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Après son élimination européenne, la gueule de bois pour Reims ?
Éliminé de la Ligue Europa par les Hongrois de MOL Fehervar, le Stade de Reims patine en Ligue 1 avec un seul petit point en cinq journées. Et au vu des précédents historiques, il y a de quoi s’inquiéter pour l’avenir des Champenois après leur déception européenne.
Jeudi 24 septembre 2020, dans le huis clos de la MOL Arena Sosto, l’ancien Nantais Loïc Nego s’élance et prend Predrag Rajković à contre-pied. Sur une séance de tirs au but, le Stade de Reims vient de voir s’écrouler ses rêves de Ligue Europa et s’effacer le capital d’une saison 2019-2020 de haute volée. Écourtée par le Covid-19, certes. Mais qui, au bénéfice d’une sixième place en Ligue 1, devait permettre au monument du football français de renouer avec son ADN européen. Au lieu de cela, les Champenois voient se profiler le spectre d’une saison dangereuse : 19es après cinq journées, les hommes de David Guion restent sur une série de quatre défaites sur la scène nationale.
Et à la lumière des archives des trois dernières décennies, le Stade de Reims a de bonnes raisons de s’inquiéter : quasiment chaque saison, un « Européen » déçu – Coupe Intertoto comprise – flirte avec la zone rouge. Plusieurs se sont allègrement précipités dans le gouffre de la seconde division – Cannes (1992), Montpellier (2003), Troyes (2003), Guingamp (2004), Strasbourg (2006) ou encore Lens (2008) –, quand multitude d’autres – y compris des gros poissons comme Marseille (2000, 2016), Paris (2001, 2007) ou encore Saint-Étienne (2009-2020) – ont vu le couperet passer suffisamment près pour en imaginer les fâcheuses conséquences. Parce qu’une campagne européenne, surtout quand elle est prématurément foirée, laisse des traces.
Le boulet de l’élimination
Damien Perquis a vécu cette situation, lors de la saison 2011-2012 avec Sochaux. Sous la houlette de Francis Gillot, les Lionceaux arrachent la cinquième place de Ligue 1 et un ticket en C3. Le coach se barre à Bordeaux, et Mécha Baždarević prend le relais… Pour le pire. Sans son buteur Ideye Brown (transféré au Dinamo Kiev), Sochaux doit se coltiner un autre club ukrainien (le Metalist Kharkiv) dès le mois d’août. « La Coupe d’Europe, avant d’avoir les matchs glamours, c’est ce type de déplacements difficiles. On ne s’en sort pas trop mal à l’aller, on fait 0-0. En revanche, au retour à la maison, on n’est pas prêt et on explose 4-0 », se souvient le défenseur de 36 ans. La suite va s’apparenter à un chemin de croix, étalé sur plusieurs mois : « On traîne ça comme un boulet pendant toute la saison, car il y a une frustration. On a senti la Coupe d’Europe, on a cravaché pour y aller, mais on a tout gâché en 90 minutes. »
Ou en 180, pourrait renchérir Éric Bauthéac. Celui qui kiffe actuellement les soirées européennes sous les couleurs de l’Omonia Nicosie – dans le groupe du PSV Eindhoven et Grenade, en Ligue Europa – garde toujours « en travers de la gorge » l’élimination de Nice face à l’Apollon Limassol, en 2013 : « Le coach Claude Puel n’avait pas mis la bonne équipe au match aller, il avait laissé des titulaires clés sur le banc et on l’avait appris le matin du match. » Résultat : sous une température étouffante, les Aiglons prennent le bouillon 2-0. Une situation qu’ils ne parviennent pas à renverser au Stade du Ray au retour, malgré le soutien du public et une courte victoire 1-0.
« Tu imagines des matchs de fou, dans des stades mythiques »
« Forcément, j’en veux à l’entraîneur. J’avais été sollicité par quelques gros clubs à l’intersaison, j’étais resté à Nice pour jouer l’Europe, et cela se résume finalement à deux matchs pas disputés à fond », regrette le milieu. Pour tout joueur professionnel, une qualif’ européenne en mai représente en effet une porte ouverte pour le couloir des fantasmes. Bauthéac : « Quand tu commences la saison « européen », tu imagines jouer des matchs de fou dans des stades mythiques. Alors te faire sortir d’entrée à Chypre ou en Ukraine, sans manquer de respect à ces pays, c’est passer à côté d’un rêve et cela fait mal. Plus tu es proche de ton rêve, plus cela fait mal de le voir s’éloigner. » Il faut alors tourner la page, mais Damien Perquis se rappelle qu’il est compliqué de passer de la théorie à la pratique. D’autant plus dans un club peu habitué à la scène continentale, tel Sochaux : « À chaque fois que tu regardes les matchs à la télé, tu y repenses. Surtout dans un club comme le nôtre, où beaucoup de joueurs n’ont pas trop eu l’opportunité de faire des matchs européens… »
En 2012, Sochaux termine difficilement le championnat à la quatorzième place avec une élimination d’entrée dans les deux coupes nationales. L’Europe pénaliserait une équipe par l’alourdissement du calendrier ? Peut-être. Mais pour Perquis, on oublie souvent « la gestion de la défaite ». Explication : « On est des compétiteurs et là, on vit avec une frustration. Avec le sentiment d’avoir foiré quelque chose d’important, d’avoir laissé passer une opportunité. On a clairement une baisse d’estime et de confiance, on était compétitifs quelques mois auparavant, mais on entre dans le dur. » Un poids de « pensées négatives » confirmé par Bauthéac : « Au coup de sifflet final du match retour, voir les Chypriotes lever les bras, c’est un coup de couteau. C’est surtout difficile de repartir après, car l’aspect psychologique est primordial. Un footballeur doit être heureux pour être performant et quand il ne l’est pas, cela devient compliqué. Après une telle claque, c’est dur… » Nice, brillant en 2012-2013, terminera quatorzième en 2014.
« Toujours plus facile de changer un entraîneur que 25 joueurs »
Bauthéac et Nice avaient pourtant enchaîné trois matchs sans défaite après l’élimination, comme le Sochaux de Perquis deux ans plus tôt. L’arrière central le justifie « par un dernier sursaut d’orgueil, avant de plonger. » Sursaut que Reims n’a pu s’offrir face au PSG, venu s’imposer froidement 2-0 à Auguste Delaune. Pour les Champenois, comme pour les Niçois et les Sochaliens en leur temps, le plus dur semble à venir. « Nous, on avait vraiment commencé à réagir et à prendre conscience qu’on allait se prendre un mur après une défaite à Bastia 4-1 en janvier en Coupe de France. Là, on s’est dit les vérités. » Et en mars, une décision radicale tombe avec le limogeage de Baždarević (remplacé par Éric Hély).
« Il est toujours plus facile de changer un entraîneur que 25 joueurs, mais il fallait un électrochoc », justifie l’ex-Lionceau. David Guion, en poste depuis l’été 2017, paraît avoir encore du crédit à la suite de la montée en Ligue 1 et aux résultats cumulés depuis. N’empêche que si la dynamique rémoise n’est toujours pas repartie au printemps prochain, les faits d’armes du technicien vaudront bien peu de choses face à l’urgence. Pour Bauthéac, le remède est simple à identifier, mais pas toujours aisé à enclencher : « Faire le deuil de ce que tu as manqué et te remettre au travail, il n’y a que le travail qui permet de digérer ça. » Pour Reims, la reprise du taf, c’est dès dimanche à Rennes.
Par Nicolas Jucha
Propos de DP et EB recueillis par NJ