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Arbitrage : à quand l’âge de raison ?
Depuis le début de la saison, l’arbitrage se trouve au centre de toutes les tensions et attentions. Parmi les principaux griefs, la multiplication des cartons rouges, une dérive tricolore pointée du doigt régulièrement. Mais aussi critiquables que soient les décisions des arbitres, ne serait-il pas temps aussi pour l’ensemble des acteurs du foot – joueurs, entraîneurs, présidents - de se remettre en question et de se demander en quoi leur comportement complique jusqu’à l’intenable le travail des hommes et femmes en noir ?
« Je connais très bien Sergio Ramos, je ne suis pas persuadé que l’insulte sortie était adressée à l’arbitre. C’est une insulte qu’on entend tout le temps sur un terrain d’entraînement, qu’on entend beaucoup en Espagne. L’arbitre l’a prise pour lui et l’a expulsé, je ne reviens pas sur ça. » Les propos de Christophe Galtier après le match contre Reims visaient à éteindre la polémique autour du carton rouge reçu juste avant la pause par son défenseur vedette. Aussi, il a tenu à interroger l’attitude, voire à demi-mot le manque de professionnalisme, de certains de ses gars. « J’en parlerai avec eux parce qu’il y a des enchaînements de matchs. On a besoin du maximum de joueurs. Et manquer des matchs parce qu’on a pris des cartons stupides, évidemment que l’on doit y remédier. » Une allusion à une fin de match agitée qui avait révélé la nervosité, trop souvent observée, des Parisiens devant l’adversité. Le coach a peut-être aussi voulu signifier en creux que malgré le coup du sort, son équipe avait paradoxalement mieux maîtrisé son sujet à dix et qu’elle n’avait concédé ce nul qu’en raison de maladresses répétitives devant le but. Ce sens de la mesure s’avère malheureusement trop rare, y compris de la part des joueurs, même si Matthieu Udol avait eu un peu plus tôt le mérite de remercier l’arbitre d’avoir« avoué sa faute sur le penalty » à la fin du choc de Ligue 2 entre Bordeaux et Metz.
Accepter la zone d’incertitude
Mais attention, ces interventions équilibrées, pourtant formulées à chaud, semblent isolées au milieu du flot continu de critiques qui submerge l’arbitrage français après chaque journée. Le contexte de cette saison est bien sûr particulier, avec le spectre des quatre descentes notamment. Par ailleurs, la direction technique de l’arbitrage, dirigée par Pascal Garibian, aurait durci les consignes, fatiguée par la détérioration du climat général. Une rencontre avec les entraîneurs, largement boudée par ces derniers, n’a apparemment pas permis de rapprocher les points de vue. Se focaliser sur ces deux derniers mois conduirait cependant à oublier le poids, ou plutôt la tendance structurelle négative, de la perception de l’arbitrage. De fait, le foot atteint les limites de son rapport spécifique à la fonction et au rôle de l’arbitre.
L’ensemble du petit monde du ballon rond ne donne toujours pas l’impression d’avoir culturellement intégré la zone d’incertitude que comporte les règles du football, dont 90% sont de fait, par essence, soumis à interprétation : le fameux « ça se siffle » (l’injustice criante et évidente demeure exceptionnelle). Une singularité qui fonde aussi en partie toute la beauté de ce sport, même si soumis à la rude épreuve de la pression des enjeux économiques. La VAR n’a de fait rien changé, et au contraire amplifié les discussions et multiplié les raisons de contester de la part des 22 protagonistes. L’appel incantatoire à la technologie entretient l’illusion du zéro défaut dont seul l’arbitrage porte la lourde mission.
Les acteurs du foot se regardent-ils dans une glace ?
Peut-on continuer ainsi ? La mauvaise foi, regardée avec indulgence, des joueurs où des entraîneurs, trouvant toujours trop sévères les décisions contre eux et injuste l’indulgence envers les adversaires, pourrit elle aussi le jeu. Les attroupements systématiques et en nombre, parfois avec des pressions physiques et des insultes, plusieurs fois durant les 90 minutes, rendent-ils seulement imaginables un arbitrage serein. Pour tout dire, l’objectif, assumé ou non, en est exactement l’inverse. Comment ne pas sourire devant le spectacle d’un attaquant incapable de fournir un repli défensif sur dix mètres, mais qui a les jambes pour parcourir trente mètres afin de critiquer, avec d’autres, une décision concernant une faute qu’il n’a pas pu percevoir correctement. La vox populi réclame des arbitres qu’ils s’expliquent et reconnaissent en pénitent leurs erreurs. Combien de fois un président vindicatif ou un entraîneur en mode insurrection a-t-il admis ensuite que le carton ou le penalty étaient finalement justifiés ?
Comment s’étonner ensuite de la crise de vocation dans l’arbitrage amateur ? L’ensemble du monde du football doit se questionner et se remettre en question. Le discours honteux, sous couvert d’humour, d’Adil Rami avant la remise du prix du meilleur arbitre par l’UNFP prouve malheureusement que l’étiquette de bouc émissaire accolée aux arbitres semble parfaitement convenir et soulager la bonne conscience du reste de la grande famille du foot. Quelles solutions ? On serait presque tenté de préconiser l’instauration de l’autoarbitrage. Non pas, à l’instar du foot à 7, pour interpeller la responsabilité et l’esprit civique des footballeurs, mais plutôt afin d’admirer ce qu’il survivrait alors de l’esprit du jeu, de l’honnêteté des décisions, du fair-play… et du nombre de joueurs présents sur la pelouse à la fin du temps réglementaire.
Par Nicolas Kssis-Martov