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Arabie saoudite : quand le mirage se dissipe
Arrivés en grande pompe pour lancer la révolution du football saoudien l’été dernier, de nombreux joueurs souhaitent aujourd’hui quitter le Royaume. Ils étaient pourtant prévenus.
Jordan Henderson, Roberto Firmino, Luiz Felipe, Roger Ibañez ou Karim Benzema. Ces quelques noms ont de quoi constituer le début d’un bon onze de départ. Mais pas sur les pelouses. Depuis l’ouverture du mercato hivernal 2024, de nombreux joueurs – dont ceux-ci donc – ont en effet émis le souhait de quitter l’Arabie saoudite, qu’ils avaient rejointe six mois auparavant, moyennant un gros chèque. Un exode justifié par un climat sportif peu enthousiasmant et un cadre de vie en décalage avec les habitudes occidentales de bon nombre d’entre eux. Le premier à avoir exprimé ce blues ambiant se nomme ainsi Jordan Henderson. Arrivé en Arabie saoudite dans la polémique, après des critiques concernant son discours sur les droits LGBT, le milieu de terrain se retrouve après 19 petits matchs à prendre le vent contraire, en se proposant à toute l’Europe. Des velléités exacerbées par les prestations mitigées de son club d’Al-Ettifaq (huitième du classement à la trêve) et sa vie à Dammam, près du Golfe persique.
Autre argument invoqué, le manque d’attraction des supporters vers les stades. Culturellement au Moyen-Orient, le sport se consomme en effet à la maison, pour fuir les fortes chaleurs. Et c’est bien là l’un des principaux écueils de ce soft power saoudien, incapable de développer une force de persuasion similaire au modèle américain. Résultat des courses : une affluence moyenne estimée à 7800 spectateurs par rencontre, en dehors des chocs impliquant les géants Al-Ittihad, Al-Hilal et Al-Nassr. Les deux derniers clubs cités ont d’ailleurs tenté d’installer une politique de « kops » inspirés de l’Europe, sans grand succès. Au même titre que la tentative d’Al-Ahli de recruter Zakaria « Skwadra » Belkadi, capo des ultras du Raja de Casablanca. Enfin, la question de la vie de famille est également revenue sur la table. Rien de plus logique, dans un royaume où les droits des femmes paraissent inexistants. Au point de voir certaines conjointes de footballeurs enchaîner les allers-retours à Dubaï, Doha ou Bahreïn voisins afin d’apprécier le séjour.
Trop vite, trop fort pour être vraiment durable ?
Cet amas d’éléments défavorables à la Saudi Pro League justifie donc froidement l’envie des footeux de rebrousser chemin vers le Vieux Continent. Un schéma déjà vécu en Inde, en Chine et même aux États-Unis, où les gros chèques des Super et Major Leagues n’ont jamais compensé le manque d’adaptation. La leçon n’a visiblement pas été retenue. Pour autant, l’objectif ici ne consiste nullement à donner une quelconque leçon de morale au football saoudien. Il aurait même été intéressant de voir se pérenniser un championnat solide hors d’Europe. Mais pour cela, un travail de fond porté sur plusieurs décennies semblait primordial, afin de capitaliser sur une passion pour le ballon déjà bien présente localement. Nous avons finalement eu le droit à l’inverse, avec une politique agressive du « tout et tout de suite ».
Du côté des joueurs, il est toujours utile de préciser qu’une majorité savait à quoi s’en tenir en quittant Liverpool, la Roma ou le Real Madrid, moyennant salaires hebdomadaires à six chiffres. Habitués à un cadre de vie « standard » en Occident (à échelle de millionnaires évidemment), nul doute que le choc des cultures au Moyen-Orient a été plus difficile à encaisser que prévu. Mais malgré cela, il est préférable de se dire qu’un réveil des consciences a tout de même eu lieu et que le football de haut niveau n’est pas encore à l’agonie. Le chemin ouvert par Cristiano Ronaldo, quant à lui, prend doucement des allures d’impasse.
Par Adel Bentaha