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Arbër Zeneli, l’aigle aux trois cœurs
Débarqué à Reims au mercato hivernal alors qu’il était pisté par Fenerbahçe ou Chelsea, Arbër Zeneli pourrait être titulaire contre Toulouse dimanche avec ses nouvelles couleurs. Meilleur passeur d’Eredivisie avec Heerenveen cette saison, l’ailier gauche est venu en Champagne pour se tester dans un championnat plus relevé avant de peut-être viser plus haut. Ce grand ambitieux ne demande que ça, lui qui a longtemps hésité entre la Suède et l’Albanie, pour finalement opter pour le Kosovo.
Les supporters de Reims n’en ont pas cru leurs yeux. Lorsque leur club dévoilait il y a une semaine l’identité de leur première recrue au mercato d’hiver, leur réaction spontanée a dû être : pourquoi nous ? Pourtant, ce sont bien les Rouge et Blanc qu’Arbër Zeneli, meilleur passeur d’Eredivisie avec Heerenveen (11 offrandes en 17 matchs), courtisé par Fenerbahçe et suivi par Chelsea, venait de choisir. L’international kosovar ne débarque pas sans une once d’appréhension. Le natif de Säter (Suède) était en fin de contrat en juin à Heerenveen, a signé à Reims jusqu’en 2023, mais n’a connu jusqu’ici que les championnats suédois et néerlandais. Entré en jeu face à l’OM (2-1) samedi dernier, Zeneli a déjà laissé entrevoir quelques promesses. Contrôles sûrs, aisance dans la conservation de balle et passes dans le bon tempo, l’ailier gauche a plutôt bien entamé sa nouvelle expérience.
Ascenseur émotionnel
Chez Zeneli, une histoire résume bien sa capacité à s’adapter et à rebondir. Le 20 novembre dernier, l’ailier de 23 ans inscrit avec le Kosovo contre l’Azerbaïdjan (4-0) un triplé significatif, assurant à son pays la montée en Ligue C de Ligue des nations. À la fin de la rencontre, l’homme du match se précipite sur son portable pour recevoir des félicitations. Au lieu de ça, Zeneli ne lit que des messages de condoléances. Son grand-père, dont il était très proche, est mort quelques heures avant le début de la rencontre. « Mes parents ne voulaient pas me le dire avant le match » , confiera-t-il après coup au Leeuwarder Courant. Mais quelques jours plus tard, Zeneli est de retour sur les terrains en championnat, avec un but à la clé. « J’étais ému quand j’ai marqué, mais aussi très soulagé : on était sous pression à ce moment. »
Une pression qu’a déjà connue Zeneli en 2016, quand l’ailier devait faire le choix de sa sélection nationale. Né en Suède de parents albanais originaires du Kosovo, Zeneli passe une jeunesse tranquille à Säter. Il fait toutes ses classes à l’IF Elfsborg jusqu’à ses 20 ans, où il dispute deux saisons d’Allsvenskan avant de prendre la direction des Pays-Bas en janvier 2016, et porte les couleurs de la Suède en U17, U19 et U21, remportant même un titre de champion d’Europe 2015 dans cette dernière catégorie (sans avoir joué). « La Suède m’a donné une chance de me développer et il y a une bonne génération de jeunes ici, Mais l’Albanie est gravée dans mon cœur, déclarait-il dans un entretien à Voetbal International. Mon père espère que je vais opter pour l’Albanie, parce que nous venons de là-bas. Ma mère trouve que les deux sont bien. »
La naissance d’une nation
Et puis en mai, coup de tonnerre : le Kosovo est officiellement reconnu par la FIFA et l’UEFA. Zeneli a un troisième choix – et deux renoncements – à faire. Ce sera le Kosovo, aucun match officiel au compteur et toute une équipe à construire. Un véritable coup de poignard pour certains supporters suédois, qui le considèrent toujours comme un traître. « C’était dur d’entendre ces choses sur les réseaux sociaux » , avouera-t-il au Leeuwarder Courant. « Je faisais partie de l’équipe suédoise championne d’Europe U21, mais ils ne m’ont jamais vraiment donné ma chance en A. J’ai aussi choisi avec mon cœur, car mes parents sont du Kosovo et, même si je ne suis pas né là-bas, j’ai du sang kosovar » , expliquait-il sur le site du Stade de Reims. Les débuts de la jeune nation se feront sans lui. Ayant déjà joué pour la Suède, ce comique du vestiaire d’Heerenveen doit attendre le feu vert de la FIFA pour changer de sélection. Celui-ci arrivera la veille du premier match contre la Croatie, en octobre 2016.
Comme un symbole, Zeneli lancera véritablement sa carrière internationale en mai 2018 face à l’Albanie (3-0), où il inscrit un doublé lors d’un match au lourd contexte politique – 90% des Kosovars sont d’origine albanaise. Sous l’impulsion de son leader d’attaque, le Kosovo reste aujourd’hui sur dix matchs consécutifs sans défaite. Excellent joueur de couloir doté d’un sens de la passe prononcé et d’une certaine aisance dans la finition, Zeneli disposera à Reims de moins de libertés qu’à Heerenveen ou avec le Kosovo. Dans une équipe qui tient beaucoup à son équilibre défensif, l’homme aux 27 passes décisives et 21 buts en 100 matchs avec les Superfrisons devra s’adapter. « Ça peut paraître égoïste, mais mettez-vous à ma place. Ma force, c’est d’être devant. Quand j’ai la liberté de faire ce que je veux, c’est là où je suis à mon meilleur » , déclarait au Leeuwarder Courant celui qui a été élu meilleur footballeur kosovar en 2018.
Une bulle prête à éclater
Mais Zeneli ne devrait pas trop se plaindre en Champagne, lui qui a choisi de rejoindre le promu rémois en son âme et conscience. « J’ai senti que Reims me voulait vraiment et que j’étais en haut de leur liste pour ce mercato. J’ai dit à mon agent : s’ils font vraiment de moi une priorité, je veux y aller » , déclare-t-il sur le site du club. Un choix qui en dit long sur l’intelligence de ce bonhomme pourtant très ambitieux. À l’été 2018, déjà approché par Fenerbahçe, Zeneli décline poliment. « Avec tout le respect que je dois au club et aux fans, je veux jouer de plus grandes compétitions. Mes ambitions résident plutôt en Angleterre, en Espagne, en France, en Allemagne ou en Italie » , confiait ce fan de l’AC Milan à Fcupdate.nl.
Celui qui déclare vouloir « remporter tout ce qui est possible, donc aussi la Ligue des champions » , devra néanmoins gagner en constance à Reims. C’est ce grand perfectionniste et éternel insatisfait lui-même qui l’avoue, malgré son statut de meilleur passeur d’Eredevisie. « Je réfléchis trop. Ça a un impact négatif sur mon jeu » , confiait Zeneli au Leeuwarder Courant. « J’ai eu quelques bonnes périodes à Heerenveen, mais elles n’ont pas duré longtemps. Les gens qui m’ont vu jouer en Suède savent que je peux faire beaucoup plus.(…)Je veux marquer plus souvent. Je ne suis qu’à 60-65% de mes capacités. » Ça tombe bien, Reims est prêt à pousser la barre jusqu’à 100%.
Par Douglas De Graaf