- Coupe du monde 2014
- 1/2 finale
- Pays-Bas/Argentine
Argentine 2014 / Argentine 1986 : même combat ?
L'Argentine qui se présente devant les Pays-Bas pour tenter de rentrer une finale pour la première fois depuis 1990 part avec des armes simples : jouer dur, mettre le plus de couilles possible, subir pour partir en contre, donner la balle à Messi et prier. Une formule qui rappelle celle utilisée par l'Argentine de Maradona et qui pose une question : la réincarnation existe-t-elle en football ?
Messi est Maradona
L’Argentine est là où elle n’était plus arrivée depuis la mort footballistique de Diego Maradona en 1990 et elle le doit déjà en grande partie à son autre 10, Léo Messi. Après une saison disparate avec le Barça marquée par la défaite, des vomissements inexpliqués et l’impression que le bonheur de jouer l’avait abandonné, Messi a jusqu’à présent montré qu’il pouvait être le Maradona de 1986, un « barillet cosmique » au milieu d’une équipe de renards et d’ouvriers. Diego participait davantage à la construction du jeu, redescendait toucher quelques ballons au milieu de terrain, mais sauvait l’Argentine par fulgurance. Messi joue avec le même sens de l’éclair, tout en vitesse, en changement de rythme, en explosivité. Raid solitaire contre la Bosnie. Enroulé salvateur contre l’Iran. Doublé contre le Nigeria, passe décisive contre la Suisse. Léo est redevenu ce joueur capable de changer le cours d’un match sur une inspiration, de loger au centimètre près un ballon dans le petit filet sans même adresser un regard au but, ce « chien qui court la tête baissée » comme l’a un jour défini l’écrivain argentin Hernan Casciari, qui se relève toujours après une faute, qui ne lâche jamais le ballon des yeux. Ne lui reste plus qu’à inscrire un but de fils de pute et un but de génie. Il lui reste deux matchs.
Le sens de l’histoire
Il existe en Argentine un parallèle collectif à la croyance en l’être messianique : le besoin pour réussir de se sentir investi d’une mission. En 1986, l’Albiceleste était l’équipe de Diego, mais aussi la sélection d’un nouveau pays, sorti de la dictature et de l’hyperinflation, un pays qui devait venger la guerre des Malouines, perdue contre l’Angleterre de Thatcher en juin 1982. Cette Argentine 2014 a connu les crises, mais pas la guerre. Peu importe : en juin dernier, avant un match amical contre la Slovénie, les joueurs argentins ont posé pour la photo officielle avec une banderole de revanche. « Las Malvinas son argentinas » (Les Malouines sont argentines). Un message qui dit plus sur la conscience qu’a la sélection de l’importance historique de cette Coupe du monde que sur son engagement pour un rocher plein de moutons : l’Argentine a le meilleur joueur du monde, l’Argentine joue au Brésil, l’Argentine doit gagner. Avant le match contre la Belgique, Javier Mascherano a rassemblé ses troupes dans le vestiaire et leur a expliqué sa manière de voir l’histoire. « J’en ai marre de manger de la merde » , a dit le Jefecito. Des larmes ont coulé, Messi a pleuré : comme en 1986, c’est l’union sacrée.
Une équipe de soldats
Quelques mois avant le début du Mondial, Alejandro Sabella s’est rendu à Barcelone. Il venait voir Javier Mascherano pour lui dire deux choses. La première, c’est qu’il avait besoin d’un général, et que ce serait lui, le Jefecito, qui aurait les clés de son armée. Le second message est le même que celui adressé par Bilardo à Daniel Passarella avant d’aller au Mexique : comme avec Maradona en 1986, la victoire passera par les pieds de Lionel Messi et il faut donc le responsabiliser en lui donnant le brassard de capitaine. « Qu’il marque des buts ou non, avoir Messi dans son équipe est comme trouver de l’eau dans le désert » , a déclaré Sabella après le match contre la Belgique, malgré un face-à-face manqué en fin de match contre Courtois, et une prestation en demi-teinte du numéro 10 argentin. Le 3-5-2 de Bilardo est devenu un 5-3-2 (puis un 4-4-2 avec la blessure de Di María) qui prône le même football cynique, construit pour gagner grâce au génie d’un homme et à la solidité de dix soldats. Messi va là où il veut, se fait oublier, cherche les espaces jusqu’à trouver le moment et l’endroit pour sauver l’Argentine. Les autres sont chargés de le protéger. Comme Enrique et Batista, Mascherano et Biglia forment un milieu plein de vice et de grinta qui tape dans tous les tibias qui passent à proximité et libèrent Messi des tâches défensives. Higuaín tient le rôle de matador tenu par Valdano en 1986, tandis que la défense, largement décriée avant le Mondial, n’a pour le moment craqué que face au Nigeria et en fin de match contre la Bosnie. C’est une Argentine sans toque et sans son numéro 10 classique, qui ne prend pas le jeu à son compte, qui gère l’effort et la chaleur, une Argentine patiente et verticale qui sacrifie sa tradition pour intégrer la modernité d’un joueur hors norme. Ne reste plus qu’à savoir si c’est aussi une Argentine qui gagne.
Par Pierre Boisson