- Disparition de Diego Maradona
Argentine-Belgique 86, le vrai chef-d’œuvre de Maradona
Oubliez le quart de finale contre l’Angleterre (2-1), la main de Dieu et le but du siècle. Le vrai chef-d’œuvre de Diego Armando Maradona, c’est son doublé inouï réussi contre la Belgique en demies. Voici pourquoi...
« Avant le premier match contre la Corée du Sud, nous doutions de nous, nous n’étions pas persuadés que nous pouvions battre cette équipe, alors qu’avant la finale contre l’Allemagne, nous n’avions plus aucun doute de notre victoire. » Signé Jorge Valdano ! Dans Maradona d’Alexandre Juillard, le porte-flingue de Diego impute la métamorphose de l’Albiceleste au Mundial 1986 à deux facteurs principaux : à l’équipe elle-même et au Pibe, « car il nous a permis d’élever notre niveau de jeu et de nous transporter dans une autre dimension. » Magnéto, Serge !
Chevaucher la Pampa…
Il est 16h au mythique stade Azteca de Mexico où le fantôme de Pelé plane encore au-dessus de l’Italie. Au coup d’envoi, Diego encourage d’un poing rageur tous ses coéquipiers, ceux qui sont sur le terrain et les autres massés sur le banc. « Être champion du monde, être champion du monde » : depuis que la Selección a débarqué au Mexique, Diego galvanise ses troupes à chaque instant pour les faire tendre vers l’unique accomplissement : le titre suprême. Après les matchs de poule, l’Argentine a sorti l’Uruguay en huitièmes (1-0), puis l’Angleterre en quarts (2-1). Deux matchs exceptionnels. Pour Marado, la victoire contre l’Uruguay reste le chef-d’œuvre de sa carrière, et pour le monde entier, ses deux buts contre l’Angleterre, l’un diabolique de la main et l’autre divin en long raid solitaire, l’ont inscrit au patrimoine mondial de l’humanité. Diego peut-il monter encore plus haut ? Contre l’Uruguay et l’Angleterre, le Pibe était d’abord en mission. Remporter le derby de la Plata face au voisin « honni » , puis venger son pays de la défaite militaire des Malouines contre les Anglais avaient transcendé le célèbre numéro 10. Face à une surprenante Belgique, malgré la pression de l’avant-dernière marche, Diego redevient simplement footballeur, plutôt que bon soldat. Libéré des contingences politico-historiques, Diego est libre dans sa tête… Il a maintenant fait cesser pour de bon les dissensions au sein de l’Albiceleste minée au départ par la mise à l’écart de l’immense Daniel Pasarella, capitaine déchu au profit d’El Diez…
Au moment d’affronter les « Diables » , Diego n’ignore pas que son but extraordinaire face à Albion a été entaché de cette main de Dieu sur le second qui le fait aussi passer pour un tricheur. La page blanche de cette demie reste à écrire, et il le sait, trépignant comme un pur-sang impatient de chevaucher la Pampa. Alors place au jeu, à l’art et à l’inspiration ! Durant 90 minutes, Diego est partout sur le front de l’attaque, dans l’axe et sur les côtés. Le coach Carlos Bilardo a confié à Jorge Burruchaga le rôle de meneur de jeu, permettant à Maradona de jouer un peu plus haut, en électron libre. Mais c’est bien lui le boss, qui attire le ballon, oriente le jeu et mène les offensives dans la moitié adverse. D’une énergie inépuisable, il attaque, relaie ou relance au loin. Et il défend comme un forcené, taclant et récupérant pas mal de ballons. Incassable, le petit colosse surpuissant se relève après chaque tampon ou coup de cisailles acérées ! Pour fluidifier le jeu, Diego peut compter sur ses deux pieds : l’inter gauche et l’exter gauche. L’Argentine domine, mais la Belgique ne plie pas. À la mi-temps sifflée sur le score de 0-0, Diego s’emporte auprès de ses compagnons : il ne faut pas laisser les Belges s’enhardir, vu qu’ils commencent à croire à l’exploit !
Génie répétitif napoléonien…
Alors, Jorge Burruchaga va se mettre au diapason de son capitaine dès la 51e. Par mimétisme gestuel, c’est d’un exter, comme Marado, qu’il sert son numéro 10 parti dans l’axe profond de la surface belge, chargé par Daniel Veyt et Stéphane Demol. Et c’est d’un exter gauche filou que Diego expédie le cuir dans le but de Jean-Marie Pfaff sorti imprudemment : 1-0 ! Le stade Aztèque vrombit au son des énormes tambours des hinchas argentinos. Sur ce but, la relation quasi télépathique Burruchaga-Maradona ravive la magie brésilienne de Mexico 1970, quand Pelé servait Carlos Alberto en passe aveugle pour le but du 4-1. On sent que quelque chose de grandiose est en train de se produire. Et le grandiose arrive ! À la 63e, le défenseur José Luis Cuciuffo relance dans l’axe vers Diego situé à 30 mètres du but adverse. Prise de balle du pied droit en position trois quarts face et coup d’œil périphérique furtif devant lui : ils sont quatre défenseurs regroupés devant la ligne des 16 mètres, Stéphane Demol, Georges Grün, Patrick Vervoort et Éric Gerets, un peu détaché en retrait. Un troupeau apeuré qui recule, recule face au prédateur qui avance, qui avance. Le « mur défensif » se fissure d’abord dans les têtes plus que dans les jambes avant de s’écrouler de lui-même !
En six secondes et six touches de balle du gauche, Diego se faufile entre les ruines, s’excentre sur la gauche et décoche à huit mètres un jet de venin létal qui envoie Pfaff au tapis : 2-0 ! Au moment où le ballon fouette les filets, Diego est emporté par son élan, funambule cosmique en équilibre instable, sur le point de tomber à terre. C’est le plus beau moment de cette réalisation : cette fin de course comme un sprint final où l’athlète « casse » sur le fil. Diego en cavale a encore échappé aux forces de l’ordre défensif, sans tomber… Maradona vient de signer un doublé de buts du siècle ! « La répétition est la plus forte des figures de rhétorique », écrivait un autre grand numéro 10, Napoléon Bonaparte. Et l’empereur ne parlait pas seulement de l’art de discourir, mais bien aussi de génie stratégique, lui qui répétait les grandes victoires à l’extérieur. Pour clore la messe, Diego délivrera ensuite une passe décisive à Valdano qui rate devant le but vide, puis il se lancera dans une échappée dans la plaine ponctuée d’un shoot croisé qui flirte le poteau… Quand l’arbitre siffle la fin de la partie, les Argentins exultent comme s’ils avaient déjà gagné ce Mundial. Ce qu’ils accompliront bien sûr quatre jours plus tard. Maradona reçoit la bénédiction de son vaincu, Jean-Marie Pfaff, avec qui il échange embrassade et maillot. Diego est déçu de devoir affronter la RFA de Rummenigge en finale. Il souhaitait personnellement en découdre avec Michel Platini, le soi-disant roi du Calcio. Pas grave ! Il ne reste plus qu’à savourer en équipe avant dimanche. Ce 25 juin 1986, contre la Belgique, Maradona a éclipsé Maradona. Qui d’autre aurait pu le faire ?
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Chérif Ghemmour