folie est d’être insaisissable. Pourtant, elle a fini par se ranger du côté albiceleste en fin de match. Ni les échecs d’Enzo Fernandez ou de Lautaro Martinez en prolongation ni les mêlées générales n’avaient plus d’importance : c’est dans une surface transformée en ring que s’est déroulée la séance de tirs au but. Moment choisi par l’Argentine pour dévoiler son boss final, le plus cinglé de tous, Emiliano Martinez. Un type capable de regarder son vis-à-vis droit dans les yeux avant de lui tendre la main et de lui envoyer un nom d’oiseau. Tout ce qu’il faut pour entrer dans la tête du tireur. Les Néerlandais étaient peut-être trop sains pour avoir le courage de faire de même, au risque de voir tout le bordel qu’il y a sous les crânes argentins.
Par Mathieu Rollinger, à Lusail